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1933 - The Slash - Cloudy to Rainy


Chapitre 1 : Les fleurs et les dominos




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"Hé bien... Si vous avez des excuses à présenter, Miss Maria, je suis tout ouïe," dit posément Luck, tapotant le bord de la table d'un doigt. Un sourire cordial ornait son visage, mais ses yeux étaient eux dépourvus de la moindre trace de sympathie.




Au cœur de Little Italy se trouvait un petit bar à l'ambiance jazz. C'est au sous-sol de cet établissement que se situaient les bureaux de la Famille Gandor, qui était en charge des affaires criminelles dans le quartier. La musique jazz qui émanait du bar à travers le plafond répandait une atmosphère détendue dans le QG clandestin. Plusieurs tables rondes meublaient une salle assez vaste, et il y avait même des tables de billard dans les coins.


Il était clair, à voir les hommes à l'air menaçant rassemblés à l'intérieur, que les bureaux des Gandor n'étaient pas un endroit fait pour les citoyens ordinaires et respectables. Cependant... Il y avait une personne ici présente dont l'attitude détonnait avec celle des autres gangsters.


Elle était assise à l'une des tables au centre de la pièce, face à Luck. Un rapide coup d'œil à sa tenue colorée pouvait laisser penser qu'elle était danseuse ou actrice. La jeune femme avait une peau mate et lisse, qui lui conférait une apparence attirante, ainsi qu'un teint sain et robuste.


Cette femme, Maria Barcelito, détourna le regard avec une moue boudeuse.


"Hmph."


"Comment ça, hmph ?!"


Luck perdit son calme et frappa la table du plat de la main, comme s'il grondait une jeune gamine. Les gangsters qui assistaient à la scène retinrent un rire gêné.


"Miss Maria. Votre travail est de protéger les danseuses du casino. Vous en êtes bien consciente, je l'espère ?"


"Mais bien sûr, amigo ! C'est pour ça que je me suis débarrassé de ces invités tapageurs ! C'était réglé en un clin d'œil, tchac tchac !"


"Et le temps que je cligne des yeux, je me retrouve face à une table de baccarat oblitérée, trois bandits manchots complètement démolis, une ruine qui était autrefois la porte d'entrée, un chandelier brisé ; des dégâts tous causés par votre lame, sans parler des hommes que vous avez tués. Maintenant, j'aimerais bien entendre la raison pour laquelle vous avez estimé nécessaire de détruire tout notre matériel."


La vérité assenée en plein visage, Maria détourna le regard.


"...C'est arrivé plus ou moins tout seul."


"C'est arrivé plus ou moins tout seul ?!"


Luck frappa de nouveau la table et laissa échapper un profond soupir, avec une expression affligée. Voyant le sourire s'effacer de son visage, Maria lui offrit une grimace innocente, comme pour le réconforter.


"Ne fais pas une tête pareille, amigo ! Tu es beaucoup plus craquant avec le sourire, tu sais !"


"Et à qui dois-je reprocher mon humeur actuelle, si j'ose dire ?"


"...Désolée, amigo."


Maria battit en retraite, matée par Luck. Elle avait peut-être l'air d'une splendide jeune femme, mais elle se comportait encore comme une enfant.




Maria était l'invitée des Gandor – quoique, en réalité, elle s'était invitée d'elle-même – et elle exerçait originellement le métier d'assassin. Elle n'avait pas pris sa retraite pour autant, et il aurait peut-être été plus juste de dire qu'elle était toujours dans la profession.


Elle était rentrée en contact avec la Famille Gandor suite à un certain incident qui avait pris place l'année dernière, avait été fascinée par le charisme de Keith Gandor, et avait rejoint l'organisation en tant qu'alliée fidèle. Enfin, c'est l'histoire qu'elle aimait bien raconter. Dans les faits, elle était plus une invitée indésirable qu'autre chose.


On ne voyait pas souvent de femmes dans les bureaux des Gandor, et encore moins des señora mexicaines ; il y avait eu quelques frictions entre elle et d'autres membres de la Famille à son arrivée. En vérité, ce n'était pas son sexe ou sa nationalité qui avaient été à l'origine de la plupart des tensions, mais plutôt sa personnalité d'une innocence outrancière.


