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1932 - Drug & the Dominos


Prologue




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Begg



Début Décembre 1931.

Quelque part à New York.



Dans la salle sombre, deux personnes attendaient. Le silence étouffait presque le battement de leurs cœurs, si faible qu'il donnait l'impression qu'il allait s'interrompre sans prévenir.


"Essaie de comprendre, Begg. Aujourd'hui est la dernière chance que nous ayons d'en rester à de simples négociations."


Brusquement, le plus grand des deux brisa le silence qui régnait. Sitôt ces mots prononcés, l'atmosphère qui les entourait retrouva les bruits, les couleurs et le désordre habituels. Comme si le temps venait de reprendre son cours, le plus grand - Maiza Avaro - inspira profondément.


"Begg, dis quelque chose. Tant que je n'aurai pas ta réponse, je ne quitterai pas cette pièce. J'en ai besoin pour déterminer le degré des répercussions que tu vas subir."


Fixant Maiza du regard, qui semblait perturbé, l'homme nommé Begg ouvrit finalement la bouche. Ses cordes vocales vibraient d'un ton grave, et il livra une réponse balbutiante à Maiza.


"Je, je, je comprends. Je vais, vais ju-, juste faire, comme tu as, dit."


Les yeux égards de Begg reflétaient son inquiétude, et il restait sur le qui-vive face à Maiza.


"À par-, à partir de, maintenant, je ne dis-, dist-distribuerai plus, plus jamais de dr-, dr-, drogue sur le terr-, te-territoire de la, Famille Martillo."


Quand il eut fini, une expression de soulagement vint éclairer le visage de Maiza et celui-ci se rapprocha de son vieil ami.


"Merci, Begg ! Désormais tu ne fais plus partie de nos ennemis."


L'expression de Maiza était joyeuse, mais mêlée de tristesse. Après un moment de silence, il s'adressa de nouveau à l'homme devant lui. Mais son ton n'était plus celui, froid et civil, du négociateur, mais celui chaleureux et soucieux de qui s'inquiète pour un vieil ami.


"À partir de maintenant, je ne parle plus en tant que cadre de la Famille Martillo, mais en tant qu'ami : Begg, sincèrement, tu devrais cesser de vendre tes drogues sur le marché et–"


"Je, je, je ne peux pas. C'est, c'est mon mé-métier."


"Begg !"


"En, en, en tant qu'apothicaire, j'ai dû franchir, tous les obstacles, pour devenir un, un alchimiste. Mes rêves, mes vœux, mon ambition, tout, tout va aboutir. Après plus de deux si-siècles, enfin, enfin, enfin, je vais réussir. L'humanité, rendre les humains, plus heureux, je sais c-, comment, y arriver."


En entendant ça, Maiza secoua tristement la tête.


"Comment peux-tu toujours dire ça ? Ce genre de chose n'existe pas."


"Ça, ça existe. J'ai, j'ai, toujours, voulu, rendre l'humanité, maître du monde, c'est, tout. Voulu donner, à une p-personne, la maîtrise de, de son monde, c'est tout. Pour cette personne, une création, du plus grand, ordre. Si cet état pouvait, persister pour, toujours, les gens, les humains, pourraient rire, être heureux, à-à jamais, même sur leur lit, de mort."


"Dans ce cas, est-ce que ça ne reviendrait pas à annihiler la race humaine ? Jusqu'à leur mort, les gens se drogueraient et vivraient dans des hallucinations tirées de leur esprit ; ils ne pourraient pas se nourrir et ne créeraient pas de descendance."


"Bien, bien sûr, mais, c'est juste, juste la première, étape. Je, je, je vais aussi, créer une drogue, qui laisse, les gens, reprendre c-conscience, quand ils le souhaitent, et ensuite, continuer, leurs rêves. Cette dr-drogue, ne, n'abîmerait pas le corps, humain, mais seulement, rendrait les gens, heureux."


Après avoir écouté Begg raconter son rêve enfantin, Maiza laissa échapper un soupir.


"Ton âme est déjà épuisée. Pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ?"


"Ha, ha, ha. Toi aussi. Est-ce que, les hommes, doivent même croire, à l'âme et aux, aux autres, concepts, non scientifiques ?"


"Peu importe, il est un peu tard pour avoir une discussion sur la nature scientifique de cet univers. C'est évident, non ? Nous, qui avons passé un contrat avec un démon et sommes vraiment devenus immortels."


'Immortels'. Ce mot formait la chaîne ancestrale qui reliait ces deux personnes pour l'éternité. Le pouvoir de l'immortalité obtenu en passant un pacte avec le démon, et-- la malédiction de "dévorer ou se faire dévorer".

Ils pouvaient se servir de leur main droite pour 'dévorer' l'un des leurs. En absorbant entièrement les connaissances, les souvenirs, l'expérience et tout ce qui constituait l'autre immortel, ils s'en emparaient pour eux-même. C'était une terrible malédiction, comme une coupe de poison mortel.


Ayant entendu le discours de Maiza, Begg tomba dans un silence contemplatif.


"Les humains, à la recherche, du bo-bonheur, c'est naturel, non ? Je voulais, juste, élever ça, à, un niveau, s-supérieur."


"Tout bonheur qui surpasse la nature humaine finit éventuellement par s'effondrer. N'oublie pas cela, je t'en prie."


Sur ces mots, Maiza se leva pour quitter la pièce.


"Merci, merci, merci beaucoup, Maiza. Merci, de ne pas, m'avoir, dévoré."


".............Si tu me redis ça la prochaine fois, je vais me fâcher."




Après que Maiza ait quitté la pièce, Begg planta l'aiguille de la seringue dans son poignet. Bien qu'elle contienne une drogue nettement plus pure que ce qu'on trouvait sur le marché, cela ne lui faisait plus aucun effet.


Pour lui qui vivait une vie éternelle, son cœur avait acquis une résistance qui surpassait de loin les effets de la drogue. Il ne pouvait plus éprouver le bonheur qu'il recherchait tant. Il souhaitait au moins pouvoir procurer ce bonheur à d'autres.


Mais même ça était vain.




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La Famille Gandor



"Franchement, comment le monde est-il devenu si tumultueux ?"


Malgré les mots de cet homme, New York profitait justement d'une atmosphère paisible des plus agréables. Le soleil brillait haut dans le ciel, réchauffant de ses rayons l'allée en briques rouges. Dans un coin de Manhattan, à l'écart des gratte-ciel imposants ; à l'intérieur d'une vieille librairie entourée de bureaux désertés, un jeune homme discutait aujourd'hui encore avec le patron de la boutique.


"Vous ne trouvez pas ? Non seulement on s'enlise dans la récession, mais en plus on doit faire avec ces décrets gouvernementaux qui changent sans cesse tout en restant exactement les mêmes. Regardez autour de vous : le seul résultat, c'est la situation économique et la sécurité dans les rues qui se dégradent à vue d'œil. Vous arrivez vraiment à mener vos affaires tranquillement dans des circonstances pareilles ?"


"Ah, grâce à vous, ma petite boutique arrive à s'en sortir."