Finalement, elle et le reste de la Famille s'étaient relativement adaptés l'un à l'autre, et aucun problème sérieux n'avait émergé depuis en interne. À la place, elle avait commencé sans attendre à causer des soucis mineurs mais qui flanquaient des migraines à tout le monde, comme celui qui poussait Luck à soupirer avec désolation en ce moment.


"J'apprécie que vous vous chargiez de nos clients incorrects. Je ne vous reproche rien de ce côté-là. J'aimerais juste savoir si vous pouvez le faire avec moins de dommage collatéral."


Maria sourit avec élégance et mit la main sur les deux épées accrochées à sa taille. Les poignées brillant d'un éclat sombre, attachées aux lames qui avaient l'air un peu trop longues pour qu'une personne aux bras si délicats puisse les manier, formaient un contraste marquant avec sa tenue bariolée.


"Murasamia et Kochite3 ne peuvent s'empêcher de trancher tout ce qui leur plaise quand je les dégaine, tu vois !"


"Ne rejetez pas la faute sur vos armes."


"Hmph."


"Comment ça, hmph ?!"


La paume claqua sur la table pour la troisième fois. Certains des membres de la Famille ne parvinrent plus à se retenir et éclatèrent de rire devant cette farce. Luck leur jeta un regard glacial et ils se tournèrent en hâte, mais il n'y avait qu'à observer comment leurs épaules remuaient pour deviner qu'ils devaient lutter pour se contenir. Luck, qui était d'habitude si calme et impassible, semblait avoir du mal à parler avec Maria, et trop souvent leurs discussions donnaient l'impression d'un professeur débutant faisant la morale à un élève turbulent.


Techniquement, il aurait pu la punir bien plus sévèrement qu'il ne le faisait, mais Maria était la meilleure combattante dont ils disposaient. Certes, en dehors de la Famille, il y avait bien le tueur professionnel Vino, mais Luck le trouvait bien trop capricieux et pas assez fiable pour le considérer comme une de leurs ressources.


En d'autres termes, il n'y avait personne chez les Gandor en mesure d'infliger une réelle punition à Maria. Il est vrai qu'elle obéissait sans question à tout ce que disait Keith, le frère de Luck, mais celui-ci prenait rarement la parole plus d'une fois par mois, avec beaucoup de chance, et il semblait peu enclin à corriger le comportement de Maria.


Son autre frère, Berga, semblait apprécier la personnalité affirmée de Maria ; quand Luck lui avait demandé, il avait juste ricané et répondu, "Laisse-la donc faire ce qu'elle veut, okay ?"


Ce qui laissait Luck, aussi enjoué que s'il venait de mordre dans un citron, seul pour faire la leçon à la meilleure assassin de leur organisation.


"Et puis, ça fait si longtemps que je ne me suis pas amusée... Y'a jamais personne qui attaque le casino."


"Bien sûr que personne n'attaque ! Pourquoi attaqueraient-ils ?! Avez-vous la moindre idée de la quantité de travail que nous accomplissons pour éviter de nous faire des ennemis ?! Dans le meilleur scénario, vous devriez pouvoir danser sur scène sans interruption, et sans que quiconque ne déclenche d'incident."


Maria ne put se retenir plus longtemps.


"C'est pas drôle ! Pas drôle pas drôle pas drôle pas drôle du tout, amigo ! Tu sais que je suis une assassin, quand même ! Tu n'as rien de plus excitant ou d'amusant ? C'est à mourir d'ennui, danser jour après jour après jour ! Si je continue comme ça je vais finir par trancher les yeux du premier qui me regarde de travers !"


"Miss Maria, ça ne me fait pas rire."


Luck sembla comprendre qu'il était inutile de poursuivre sur cette voie et changea de tactique.


"Très bien, Miss. Si vous insistez, je peux vous confier une autre tâche."


"Ah ? Vraiment ?! Merci, amigo ! Alors, quel chef mafieux veux-tu envoyer ad patres ?"


"Rien d'aussi terrible que ça, je le crains."


"Quoi, terrible ? Allez, je pourrais juste faire un tour dans cette petite camorra tout près. Les Martillo, quelque chose comme ça ? J'y vais et je m'occupe du boss, si tu veux !"


Si ces mots étaient arrivés par mégarde dans l'oreille de quelqu'un n'appartenant pas à la Famille, ils auraient pu avoir de sérieux problèmes. Luck rassembla ses mains et baissa la tête, comme s'il s'adressait à un dieu restant insensible à ses prières. Il soupira de nouveau, et décida d'essayer de faire comprendre la situation à Maria.


"Miss Maria. Nous faisons continuellement de notre mieux pour nous assurer que de tels conflits n'éclatent jamais. Si une guerre de territoire devait éclater en ce moment, la Cosa Nostra de Lucky Luciano serait sur nous avant qu'on ait eu le temps de dire ouf."


La Mafia de l'époque était en train de se moderniser à vitesse grand V, suite aux efforts du fameux Lucky Luciano. Une vaste organisation connue sous le nom de Cosa Nostra dirigeait le monde criminel d'une main de fer, et même les affaires de revanche ou de guerre de territoire devaient d'abord être approuvées par le conseil de la Cosa.


La Famille Gandor n'appartenait pas à la Cosa Nostra, mais c'était justement pour cette raison qu'ils devaient redoubler de prudence. Luck en particulier, qui détenait un poste de responsabilité majeure au sein de l'organisation, tenait plus que tout à éviter tout ce qui aurait pu mener à la décimation de la Famille. Et ainsi il décida de confier à la femme devant lui une mission qui maintiendrait le statu quo, comme il le désirait.


"Si vous souhaitez tant vous battre, je vais vous donner un boulot qui pourrait justement vous donner une chance d'exercer vos talents. Il s'agit de traiter avec des délinquants qui n'appartiennent à aucune organisation connue, dans un endroit où vous n'aurez pas l'opportunité d'endommager notre propre équipement. Bien entendu, tout dépendra du succès des négociations."


"De quoi s'agit-il, amigo ?"


Maria se pencha légèrement en avant, une lueur de curiosité brillant dans son regard, et Luck se dépêcha de saisir cette chance.


"Il semble qu'une bande de menu fretin se promène dans le quartier et fasse toutes sortes de deals sans notre permission depuis l'an dernier. Évidemment, ils ne font que jouer au lieu de mener un trafic sérieux, mais... Comme vous le savez, la Prohibition va être levée cette année."


"Ah, vraiment ?"


"Oui !"


La Prohibition avait eu une énorme influence sur l'histoire américaine depuis sa proclamation en 1920, et notamment sur la croissance des organisations criminelles. Il va sans dire que cette influence avait été éminemment positive.


Les lois de la Prohibition avaient été instituées suite aux désirs des politiciens et de certains groupes citoyens, mais au lieu de diminuer les ventes d'alcool comme prévu, elles avaient déclenché une nette montée des bars clandestins et de la distillation d'alcool illégale, créant une des sources de revenus les plus importantes des gangs et mafias des États-Unis.


Cette conséquence imprévue avait à son tour déclenché des protestations envers les lois fautives, et finalement, en Février 1933, le Congrès avait modifié la Constitution. Les états abolirent leurs lois individuelles une par une, et quand l'Utah mit fin à l'interdiction de consommation d'alcool en Décembre cette année-là, cela signa la fin d'une époque faste.


Ce temps n'était pas encore tout à fait venu, mais on pouvait entendre dans toutes les bouches que la Prohibition était sur le point de s'arrêter, et les débits de boisson pouvaient désormais commander au grand jour leurs alcools auprès de distilleries officielles au lieu d'avoir recours à la contrebande.


Cela força à leur tour les gangs américains, qui tiraient d'importants profits de leur trafic d'alcool, à se trouver de nouvelles sources de revenus. La Famille Gandor, dont la majorité des fonds provenaient de la production et revente clandestine d'alcool, ne faisait pas exception, et Luck se débattait avec le problème depuis un certain temps déjà...