En parlant, le patron pencha poliment la tête envers le jeune homme, qui avait environ le même âge que son fils. Ses gestes et sa voix exprimaient une modestie extrême, mais ses yeux renfermaient la trace discrète d'une autre émotion.


"Tiens donc ? Mais il y a très peu de clients qui passent... Si je peux vous aider pour quoi que ce soit, je vous en prie, n'hésitez pas à m'en parler."


"Je ne peux pas faire ça ! Et puis, nous n'avons pas payé la taxe de protection, alors nous ne pouvons pas vous déranger..."


"Même si nous ne recevons pas la taxe de cette boutique, vous ne risquez pas de fermer. Si nécessaire, nous collecterions quelques taxes pour subvenir à vos besoins. Après tout, vous avez toujours été là pour nous."


"Ne dites pas ça ! C'est uniquement grâce à la Famille Gandor que notre affaire a pu prospérer, alors vous n'avez pas à vous préoccuper de nous."


Le jeune homme s'attendait depuis le début à une réponse pareille. Une fois de tels mots prononcés, personne ne pouvait plus se permettre de demander directement 'Donnez-nous de l'argent'.


La Famille Gandor. Dans cette espèce de melting-pot que formait Manhattan, c'était une petite, toute petite organisation en charge d'une zone très réduite. Leur territoire n'était pas grand, mais il n'était pas exagéré de dire que leur influence s'étendait bien au-delà.

Au commencement, ils ne possédaient même pas la moitié de leur territoire actuel, mais depuis que le fondateur avait passé la main à ses trois fils, ils s'étaient rapidement étendus. En alternant les menaces et les promesses selon la méthode bien éprouvée, ils s'attachaient le soutien des résidents tout en maintenant la paix, et évitaient tout contact non nécessaire avec les organisations voisines. Ils refusaient absolument d'accepter les cesser-le-feu, les menaces ou les demandes d'allégeance d'autres familles, et persistaient à tracer leur propre voie.


Bien sûr, pour atteindre leur but, ils avaient commis de nombreuses infamies, certaines dépassant l'imagination, tout comme les autres organisations qui fonctionnaient sur des modèles similaires. Alors, pour cet homme, l'un des chefs du groupe, parler du 'monde devenu si tumultueux' était plus une plaisanterie qu'autre chose. En gardant cette pensée dans un recoin de sa tête, le patron sourit en observant le plus jeune des trois frères - Luck Gandor.


Au premier coup d'œil, celui-ci affichait un visage souriant et très chaleureux, mais ce n'était qu'une façade. Le tremblement léger dans ses yeux créait une peur indicible dans le cœur du patron. Comme pour essayer de se libérer de la terreur qui l'envahissait, le patron reprit très vite la parole.


"Ha, hahaha, ah, c'est la vie. Je pense que la Famille Gandor doit bien s'en sortir ces temps-ci !"


"Non, non, pas du tout, nous avons beaucoup de problèmes nous aussi."


Après avoir écouté les paroles du patron, le jeune chef secoua la tête pour communiquer pleinement l'étendue des soucis qui l'accablaient. Il était crucial de jouer sur des petits signes et d'infimes détails pour gagner la confiance des résidents. Bien sûr, il se gardait d'exposer leurs vraies faiblesses. Dans ce genre de situation, nombreux ils étaient, parmi ceux qui manipulaient dans l'ombre les citoyens ordinaires, à agir comme s'ils étaient trop faibles pour faire face aux résidents. Résultat, c'était ces affaires honnêtes qui faisaient mine de ne pas saisir leurs sous-entendus qui leur causaient le plus de difficultés.


"Je veux dire, même nous, il nous arrive de ne pas pouvoir nous montrer, par peur ou par honte. Par exemple, avec cet incident avec la drogue."


"Drogue... C'est juste des jeunes vauriens qui en ont ramené ici !"


"Mais elle circule toujours dans le coin."


La Famille Gandor ne pratiquait pas le trafic de drogue. C'était une raison supplémentaire de la confiance qu'on leur accordait, même si ce n'était pas tout à fait la vraie raison. En fait, ils n'avaient pas la puissance nécessaire pour ce genre de marché ; rien ne garantissait qu'ils n'en seraient pas venu à ce genre de trafic s'ils avaient pu. Au final, c'était la puissance limitée de leur organisation qui incitait la coopération. Pour sa part, Luck avait toujours préféré s'abstenir de ces affaires là ; il pensait qu'il était mieux de ne pas se mêler d'un marché qui ne leur était pas familier, et de conserver la confiance des résidents. D'ailleurs, on était de nouveau en plein boom de ce marché et la Famille Gandor tenait à endiguer les retombées inévitables de ce trafic sur le quartier ; même si ce n'était qu'une mesure temporaire qui risquait de se montrer insuffisante.


'On dirait que Berga n'a jamais envisagé le gain potentiel que ça pourrait représenter, quand à Keith, il abhorre la drogue de tout son être.'


En cet instant, le visage du second en chef, Berga, et de Keith, le boss de l'organisation, traversèrent l'esprit de Luck. Si on avait dû clairement diviser les tâches entre les trois frères, Keith aurait été le 'bouclier' et Berga en charge de la 'terreur'. Quand à Luck, c'était plutôt la 'stratégie'. Pour ceux qui collaboraient avec eux... surtout ceux qui exerçaient une occupation honnête, telles étaient les apparences.


Keith était l'aîné. Plutôt qu'un sens de la justice, il aurait été plus exact de dire que c'était sa fierté de protéger leurs résidents. C'est pour ça que Keith ne franchirait jamais la ligne quand il s'agissait de la vie et de la mort de gens innocents. C'était même une preuve supplémentaire que la Famille Gandor ne risquait pas de toucher au trafic de drogue de sitôt.


Cependant, des signes de trouble avaient fait leur apparition dans leur territoire, profitant des failles dans leur surveillance. Récemment, une nouvelle 'drogue' avait commencé à circuler. Même si elle n'avait pas encore causé de scandale important, les rumeurs tournaient déjà. Le lendemain même, ils avaient mis la main sur un échantillon.


La situation menaçait d'éclater au grand jour, et ils ne pouvaient pas rester sans rien faire. Quoi qu'il en coûte, ils devaient déterminer la source de la drogue et stopper cet incident. Luck plissa ses yeux perçants comme ceux d'un renard, et laissa la noirceur de son cœur commencer à s'agiter.




"Tiens ? On dirait le script d'un opéra. Plutôt rare."


Luck tendit un livre abîmé. L'espace d'un instant, l'expression du patron au comptoir le trahit, mais il retrouva immédiatement son sourire cordial.


"Aah, si ça vous plaît, je vous l'offre !"


"Non, je ne peux pas accepter."


Mettant de côté ses soucis avec cette drogue pour le moment, Luck sortit un portefeuille épais de sa poche de veste. Il s'apprêtait à sortir quelques billets, quand sa main s'arrêta.


"Ah."


Tout aussi soudainement, un grognement étrange résonna dans le dos de Luck.


"Nnn.."


Quand Luck ressentit la chaleur brûlante et l'agonie atroce du métal tranchant la chair, le sang coulait déjà à flots. Sa vision était trouble, recouverte par cette teinte écarlate.


"Ah ?!"


Blam. Quand il vit Luck étalé par terre, le libraire réalisa enfin ce qui se déroulait devant ses yeux. Devant le corps qui laissait échapper un jet de sang, un homme seul se tenait dans la rue ensoleillée. C'était un homme dans la force de l'âge portant des vêtements en lambeaux, pris de spasmes intermittents et au teint maladif. Sa main tenait un couteau, et il avait les yeux écarquillés.


"Un, un, un meutrrrrrrrre !"


Le libraire, choqué par le crime soudain, s'effondra par terre et resta tétanisé, incapable de fuir.


"Il m'a v- v- v- vu je dois tu- tu- tu- tuer le témoin il m'a vu m'a vu m'a vu le tuer tuer tu- tu- tuer Luck dans la librairie je dois le tuer tuer tuer tuer tuer tuer tuer..."


L'homme semblait avoir perdu les pédales ; ses paroles étaient aussi embrouillées que son esprit.


"Uaaaaaaaah !"


Il leva son couteau bien haut au-dessus de la tête du patron de la boutique. Sur la lame du couteau -- il n'y avait aucune trace du sang de la gorge tranchée de Luck.


Swwiiiifffffffff...


Le couteau luisant descendit dans un arc, produisant un son étrange, presque instrumental. Il s'arrêta brusquement, à un cheveu de la tête du patron.


"..."


Celui-ci ouvrit anxieusement les yeux, et vit l'homme devant lui se faire frapper à la tempe par le coin d'un livre épais. Et celui qui tenait le livre en question était l'homme dont la gorge avait dû être tranchée à l'instant.


"Vous allez bien ?"


À l'instant où il posa sa question, l'agresseur au couteau s'effondrait au sol à l'entrée de la librairie. Il n'y avait aucune trace de blessure sur la gorge de Luck, et le sang qui aurait dû éclabousser le livre avait disparu.


"H-, h-, hein ? M. Luck, M. Luck, mais il a, quoi ? Hein ?"


Luck ignora le patron décontenancé et saisit un magazine à la couverture rouge, comme si rien ne s'était passé. Puis, en offrant un sourire glacial, il déchiqueta la couverture en disant :


"Hé bien, dis donc. Je l'ai échappé belle ! Si ce livre n'était pas tombé juste à temps, j'aurais pu y passer."


"Euh, mais, c'était, non, le sang..."


"Vous avez dû confondre ; c'était la couverture de ce magazine qui volait partout. Normal, dans la confusion."


"Mais..."


Assailli par les questions successives du patron, Luck jeta les confettis de la couverture déchirée dans les airs.


"Ah, je dois vous rembourser cette revue."


Il n'avait même pas fini de parler qu'une liasse épaisse de billets était déjà pressée dans les mains du libraire. Ça n'avait rien à voir avec le prix de la revue ; la somme princière valait presque un mois de bénéfice pour la boutique.


"N-, non ! Je ne peux pas prendre votre argent..."


Luck ignora le refus du patron, sortit une seconde liasse de billets qu'il ajouta à la première et répéta d'un ton sans appel :


"À l'instant, ce que ce connard a découpé, c'était cette revue. Vous avez compris ?"


Sur ces mots, le patron cessa de protester et acquiesça silencieusement.


"Très bien. Il n'y a que ceux qui saisissent vite qui peuvent s'en sortir ces temps-ci. Les gens malins sont heureux en affaires. Continuez votre bon travail !"


Ayant ainsi parlé, Luck tourna le dos et sortit de la boutique en portant l'agresseur complètement sonné sur ses épaules. La scène avait l'air ridicule, comme une fourmi portant le corps d'un scarabée. Finalement, il fit un léger signe de la main au patron, et lui dit en guise d'au revoir:


"Franchement, comment le monde est-il devenu si tumultueux ? Vous ne trouvez pas ?"




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Les Nantis



Octobre 1930.

Quelque part dans le New Jersey.



Tout commença avec ces deux étranges voleurs.


Ce jour-là, Eve Genoard était très inquiète. Fille d'un millionnaire local, née avec une cuillère d'argent dans la bouche, c'était une jeune fille de 15 ans. Voilà tout ce qu'on pouvait dire sur elle, qui n'avait pas d'autre caractéristique particulière.


Quelques jours plus tôt, son grand-père, le chef de famille, était décédé en plongeant toute la famille Genoard dans un immense chaos. La mort soudaine de cet homme de génie attristait énormément Eve, mais son inquiétude avait une toute autre raison. Il s'agissait du retour de son frère, Dallas Genoard, revenu en hâte de New York.

Son frère la traitait avec beaucoup de gentillesse, mais Eve ne pensait pas grand bien de lui. Dès qu'il se trouvait en présence d'autres personnes qu'elle, il se comportait comme le pire des vauriens. Quand il revint au foyer familial, il ne montra pas le moindre chagrin envers le décès de son aïeul. Eve n'arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais elle sentait qu'il projetait quelque chose de sinistre. Comme s'il avait prévu d'assassiner quelqu'un après ça—




Lors des débuts du boom économique de l'Amérique, les usines poussaient comme des champignons dans tout le pays. C'est durant cette période que leur grand-père avait accumulé sa fortune. Quel genre de commerce pouvait prospérer dans cette petite ville rurale, si éloignée de la capitale ? Eve avait toujours entendu parler 'de l'usine' mais ne s'était jamais posée plus de questions. C'était une grande usine située dans les profondeurs de la forêt, mais son père et son grand-père ne l'avaient jamais laissée s'en approcher, et elle n'avait pas eu l'occasion de la visiter. Elle ignorait absolument tout : quelles affaires menaient sa famille, quel genre de produits ils vendaient.


Mais elle comprenait pourquoi d'autres personnes les traitaient de 'nantis' ; elle comprenait aussi le pouvoir corrupteur que l'agent pouvait exercer sur le cœur des gens. Elle participait fréquemment à toutes sortes de réceptions mondaines, durant lesquelles elle avait pu rencontrer toutes les catégories de riches : ceux qui étaient prêts à tout pour de l'argent, ceux dont la cupidité était sans égale, ceux qui se laissaient manipuler, et même ceux qui considéraient l'argent comme sale et se trouvaient au-dessus de ça. Il y avait ceux qui se cachaient derrière des façades, et ceux que l'argent avait rendu fou.


Ces expériences lui firent réaliser deux choses :

Premièrement, l'héritage de son grand-père était si colossal que certains auraient été prêts à tuer pour une somme pareille.

Deuxièmement, son grand frère, Dallas, allait certainement se joindre aux disputes autour de l'héritage.


Mais même dans ces circonstances, elle était impuissante ; au rythme où ça allait, tout ce qu'elle tenait à protéger finirait bientôt par s'effondrer devant elle. Sa peur de la tragédie imminente ; sa colère envers elle-même, faible et incapable. La pression que ces deux émotions exerçaient sur Eve menaçait de l'étouffer, et son cœur était sens dessus dessous. Dès que ces angoisses la reprenaient, elle se mettait automatiquement à prier.


'Je vous en prie, Dieu, exaucez un miracle.'