"Miss Maria, ces jeunes fauteurs de trouble ont entamé plusieurs activités illégales dans nos rues, sans permission. Ils touchent à la distillation d'alcool, aux paris sur les courses, et procèdent même à du trafic illicite. Normalement nous les secouerions un peu et les laisserions tranquille, mais il semblerait que leur groupe comporte plus de membres que ce que nous supposions... C'est un peu un casse-tête."


"Je t'entends haut et clair, amigo ! Alors tu veux que j'y aille et que je les découpe tous en morceaux !"


"...Je ne tiens même pas à savoir comment vous procédiez avant d'arriver ici. Bref, nous ne souhaitons pas causer tout un remue-ménage, alors j'aimerais que vous alliez simplement intimider un peu leur chef. Juste assez pour qu'il n'envisage pas de se mettre sur notre chemin. Bien sûr, s'il accepte directement nos exigences, cela ne sera même pas nécessaire."


Maria y réfléchit un moment et dit, "Je pense que j'ai compris, amigo. Alors, tu veux que je découpe seulement un des leurs pour commencer, et s'ils attaquent je peux prendre ça comme une déclaration—"


"Miss Maria."


"...Pardon. Je me suis un peu laissée emporter, amigo."


Maria n'eut d'autre choix que de s'excuser face au sourire glacial de Luck. Le temps qu'elle avait passé dans les bas-fonds de la société lui rendait bien service, car elle était maintenant capable de sentir instinctivement lorsqu'elle était sur le point de dépasser les bornes et de s'attirer les foudres de quelqu'un.


"Le problème est qu'il opèrent sur notre territoire, mais que leur base se trouve dans le territoire d'une autre organisation. Nous avons passé un cessez-le-feu avec l'organisation en question, aussi j'apprécierais énormément que vous vous absteniez de commettre un carnage."


Attendri par l'expression contrite de Maria, Luck prit une voix plus tranquille et commença à expliquer les détails.


"Pour être bref, je voudrais que vous serviez de garde du corps. Monsieur Tick va se charger des négociations et des menaces. Tout ce que vous avez à faire est de le garder en sécurité."


Luck jeta un regard appuyé vers le fond de la salle, et Maria se tourna pour regarder elle aussi. Tous deux virent un jeune homme assis à une petite table, ses ciseaux claquant en rythme tandis qu'il taillait un vase de fleurs.


Il s'appelait Tick Jefferson, et c'était l'expert en torture de la Famille Gandor.


Le jeune homme continua à couper les fleurs avec un sourire radieux, jusqu'à ce qu'il finisse par réaliser qu'il était observé ; il leva un bras et leur fit signe de la main. Il tenait une paire de ciseaux en argent étincelant qui réfléchissaient la lumière tandis qu'il agitait sa main d'avant en arrière, traçant un arc métallique par dessus sa tête.


"Hé~ Besoin de quelque chose ?"


Si on s'en tenait à sa voix et à ses gestes, on aurait estimé avoir affaire à un jeune homme affable – peut-être un peu enfantin, mais sympathique néanmoins ; seulement, les ciseaux dans sa main ruinaient complètement cette apparence ordinaire.


Luck lui sourit brièvement puis se tourna à nouveau vers Maria. Comme Tick, elle était en train de sourire innocemment, et agitait la main en réponse au tortionnaire.


'...On dirait que vous êtes à peu près aussi matures l'un que l'autre.'


Luck garda ses pensées pour lui, dissimulées derrière son expression impassible, et poursuivit ses explications.


"J'ai déjà tout expliqué à Monsieur Tick, alors je laisse l'affaire entre vos mains expertes. Ah, encore une chose ! Les délinquants avec lesquels vous allez traiter ont aussi fait des affaires sur le territoire de la Famille Martillo, alors eux aussi sont impliqués. Ils m'ont signifié qu'ils n'allaient pas tarder à régler cette affaire également, alors s'il vous plaît, s'il vous plaît, ne faites rien qui nous attire des soucis avec eux !"


"...Ouais, d'accord..."




"Hééé !"


Maria bondit de sa chaise sitôt que Luck eut fini de parler et fila jusqu'à la table de Tick, prenant un siège en face de lui et lui souriant doucement.


"Qu'est-ce que tu fais, amigo ?"