Elle tenait juste à être libérée de ses soucis, voilà tout. Avec cet unique but qui dirigeait sa vie, elle se réfugiait sous ses couvertures, en priant Dieu de toutes ses forces.

Quand finalement, un miracle se produisit.




Il était tard cette nuit là, et le manoir entier était englouti par l'obscurité et le silence. Soudain, deux personnes s'introduisirent dans sa chambre.


La porte s'ouvrait lentement, laissant apparaître un homme et une femme vêtus comme des indiens d'Amérique. Eve n'eut même pas le temps de crier : les yeux grands ouverts, elle dévisagea la paire incongrue.


Une peau d'animal était enroulée autour du torse de l'homme, et ses jambes étaient recouvertes par un pantalon en toile épaisse. La femme portait elle aussi une tenue indienne similaire. Il y avait même des rangées de perles attachées à leurs vêtements, arrangées pour former des motifs colorés. Des peintures indiennes s'étalaient sur leurs visages, et leurs têtes couronnées par des coiffes de plumes traditionnelles. Mais, à la grande surprise de Eve, ces deux-là étaient de race blanche. Si ç'a n'avait pas été le cas, elle se serait probablement déjà mise à crier.


Se tournant vers Eve, qui ne saisissait pas très bien ce qui se passait, la paire s'adressa à elle comme si de rien n'était :


"Hé ! Ne fais pas de bruit ! Nous ne sommes pas des méchants."


"On en a juste juste pour un moment ! Laisse nous nous cacher là juste un moment."


Ils transportaient sur leurs épaules ce qui ressemblait au grand sac de jouets du père Noël, et plusieurs liasses de billets dépassaient de l'ouverture. À en juger par la façon que le sac avait de trembler et de pencher, il était probablement rempli de joyaux et d'œuvres précieuses. Au premier coup d'œil, n'importe qui aurait pu comprendre qui ils étaient.


Des voleurs. Même si cette réponse lui vint immédiatement, Eve ne se mit pas à crier ou à paniquer. Elle ne savait pas pourquoi ; c'était peut-être parce que ces deux inconnus la regardaient d'un air innocent.


"Ah ! Incroyable, c'est miss Genoard !"


"La jeune miss avec la cuillère d'argent dans la bouche !"


En entendant leurs chuchotements peu discrets, l'anxiété d'Eve ressurgit aussitôt.


'Est-ce qu'ils vont me prendre en otage ?' Mais son inquiétude fut dissipée l'instant d'après. Les deux indiens se mirent ensuite à lui dire quelque chose qui dépassait tout ce qu'elle aurait pu imaginer ; l'exact opposé de ce qu'elle avait craint.


"Yeah ! Maintenant elle va pouvoir se détendre !"


"Yeah !"


Elle ne comprenait pas. Les pensées d'Eve étaient confuses, mais les deux intrus continuèrent d'un ton joyeux.


"On va emporter tout ton malheur !"


"Comme ça, il n'y aura plus de disputes familiales !"


"La paix et l'harmonie comptent plus que tout dans une famille !"


"Tu vas pouvoir être heureuse, c'est sûr et certain !"


Ces deux-là se réjouissaient du bonheur de cette fille qu'ils rencontraient pour la première fois comme s'il s'agissait du leur. Finalement, elle réalisa le sens de leurs paroles.

S'il n'y avait pas d'héritage, il n'y aurait plus de disputes. Si l'argent avait disparu, il ne pourrait plus pousser les gens à se comporter de façon horrible. Ce que ces deux-là étaient venus faire, c'était peut-être exaucer son voeu ?

Quelle idée absurde, complètement ridicule. Si quelqu'un d'autre qu'elle avait été là pour les écouter, il aurait déjà administré une bonne raclée à ces deux-là. Mais Eve avait plutôt envie de les remercier. Après avoir prié Dieu, le voeu de toute une vie allait devenir réalité.


'Ah, ces deux-là doivent être des émissaires divins.'


La famille Genoard n'avait jamais versé dans la religion, alors Eve n'avait qu'une très vague idée de Dieu et de ses anges. Elle se moquait bien des costumes indiens étranges qu'ils portaient ; elle s'agenouilla sans prévenir devant eux.


"Hé, hé, Miria. Pourquoi se met-elle à genoux comme ça ?"


"Je ne sais pas, mais si quelqu'un nous vénère alors il faut lui donner quelque chose !"


"Mmm... On aurait pu faire la Danse du Serpent, mais il nous faudrait plus de dix jours et au moins cinquante serpents. En plus, je ne suis pas un prêtre, alors on risquerait de déclencher le courroux des esprits."


"Dans ce cas, on n'a qu'à faire la Danse du Papillon ! Celle que les enfants Hopi nous ont appris !"


"Ouais, faisons ça !"


Les deux échangèrent un signe de tête et commencèrent à s'agiter au rythme de cette danse rituelle Hopi. Il n'y avait ni musique ni chanson en accompagnement, et le spectacle était plutôt comique. Cela n'empêchait pas Eve de les regarder avec le plus grand sérieux.


"Miss ! Miss Eve !"


La danse des deux lurons fut brusquement interrompue quand on frappa à la porte dans le couloir.


"On dirait que des voleurs se sont introduits dans la maison ! Tout va bien ?"


'Oh non, vite, cachez-v--'


Juste comme Eve s'apprêtait à leur dire de se cacher, la paire d'indiens avait déjà disparu. Seul la porte-fenêtre grande ouverte témoignait de leur passage.


'Ah, ils ont dû s'envoler pour retourner au paradis.'


Comme si elle venait de s'éveiller d'un rêve, la fille regarda à travers la fenêtre. Il n'y avait que des arbres dehors, aucun signe d'indiens.




Le lendemain, Dallas entra dans la chambre d'Eve, épuisé et abattu. Malgré son visage blafard, sitôt qu'il aperçut sa soeur, son expression vint s'éclairer d'un léger sourire. Cela faisait des années que Eve n'avait pas vu un sourire honnête comme celui-là sur le visage de son frère.


"Ça fait un bout de temps. Tu veux que je t'apprenne quelques coups au billard, Eve ?"


Eve était tellement émue qu'elle faillit fondre en larmes, et elle acquiesça de la tête avec un sourire radieux.




Après ça, exactement comme l'avait promis les deux voleurs, chaque jour fut un plaisir.

Jusqu'à l'année d'après, en tout cas ; quand leur bonheur vola en éclats.



<==>



Décembre 1931.

Dans la même résidence.



C'est une solitude soudaine qui vint mettre fin à ses jours heureux.


Son père, Raymond Genoard, et son frère aîné, Jeffrey. Ils avaient repris l'affaire du grand-père et étaient en charge de toute la famille. Mais après être partis à Manhattan pour le travail, ils n'étaient jamais revenus. Non, pour être exact, ils étaient revenus, mais lorsqu'elle avait vu les deux cadavres meurtris, Eve avait refusé de croire qu'il puisse s'agir de sa famille.

Les corps avaient été découverts dans une voiture tombée dans la baie de New York. La police n'avait pas dit s'il s'agissait d'un meurtre ou d'un accident, seulement que l'enquête suivait son cours.


Et l'autre terrible nouvelle était que Dallas, son frère, avait disparu.

Sa mère était décédée lorsqu'elle était encore très jeune, avant la mort du grand-père, et Eve était la seule personne restante de toute la famille Genoard. Les serviteurs finirent par quitter leur poste les uns après les autres, et la résidence se fit de plus en plus silencieuse ; on se serait cru dans une ruine à l'abandon.


La gestion des 'affaires' de l'empire Genoard fut confiée aux cadres de l'usine. Ils versaient une rente à Eve, mais ce n'était que pour les apparences. En réalité, la famille ne possédait plus que ce manoir et les terres aux alentours. Plus personne n'allait hériter des affaires de la famille, et il ne restait dans la résidence qu'un vieux majordome et une femme de chambre noire.


"Ooh, dites ! Miz, valez vrament y'aller ?"


Depuis toute jeune, Eve avait grandi avec Samasa, la servante noire à la carrure imposante qui s'occupait d'elle avec dévouement, et elle n'éprouvait absolument aucun préjugé raciste. En tant que servante, Samasa avait déjà traversé tout le pays à plusieurs reprises et elle avait adopté divers dialectes locaux ; c'est donc avec un accent impénétrable qu'elle posait sa question à Eve d'un ton inquiet, mais celle-ci était sûre d'elle.


"Oui, j'ai pris ma décision."


"Miss, mon corps est peut-être vieux et usé, mais votre bon à rien de majordome peut tout de même vous accompagner de son mieux."


"M. Benjamin, vous êtes sûr que c'est vraiment raisonnable ?"


"Miss, vous n'avez pas à vous montrer aussi attentionnée envers moi. Prendre soin de vous est une de mes responsabilités et fait partie de mes tâches. Tout ce que mes vieux os désirent, c'est vous voir grandir en bonne santé pour devenir une belle jeune dame."


S'exprimant avec la révérence et le respect qui convenaient à sa position, le majordome allemand qui servait la famille Genoard depuis la génération précédente lui promettait son assistance. Il avait toujours été un vieil homme très gentil et honorable, mais aujourd'hui il montrait une résolution et une résistance inhabituelle. Voyant le majordome dévoué offrir son soutien, Samasa sourit en frappant fièrement sa poitrine.


"Pa d'soçi, Miz. Quoi qu'l arrive, je sera tojors à v'côtés."


Accompagné par ses deux serviteurs de longue date, Eve s'apprêtait à partir pour la ville qu'elle n'avait encore jamais vu, Manhattan. À la recherche de son frère disparu, Dallas Genoard.




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Le Junkie



Ahh, je me sens bien, super bien, j'ai une pêche d'enfer !

Il n'y pas d'autre mots pour décrire cette sensation.

Ou s'il y en a, ça ne m'intéresse pas d'y penser, ça ne sert à rien.

Tout ce qu'il me faut est là. Tous mes désirs, enfouis profondément sous mon crâne.


Sous mes yeux, tout est en train de fusionner. Aah, le ciel et la terre, les passants et les rues, le jour et la nuit : tout ne fait plus qu'un. Je suis vraiment arrivé au paradis. Mes doigts, mes poignets, mes pieds, mes hanches, ma tête, mon torse, mes os, mon cœur, tout ce qui m'entoure converge en ce point, tout ce que je vois se rapproche de moi. En ce moment, il n'y a plus que moi, au centre du monde.


Et puis, même mes yeux se sont mis à fusionner. Aah, je peux voir le monde entier dans ses moindres recoins. Je peux sentir le monde se confondre avec ma propre existence. Cette sensation, c'est tellement, tellement apaisant. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais je ne fais déjà plus qu'un avec le monde.



"......R-Roy......"



Des fissures. Des fissures commencent à se former.

Qui ? Qui peut bien essayer de détruire mon œuvre ? Stop, stop, qu'est-ce qui se passe avec mes yeux ? Ma vision est en train de revenir à la normale. Aah, mon corps, mon corps est en train de se détacher de ce monde. Stopstopstopstopstopstopstopstopstop....



"Roy......Roy..."



Mon corps entier est en train de fondre, de flotter, et soudain je me mets à tomber en plein chaos. Sous les hurlements assourdissants du vent déchaîné, je vois le monde voler en éclats. Le ciel et la terre, les passants et les rues, le jour et la nuit, ils se séparent tous. Mes rêves se détachent et s'envolent au loin, et il n'y a plus que la réalité, qui tombe vers le sol de plus en plus vite.



"Roy !"



Puis c'est moi qui vole en mille morceaux en heurtant le sol.



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L'homme - Roy - fixait le plafond d'un regard vide. Son corps se mit brusquement à convulser, puis il bondit hors du lit comme un ressort, en observant ses alentours. Sa vision trouble peinait à discerner les silhouettes des hommes et femmes autour de lui, qui le regardaient tous avec la même expression de confusion.


"Roy, reprends-toi !"


Il y avait une femme qui l'appelait sévèrement.


'Cette femme ressemble à... Aah, c'est Edith, ma petite amie.'


Et il comprit aussitôt. C'était elle qui l'avait rappelé dans 'ce monde'. Roy détourna le regard et se tourna de l'autre côté en grommelant.


"Qu'est-ce qui te prend d'agir comme ça ! J'ai eu peur que tu ne reviennes pas cette fois—"


Les reproches amers d'Edith résonnaient comme le tonnerre sous son crâne. Ils transperçaient son cortex et continuaient tout droit jusqu'à sa colonne vertébrale, provoquant des tremblements incontrôlés.


"Tu avais promis, tu le sais ! Promis que tu ne toucherais plus à ça ! Qu'est-ce que tu fais encore ici ?"


Des spasmes d'une douleur sourde traversaient son cou, comme s'il s'était blessé durant son voyage intérieur. Roy avait repris pleinement conscience ; il avait bien réalisé qu'il était malheureusement de retour dans le monde réel.


'Argh—'


À ce moment-là, il ne put s'empêcher de répandre le contenu de son estomac tourmenté par terre. Le sol en ciment fut arrosé de vomi transparent. Edith fronça légèrement les sourcils mais ne fit pas signe d'appeler à l'aide. Ce n'était pas un effet secondaire de la drogue elle-même, mais simplement la peur et la colère qui accompagnaient son brusque retour à la réalité qui se manifestaient, en s'emparant momentanément de son système digestif.


Ce n'était pas pour rien que le sol de cette salle était fait de simple ciment. Ce genre de malaises et d'incontinences arrivaient quotidiennement à cet endroit. Aucune décoration n'avait été installée, afin d'en faciliter le nettoyage. En d'autres termes, cette pièce n'était autre qu'un studio préparé spécialement pour la consommation de certaines drogues.


Après avoir vidé son estomac à côté, Roy parla d'une voix cassée.


"J'vois pas, jamais entendu parler de promesse, me parle pas de choses aussi réelles."


"Arrête de te moquer de moi ! Tu disais que tu allais tourner la page ! ...Qu'est-ce qui s'est passé cette fois ?"


Pour illustrer sa réponse, Roy tendit la main et saisit un sac rempli de poudre.