Elle l'étudia comme s'il procédait à un rituel fascinant. Il y avait un vase rempli de fleurs sur la table, et de temps en temps Tick plongeait ses ciseaux au hasard dans le bouquet et les refermait dans un claquement. Les lames frottaient l'une contre l'autre dans un bruit métallique, et quand le son s'éteignait une fleur tombait silencieusement sur la table, sa tige tranchée en deux.


"Je coupe les fleurs," répondit Tick calmement, ramassant la fleur tombée et la remettant dans le vase.


"Edith me les a données. Elle a dit que je ferais un bon fleuriste."


Edith était employée dans un des bars de la Famille Gandor. Elle avait fait la rencontre de Tick lors d'une série d'événements étranges, et s'était attachée à lui comme à un ami, aussi lui avait-elle offert ces fleurs. Mais...


"Je trouve que les fleurs sont incroyables."


Tchac


Le bruit métallique résonna encore, et une nouvelle fleur tomba sur la table. Tick avait dit à Edith qu'il les couperait avec soin, et fidèle à sa parole, il avait passé les derniers jours à les couper en morceaux.


"On peut les couper en deux, et elles restent en vie tant qu'on les met dans l'eau, tu vois ?"


Bien que les fleurs aient déjà été taillées quand il les avait reçues, et qu'il n'ait épargné aucune des tiges durant sa découpe, aucune fleur n'avait encore fané complètement. Le bouquet faisait maintenant la moitié de sa taille initiale, et les fleurs à l'origine soigneusement groupées étaient désormais rassemblées dans des tas hasardeux qui leur donnaient un air négligé et pitoyable. Edith lui avait dit qu'il ferait un bon fleuriste, mais on aurait eu du mal à croire que quiconque achète un bouquet aussi dépenaillé.


"Mmm... Je vois, mais moi je veux trancher des choses un peu plus substantielles que de simples fleurs, amigo," dit Maria, déraillant le fil de la conversation. La plupart des membres de la Famille se tenaient à l'écart de Tick, trouvant ses petites habitudes assez dérangeantes, mais Maria n'était absolument pas impressionnée par les passe-temps étranges du jeune homme.


"Alors, cette mission ! Quand est-ce qu'on y va, amigo ? Maintenant, hein ? On y va tout de suite, hein ?!"


Maria se pencha en avant, les yeux étincelants. Son menton délicat touchait les pétales du bouquet. Si quelqu'un avait pris une photo de cet instant, elle aurait été singulièrement belle, mais les mots de la jeune femme ruinaient l'atmosphère. Les hommes qui l'observaient soupirèrent et murmurèrent avec envie qu'elle aurait été parfaite si seulement elle avait été saine d'esprit.


Seul Tick sourit innocemment et dit, "Wouah, Maria. Tu as l'air encore plus mignonne avec ces fleurs~"


"Vraiment ? Tu trouves ? Merci !"



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Maria sembla accepter le compliment avec plaisir, observant les fleurs avec curiosité. Il y avait de nombreuses variétés différentes dans le vase, mais au lieu de prendre des espèces flamboyantes ou particulièrement précieuses, Edith avait choisi des fleurs apaisantes et agréables à l'œil.


"Hmm..."


Maria fixa le vase quelques instants, perdu dans ses pensées, puis agrippa soudain le bras de Tick.


"Les fleurs peuvent attendre qu'on ait fini ! Allez, allons faire ce boulot ! S'il te plaît ?"


Elle ressemblait presque à une gamine impatiente de partir au carnaval, tirant avec insistance sur le bras de Tick. Incapable de refuser sa proposition énergique, Tick donna un dernier coup de ciseaux au bouquet et se leva, murmurant dans sa barbe.


"...Je me demande si cette fleur aussi a une famille..."


"Qu'est-ce qu'il y a ?"


"Ah, ce n'est rien."


Le sourire de Tick sembla s'adoucir et devenir encore plus gentil qu'avant. Suivant Maria, il monta les marches qui menaient à l'extérieur.


Leurs visages étaient entièrement dépourvus de peur ou d'hésitation, et on pouvait se demander s'ils réalisaient vraiment ce qu'ils partaient faire. S'ils avaient bien conscience que la plus petite erreur risquait de causer un bain de sang...