"T'inquiètes pas. Y'a pas longtemps, plusieurs nouvelles drogues sont apparues sur le marché. Rien à voir avec le cannabis ou la cocaïne, c'est tout nouveau, ç'a même pas encore été interdit, alors c'est pas vraiment illégal. Il n'y a pas de problèmes, tu vois ?"


"Ce n'est pas ce qui m'inquiète ! Si tu continues comme ça tu vas finir par y passer ! Tu, est-ce que tu réalises seulement la tête effroyable que t'as ? On dirait un poulpe desséché sur la plage ! Fais un effort, ouvre les yeux et regarde à quoi ressemblent ces gens autour de nous !"


Ne pouvant supporter plus de reproches, Roy éleva la voix.


"Je ne te laisserai pas insulter mes amis. Et puis d'ailleurs, toi tu vas bien boire dans des bars avec tes potes ? C'est illégal aussi."


En l'entendant, Edith se retint de crier et rentra dans une rage silencieuse.


"Quoi, tu vas courir pleurer dans les jupons de tes patrons, ces fichus Gandor ? Non ? Ils auraient mieux fait de ne pas interdire la vente dans cette zone. Et puis, leurs rivaux, la Famille Runorata, là, ils ont mis leur main sur un sacré truc, hein ? J'ai remarqué depuis longtemps que tu te montrais bien discrète au sujet de ton boulot. Je vais peut-être me faire buter par les Gandor, mais toi—"


À cet instant, Roy s'interrompit brusquement. Il venait de voir les larmes épaisses qui dégoulinaient sur les joues d'Edith.


"Je me moque de ce qui peut m'arriver, mais— je ne tiens pas à rester là te regarder mourir ! Moi, je n'en peux plus ! Si tu refuses de m'écouter, alors tu peux bien crever ici !"


Sur ces mots, Edith se retourna et sortit en courant.

Clang -- la porte métallique claqua et Roy sentit son visage se décomposer.


"Hein ? Que, qu'est-ce que, qu'est-ce que j'ai dit ? Pourquoi Edith est partie en pleurant ? Non, je, c'est vrai, je n'ai pas tenu ma promesse, je dois aller m'excuser. Non, je, hein, quoi ?"


En réfléchissant à ses actes, Roy sentait son cœur se remplir de douleur et de chagrin.


"Attends, attends ! C'est ma faute ! J'ai eu tort ! Pourquoi est-ce qu'elle pleurait ? Non ! C'est moi qui devrait pleurer. C'est bizarre. Hé ! Attends, attendsattendsattends. Attends ! Edith, pourquoi t'es partie, pourquoi, attends, reviens ! J'ai eu tort, c'est ma faute..."


Tout en parlant tout seul, Roy se mit à pleurer.


"Attends... attends. Je dois m'excuser..."




En le voyant dans cet état, une femme et un homme qui se tenaient dans un coin de la pièce chuchotèrent tous les deux.


"Quel salaud, cette femme aurait dû le quitter bien avant !"


"Hein ? Bah, ces deux-là n'en sont pas à leur première dispute."


Les deux observaient Roy, qui profitait d'être momentanément libéré des effets de la drogue pour retrouver ses esprits.


"Mais elle aussi elle se fait des illusions, tu sais."


"Hein ?"


"Même s'il échappe aux Gandor, ce type va quand même mourir. Réfléchis un peu, avec toutes les substances qu'il avale et qu'il s'injecte, comment veux-tu qu'il s'en sorte ?"


"Alors l'issue est inévitable, hein ? Mais il dit que cette drogue n'a aucun effet secondaire..."


"Si c'était vrai, ce serait comme si la Faucheuse elle-même s'infiltrait dans ton corps, sans échappatoire... C'est de la faute des Runorata ! La première fois que ce gars là a inhalé de la cocaïne, il s'est mis à se lacérer la tête ; il est pas normal. Il est beaucoup trop sensible à la drogue. Tu ne le sais peut-être pas, mais ceux qui prennent de la cocaïne pour la première fois ne se mettent pas à courir partout, ils ont juste envie de vomir. C'est juste après plusieurs shots d'affilée qu'ils s'y habituent : ce genre de trucs n'arrive jamais du premier coup. Mais ce type a eu direct une réaction énorme ; il est super bizarre."


Roy sortit un petit sac de sa poche de veste, et saisit plusieurs sachets remplis de poudre à l'intérieur.


"Après qu'il soit passé à l'hôpital, Edith a tout essayé pour le faire arrêter. Et il avait réussi à cesser de consommer, mais ensuite il s'est procuré ces nouvelles drogues que ces salauds de Runorata font circuler. Ils racontent que 'cette drogue n'a aucun effet secondaire et est parfaitement inoffensive' et d'autres conneries, et cet abruti y a cru. Comme si ça pouvait exister !"




En ouvrant le sachet, Roy se mit à parler.


"Ah, je sais que je ne devrais pas toucher à ces produits, mais je ne suis qu'un idiot qui ne peut pas s'en empêcher. De toute façon, tous les drogués sont des abrutis. Mais on s'en moque de ça, haha, on s'en fout complètement... C'est ça. Héhé, hahaha !"



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Aah, je dois présenter mes excuses à Edith.

D'abord, je vais quitter cet endroit, puis je lui dirai quand je la verrai.


Cette fois, je vais arrêter pour de bon. Cette fois, elle va vraiment pouvoir me pardonner. Quoi qu'il advienne, c'est le dernier sachet que je prends de ce nouveau stimulant. Le crash va être dur, mais c'est supportable une fois les effets de la drogue dissipés. Alors, alors cette fois c'est la dernière. Je dois en profiter. Ma dernière dose, difficile à se procurer, alors je dois l'absorber entièrement.


Ça ressemble beaucoup à la promesse que j'avais fait à Edith autrefois, mais à cette époque ma volonté était beaucoup trop faible. Le passé c'est le passé ; je suis plus résistant aujourd'hui. Cette fois c'est la bonne.



Aah, ça vient ça vient vient allez viens, c'est génial, je me sens bien bien bien, mon hémisphère droit est en train de palpiter. Aah ; il vient d'éclater, je peux voir les arcs en ciel. Ah ! Mon Dieu ! C'est, c'est moi ça ? C'est mon corps qui bouge ? Est-ce que c'est mon cerveau à moi en train de tourner ? Incroyable, je suis invincible. Le moi en cet instant s'est déjà surpassé. Mon cerveau est en train d'évoluer. Ma conscience a déjà atteint le futur.


Inimaginable, c'est tout simplement inimaginable. Dire que j'étais un prodige incroyable depuis le début !

Je peux, je peux tout faire ! Je suis invincible.

Invincibleinvincible invincible invincible invincible invincible invincible invincible invincible invincible invincible invincibleinvincible invincible invincible—



<==>



J'ouvre les yeux.


On dirait que je suis rentré chez moi sans m'en rendre compte ; je reconnais mon appart.


J'ai mal à la tête. Froid. Il fait si froid. Oh non, ça passe. Le trip est en train de passer.


Je sens mon cœur qui se soulève, ce malaise puissant ; j'ai envie de vomir.


Le monde entier devient menaçant. Cette sensation ; j'en suis sûr, les sbires des Gandor attendent derrière ma porte et vont me buter si je fais un pas dehors.


Il y un fusil sniper pointé droit sur ma tête.


Leurs hommes sont déjà planqués sous mon lit.


Peut-être que la race humaine a déjà été exterminée. Il n'y a pas un bruit dehors. Pendant que je dormais, les martiens ont attaqué la Terre et ont anéanti l'humanité.


Je suis sûr que ces salopards de Gandor sont en train de danser de joie avec ces monstrueuses créatures tentaculaires. Ou alors ils discutent en ce moment même de mon élimination.


Je suis fichu, ils vont certainement m'abattre, me brûler vif, me noyer et puis me couler au fond de l'océan, avant d'être torturé démembré tué violé dévoré étripé par ces martiens à tentacules vivant au fond de l'océan -- non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non n-n-n-n-n-n-n-n-n-n-n-n-nooooooooooon non non non non non non non noooon n-n-n-n-noooooooooooooooooooo--------


Du calme ! Reprends-toi ! Ce ne sont que des hallucinations, mon imagination qui me manipule. Je le sais bien, mais même si ce ne sont que des hallucinations, elles restent terrifiantes malgré tout. Non, je me trompe, c'est la réalité, ils sont là à m'attendre derrière la porte... Non ! Stop ! Je dois arrêter d'y penser ! Je perds le contrôle ! Je vais mourir ! Merde ! Si seulement, si seulement j'avais encore un peu de drogue ! Encore, il me faut encore de la drogue, pour arrêter les hallucinations ! Une dose, donnez-moi une dose ! N'importe qui, vite, allez voir les Runorata et aidez-moi à acheter cette droooooooooogue ! Sinon, sinon, je vais y passer. Au secours, vite, sauvez-moi ! Edith, Edith, Ediiiiiiiiiiiiiith...



<==>



7 heures plus tard, Roy finit par reprendre conscience dans sa baignoire. Il était complètement nu, allongé dans son propre vomi. Il s'était préparé à des scènes pareilles, c'est pour ça qu'il avait pris la précaution de louer un appartement avec salle de bain. Il pouvait vraiment se féliciter ; c'était bien vu d'avoir profité des ses derniers moments de lucidité pour se rendre à l'intérieur.


C'était la première fois qu'il prenait ce produit, et après que les effets de la drogue se soient dissipés, il se sentait bien et à l'aise, contrairement aux sensations désagréables qui le faisaient souffrir après la consommation de drogues habituelles. Quoi qu'il ait pu dire, sa crise de panique n'était pas une réaction normale : ces effets secondaires étaient peut-être dus à cette nouvelle drogue. Roy n'avait aucune idée des détails médicaux : il se souvenait juste de l'extase initiale, et de la terreur qu'il avait ressentie à la fin du trip.


Il devait présenter ses excuses à Edith. Sa dévotion envers lui était la seule chose qui lui avait permis de se libérer da sa misère autrefois. Dire qu'au final, il avait replongé au dernier moment et avait préféré les drogues qui lui permettaient de s'échapper. Roy était vraiment incapable de tenir une quelconque résolution.


Roy nettoya la salle de bain et se lava, ressentant une pointe de fierté. Cette fois, cette fois il allait définitivement tenir sa promesse. Il se souvenait vaguement s'être dit la même chose à plusieurs reprises, mais ça ne devait être qu'une impression.


Après sa douche, Roy enfila un T-shirt et un short, puis rentra dans sa chambre en chantonnant ; malgré tout, il ressentait encore des élancements d'une douleur sourde. Était-ce la faim ? Ou un effet secondaire de la drogue ? Soudain, il s'arrêta.


'Qu'est-ce que c'est que cette grosse mallette ?'


Sous la table se trouvait une mallette qu'il ne reconnaissait pas. Un attaché-case en cuir, assez grand, qui semblait bien rempli à en juger par les parois déformées. Il lui disait vaguement quelque chose, mais il n'arrivait pas à se rappeler où et quand il avait pu le voir. Il ne tenait vraiment pas à fouiller son cerveau pour savoir.


La terreur effacée refit surface. Son cœur s'emportait, et commença à battre la chamade.


Nerveusement, il s'approcha avec hésitation, et ouvrit prudemment la mallette—

À cet instant tout lui revint en tête, et Roy fut tellement choqué que ses mains lui firent défaut. L'intérieur était rempli à ras-bord de sachets de poudre. C'était le nouveau produit de la Famille Runorata, le produit qui venait de le ramener à la vie ; la toute nouvelle drogue sur le marché. Dans son corps, la Faucheuse logée au creux de son cœur leva lentement sa faux, se préparant à l'abattre d'un geste.




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La Famille Runorata



New Jersey - une grande propriété des faubourgs de New York.



"Et ?"


Juste à côté d'une table au luxe extravagant, un homme parlait. Il semblait avoir la cinquantaine, avec les rides profondes qui creusaient son visage sévère, chaussé de lunettes lui donnant un air réfléchi. Aucune émotion ne transparaissait dans son expression ou dans sa voix, mais les gens qui l'entouraient se figèrent.


"Ils se sont emparés du nouveau produit, et vous les avez laissés s'échapper, c'est ça ?"


Personne parmi les présents n'osait ne serait-ce que respirer un peu trop fort en présence de cet homme âgé qui récapitulait les faits d'un ton mesuré. Comme le condamné du couloir de la mort attendant l'heure de sa sentence, l'un d'eux attendait que son patron, Bartolo Runorata, poursuive—

Bartolo reprit la parole. Après avoir inspiré profondément, Bartolo ouvrit lentement les yeux, en disant :


"Et ?"


Interrogé par la question de Bartolo, l'homme imposant répondit d'une voix tremblante, en suant à grosses gouttes :


"R-Rassemblons tous les gars. Ce type, on va mettre la main—"


"Non, ce que je demandais, c'est..."


Bartolo l'interrompit doucement et précisa :


"Me ramener tous les jours des nouvelles insignifiantes comme celles-là, est-ce que ça présente vraiment le moindre intérêt pour toi ou moi - ou même pour la Famille ?"


Même s'il s'exprimait d'une façon calme et posée, sa voix contenait un certain frisson qui pénétrait jusqu'à l'os, saisissant le cœur de ses interlocuteurs.


"Gustavo. Je t'avais bien dit pourtant, que tout ce qui concerne Manhattan relevait de 'ton domaine' ; alors je ne tiens à entendre que le résultat final. À quoi bon s'embarrasser de détails ? Et puisque tu me rapportes des mauvaises nouvelles, dois-je considérer ça comme une preuve de ton incompétence ?"


L'homme appelé Gustavo affichait l'expression de la grenouille qui allait se faire dévorer par l'aigle, et sa carrure massive fit un bond de terreur sous le choc.


"Pas du tout, monsieur."


"Alors, tu me dis que tu as fait preuve de compétence ?"


Gustavo resta silencieux, incapable de répondre.


"Je dois voir mon petit-fils aujourd'hui. Je ne tiens pas à laisser une conversation aussi inepte me gâcher la journée."