Les gangsters restés dans la pièce discutaient tranquillement entre eux après le départ des deux comparses.


"Tu pense que ces deux-là vont s'en sortir ?"


"Ils se comportent comme des gamins, c'est vrai, mais en même temps les petits morveux qu'ils vont voir sont des gamins, alors ça devrait aller. Je veux dire, Tick parle comme un abruti, mais il est loin d'être idiot."


"Et puis Maria est avec lui, alors il ne risque pas grand chose."


"Ces katanas qu'elle se trimballe sont plus flippants que la plupart des mitraillettes..."


Les hommes avaient tous confiance en Maria et ses compétences à un certain niveau, et personne ne se faisait vraiment de souci pour eux. Luck s'avança et vint briser l'ambiance détendue qui régnait.


"Messieurs. Ne pensez-vous pas que vous vous reposez un peu trop sur la force de votre camarade ?"


Si une organisation venait à s'appuyer exagérément sur la compétence d'un seul individu, le reste des membres risquait de devenir trop confiants ou indolents. Luck tenait plus que tout à éviter ce cas de figure. Il avait craint que ça n'arrive lorsque Vino leur avait prêté main forte, mais heureusement l'assassin réputé s'était très vite lassé de sa visite et s'était empressé de leur faire ses adieux, ce qui avait coupé court à la situation.


Et maintenant c'était Maria le problème. La Famille Gandor ne pouvait absolument pas se permettre que des rumeurs circulent comme quoi leur puissance reposerait entièrement sur les caprices d'une jeune femme.


"Mais Patron, vous devez admettre qu'elle pourrait probablement réellement aller chez les Martillo et nous ramener la tête du Don toute seu—"


"Je ne veux pas entendre une seule plaisanterie à ce sujet. À moins que tu n'aies décidé que la vie ne te pèse trop, auquel cas, continue je t'en prie."


Sa voix était positivement glaciale ; on ne distinguait plus aucune trace de l'agacement qui y régnait lorsqu'il parlait avec Maria. Le gangster à qui la menace était adressée sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.


"Et puis, il n'y a pas de quoi rire des Martillo. Ils ont Ronnie Schiatto, un homme à l'égal de Vino lui-même... Et il ne faut pas non plus sous-estimer Yaguruma et Maiza."


Une fois qu'il eut fini de remettre ses subordonnés au pas, Luck marmonna silencieusement, "Et puis il y a leur plus jeune cadre... Firo Prochainezo, lui aussi..."



——



Au même moment

À l'Alveare



"Tu es horrible, Firo !"


"Pire que tout !"


"Tu dois être la personne la plus méchante du monde !"


"Du monde entier !"


Il y avait une rue qui s'étendait entre Little Italy et Chinatown, où on pouvait trouver un magasin de spécialités au miel, et dans ce magasin se trouvait un petit restaurant. Une enseigne en métal en forme de nid d'abeilles était accroché à l'entrée, avec le mot Alveare – "nid d'abeilles" en italien – écrit dessus.


Parmi les organisations criminelles en Italie, il existait un groupe appelé la Camorra. Ils avaient une structure différente et suivaient d'autres règles que la mafia, et ils comptaient parmi les trois cercles criminels les plus puissants du pays, avec la Mafia Sicilienne et la 'Ndrangheta. Comptant dans les nombreuses organisations inférieures qui constituaient la Camorra se trouvait la Famille Martillo, un gang qui contrôlait de petites portions de Little Italy et de Chinatown. Ce restaurant, baigné d'une odeur de miel, était leur base d'opérations.


Il avait autrefois servi de bar clandestin, le plus grand de tout le territoire des Martillo, mais avec la fin imminente de la Prohibition ils en avaient fait un établissement en règle. À l'intérieur, on pouvait voir un chandelier qui étincelait comme du cristal, un comptoir décoré de sculptures grandioses, des tables, des lampes à huile ornant les murs... Tout l'endroit était recouvert de décorations flamboyantes, et par dessus tout imprégné de l'odeur de mets délicieux, préparés avec de généreuses doses de miel.