Il n'y eut pas de réprimandes, pas de nouvelles consignes ; Bartolo se retourna sur ces mots et quitta la pièce. Les gens restants échangèrent des regards pour voir ce qu'en pensaient les autres, avant de se laisser emporter par une sensation de panique nerveuse.


"C'est pas le moment de rêvasser, bande d'incapables !"


Se comportant de façon radicalement différente en l'absence de son patron, Gustavo beuglait violemment sur ses sous-fifres.


"On ne va pas laisser ces voleurs se foutre de nous ! Tout le monde nous trouve ridicule ! Si ça continue, toute notre opération à Manhattan va devenir une mauvaise blague ! Alors bougez-vous, faites ce que vous voulez, mais trouvez-moi ces fils de pute !"


Pour ses subordonnés, cette attitude était complètement injustifiée.

Le grand sac qui contenait la mallette avait été dérobé par un inconnu sorti de nulle part. Ce n'était certainement pas de leur faute, la situation avait été tellement soudaine que même le conducteur n'avait pas eu le temps de réagir.


Un gros camion était rentré en plein dans leur voiture. L'impact puissant avait fait tomber de leur véhicule la mallette remplie de drogue, et un jeune homme avait bondi hors du camion pour la saisir et s'enfuir aussitôt, emportant une quantité de cette nouvelle drogue dépassant les 60 000 $ sur le marché. Le voleur aurait dû lui aussi être sonné par la violence du choc, mais il avait ramassé la mallette et s'était enfui en courant comme s'il n'avait rien senti. Ils n'avaient bien sûr pas osé dénoncer le vol aux autorités, et avaient parlé d'un simple accident pour éviter toute complication.


Après leur enquête, ils parvinrent à déterminer que le camion responsable avait été volé avant l'incident et que le coupable devait avoir été sous l'influence de stimulants ou d'une autre drogue. Mais tout s'était passé sur le territoire de la Famille Gandor, et ceux-ci semblaient n'avoir jamais touché à ce genre de marché. Les investigations de ce côté-là n'aboutirent à rien et il se retrouvèrent sans aucune piste.

Du point de vue extérieur c'était risible. Ceux qui vendaient secrètement de la drogue dans cette zone n'étaient autres que les Runorata eux-mêmes. Il s'était fait voler leur produit durant le transport par un junkie inconnu. Pour tous les membres du milieu c'était une vraie farce.


"Quoi qu'il en soit, retrouvez-moi le produit. Et puis étripez ce connard—"


"Ça ne va, pas, être aussi, simple."


Une voix pâle et inquiétante s'éleva derrière lui. Gustavo se retourna rapidement, et s'aperçut qu'à un moment inconnu, Begg s'était assis dans un coin de la pièce. Les chaises ne manquaient pas, mais il avait choisi de s'installer par terre.


"Oh, Begg. Tu m'as fait peur ! ...Mais qu'est-ce que tu veux dire ?"


"Je veux, entendre, les pensées, de cette, personne. Voler mes, drogues, commettre un, acte, aussi, audacieux, je dois lui, parler et, si, nécessaire, m'en servir, comme sujet de test, pour, mes nouvelles, expériences. Alors, vous devez, le, capturer, vivant."


"Bordel, qu'est-ce que tu racontes—"


Gustavo rugit sans réfléchir. Ses cordes vocales étaient à leur maximum.

Il ne connaissait pas bien Begg : il savait juste qu'il appartenait déjà à la Famille quand lui-même l'avait rejointe, que c'était un des premiers membres, et que son âge n'était pas très clair. On lui aurait donné la trentaine, mais durant les huit années que Gustavo avait passées dans la Famille, l'apparence de Begg n'avait pas changé d'un pouce. C'était probablement dû à un stimulant quelconque - tout chez lui respirait la bizarrerie. Ceux qui le côtoyaient, au lieu de lui envier sa jeunesse persistante, le considéraient comme une espèce de dingue, et on parlait beaucoup dans son dos.


"--Arrête avec tes exigences impossibles ! On t'a déjà filé une usine splendide, alors fiche-nous la paix un peu !"


"Ha, ha. Me, la donner ? C'est, juste, un atelier de, cocaïne, que vous avez, pris par, la, force à, d'autres. Tu parles, d'une, couverture. C'est, bien les, Geno-, ards, non ? Ceux qui, dirigeaient, l'affaire av-, ant."


Son ton moqueur était apparent, même au travers de ses phrase segmentées.


"Je ne dirais pas qu'on l'a pris de force, ce n'est pas très élégant. Tu devrais dire qu'on a eu recours à des moyens que certains pourraient qualifier d'excessifs afin de se procurer une entreprise dépourvue de propriétaire légitime. Au final, ça revient au même."


"Sans, propri-, étaire ? T-tu veux, dire, après avoir, plongé la voiture, avec, les passa-, gers à l'intérieur, dans la, baie de New, York ? Quelle violence, quelle, cruauté. Bien, pire que ce, que Bartolo, souhaitait."


"...Si tu tiens à rester membre de la Famille, t'as intérêt à faire gaffe à ce que tu racontes !"


Gustavo faisait de son mieux pour réprimer sa colère, et Begg lui souriait légèrement, son mépris à peine dissimulé. Cette discussion devait commencer à le fatiguer : Begg effaça son sourire satisfait puis, comme s'il ne s'était rien passé, se retourna et sortit de la salle. Tout en quittant la pièce, il lâcha ce qui ressemblait à un compromis à Gustavo.


"Écoute, atten-, tivement. Comme je, te l'ai déjà, dit aupa-, auparavant. Tu ne dois, pas lever, un doigt, contre, la, Famille Ma-, Martillo. Sinon, c'est la, fin, de ma coop-, ération, avec toi, Gustavo."


Begg avait déjà disparu à travers la porte sans même jeter un regard en arrière.


"Ah ! Dire que ça se permet d'être aussi arrogant, alors qu'il est juste en charge de la production..."


Gustavo contint sa rage et détourna le regard vers ses subordonnés.


"Compris, les gars ? Écrasez-moi tous ces minables qui osent nous faire obstacle, comme la soi-disant Famille Gandor, mais la distribution de la drogue passe avant tout. C'est notre objectif prioritaire pour Manhattan. On a un peu de boulot supplémentaire, mais ça ne change rien pour le reste. Détruisez nos adversaires. Piétinez les faibles, même ceux qui ne nous ont pas encore cherché d'ennuis. Pas d'avertissements ou de négociations : réservez ça pour les organisations sérieuses, celles qui sont du même calibre que nous. Allez, il faut qu'ils constatent et qu'ils reconnaissent d'eux-mêmes notre puissance ; le temps qu'ils réagissent il sera déjà trop tard, alors vite, vous devez complètement—"


Gustavo distribuait les ordres en affirmant son autorité, faisant comme si la scène précédente n'avait jamais eu lieu.


"C'est le moment d'agir. Ce stupide voleur et ces saloperies de mafieux qui jouent encore à cache-cache avec nous ne sont plus rien. Écrasez, écrasez-les sans aucune pitié, qu'il n'en reste plus une trace, jusqu'à ce qu'ils n'aient jamais existé. Voilà -- notre mission."





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