C'était l'heure du déjeuner, et normalement le restaurant aurait dû être rempli de clients affamés... Mais ce jour-là, les chose étaient un peu différentes.


"Oh, allez. Lâchez-moi un peu. J'ai dit que j'étais désolé, okay ?"


Un homme s'appuyait de tout son poids contre le comptoir, une expression d'irritation et d'agacement sur le visage tandis qu'il s'excusait contre son gré. Il avait l'air d'avoir tout juste la vingtaine, peut-être même dix-huit ou dix-neuf ans seulement. Si quelqu'un s'était uniquement fié au visage enfantin, il aurait facilement pu lui donner encore moins que ça.


L'homme était entouré de plusieurs personnes, et en première ligne de la foule bigarrée qui l'assiégeait se trouvait un couple protestant de vive voix, agitant follement leurs bras pour signifier leur mécontentement.


"Désolé ne suffit pas !"


"Ne suffit pas du tout !"


L'homme qui criait portait un smoking qui le faisait ressembler à un prestidigitateur, et peut-être dans un effort d'accorder sa tenue à la sienne, la femme à ses côtés portait une robe qui n'aurait pas dépareillé dans un bal mondain. Ils avaient l'air complètement incongrus dans ce décor, mais personne ici n'aurait envisagé de questionner leurs choix vestimentaires.


L'homme, Isaac Dian, agita son poing en l'air en dévisageant l'homme au comptoir.


"Est-ce que tu as la moindre idée de l'effort qu'on a mis à poser ces dominos ?!"


La femme, Miria Harvent, protesta de plus belle, agitant elle aussi ses poings serrés avec rage.


"Notre sang, notre sueur, nos larmes ont été dépensés pour ces dominos, tu sais !"


Le jeune homme, Firo Prochainezo, soupira de nouveau en les voyant fulminer avec colère.


"Désolé, mais bon, je ne me rappelle pas avoir vu du sang ou des larmes couler."


"N'essaie même pas de tromper la passion vertueuse qui coule dans nos veines avec ta langue sournoise !"


"Isaac a pleuré un peu quand tu as renversé les dominos, tu sais !"


Leurs paroles ne faisaient pas grand sens, mais les gens autour d'eux semblaient approuver, et eux aussi rejoignirent la danse pour réprimander le jeune homme.



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"Sois un homme, Firo, admets que c'était ta faute."


"T'as fait une belle boulette."


"Tu manques de concentration. C'est parce que tu t'es relâché à l'entraînement."


"Je pense que tu devrais essayer de t'excuser plus sincèrement, Firo."


"Firo..."


"Oula, encore plus par terre de choses à nettoyer, à cause de Firo."


"Vas-y, rentre chez toi."


"Ouais, dégage."


"Allez, dehors."


"Sors d'ici."


Au début, il avait encaissé toutes les remarques sans se plaindre, mais il semblait de plus en plus irrité que ses compagnons se déchaînent sur lui de cette façon. La ride d'agacement sur son front se creusa lentement dans une expression de colère véritable.


'...Je suis un capo de la Famille Martillo, quand même ?


Randy et Pecho, d'accord. Eux aussi sont des cadres de la Famille. Mais pourquoi je devrais rester assis là, à me faire enguirlander par Czes, et les membres subordonnés de la Famille, et même par Lia, la foutue serveuse ?


Okay, j'ai fait une bêtise. Mais rien qui mérite une engueulade en règle comme celle-là !'


Firo ressassait ces pensées amères d'un air maussade, la colère montant en lui jusqu'à ce que...


"Rembourse-nous pour ces dominos !"


"Nous exigeons compensation !"


...Il finisse par déborder.


"Fermez-la !"


"Wah !"


"Aah !"


"Bon dieu, pourquoi je devrais rembourser qui que ce soit pour ces stupides dominos ? Je les ai juste renversés, quoi ! Est-ce que je les ai cassés ? Hein ? Quoi, est-ce qu'il ont volé en éclats minuscules juste parce que je les ai faits tomber ?! Alors ?!"


Isaac et Miria se figèrent sous le choc en voyant Firo éclater aussi violemment. Mais il n'avait pas fini d'épancher sa colère, et il poursuivit.


"Je veux dire, on est censé venir manger dans cet endroit, pas venir poser des dominos ! Je vous laisse même emprunter notre QG pour ces conneries, vous savez, alors vous pouvez pas arrêter et me ficher la paix cinq minutes ?!"


Firo s'arrêta, respirant profondément, dévisageant la paire du regard. Randy et Pecho chuchotaient bruyamment entre eux, jetant un coup d'œil peu amène au jeune homme furieux.


"À l'écouter on croirait que c'est nous les méchants..."


"Je ne l'ai pas entendu râler pendant qu'il les posait les dominos, ça non."


Firo pouvait les entendre, mais il les ignora délibérément et garda son visage figé dans un masque de rage. Isaac et Miria restèrent immobiles un long moment, puis se mirent à trembler à l'unisson, et...


"Aaaagh ! Tu es vraiment odieux, Firo !"


"Waaah ! Tu es un vrai touhenboku4, Firo ! Un barbare ! Stupide et méchant et un sale type, un triple plouc !"


...Déversant un torrent des plus terribles insultes qu'ils pouvaient imaginer, ils se précipitèrent vers la sortie, pleurant à chaudes larmes.


"...To, toehen... quoi ?"


Firo hésita, sa colère transformée en confusion tandis qu'il essayait de comprendre ce que Miria avait dit. Yaguruma, qui avait émigré du Japon, murmura silencieusement dans sa barbe, "Je me demande comment il se fait que Miss Miria connaisse aussi bien la langue japonaise..."


Isaac et Miria ouvrirent la porte à la volée et manquèrent de renverser l'homme qui s'apprêtait à entrer de l'autre côté. Un sac en papier à la main, il fit un agile pas de côté pour éviter la collision.


"Que se passe-t-il ?"


Juste au moment où ils semblaient partis pour de bon, Miria pencha la tête derrière l'homme dans l'encadrement et tira la langue à Firo.


"Bleaaah ! J'espère que M. Yagyou5 viendra te piétiner avec son cheval sans tête, Firo !"


Ayant livré une dernière réplique dévastatrice, elle suivit Isaac avec de furieuses enjambées. La vision de Miria s'éloignant en courant, sa longue robe claquant dans l'air derrière elle, faisait distraitement penser à Cendrillon.


"Qui c'est ce type, Yagyou ? Bon sang... Je suis tellement perdu que je ne suis même plus énervé..."


Il se retourna, toujours en marmonnant, et s'aperçut que toutes les personnes présentes le dévisageaient du regard. Ils ne dirent pas un mot, mais leurs yeux communiquaient clairement leur mépris.


"...Okay, j'ai compris ! J'avais tort, d'accord ? Tout est de ma faute ! Voilà, vous êtes contents ?"


L'homme qui venait d'entrer observa curieusement Firo.


"Quelque chose s'est passé pendant que j'étais sorti ?"


"Ah, Monsieur Ronnie. Non, ce n'était rien. J'ai juste renversé les dominos d'Isaac et Miria avant qu'ils aient terminés."


L'attitude de Firo passa instantanément de l'irritation à une déférence respectueuse. Officiellement, Ronnie était le chiamatore – secrétaire – de la Famille Martillo. Officieusement, il était le chef en second de l'organisation.


"Hmm. Je vois... Alors ils se sont enfuis en courant. Mais où sont-ils partis ?"


"Ce n'est rien, ne vous en faites pas. Ils n'ont nulle part où aller, alors ils reviendront quand ils auront faim."


"...Peu importe. Il faut que je ressorte de toute façon, alors si jamais je les croise, je leur parlerai et je les ramènerai ici."


Firo écarquilla les yeux face à l'offre de son supérieur.


"N-non, ce n'est pas la peine, vraiment ! Vous n'avez pas à—"


"Si jamais je les croise, j'ai dit. Sinon, hé bien tant pis," dit calmement Ronnie, sortant un tas de poivrières du sac en papier et les disposant sur le comptoir.


"Et j'ai entendu dire que les ouvriers du chantier du fleuve avaient été attaqués par un groupe de personnes étranges. Il n'y a probablement pas de quoi s'inquiéter, mais ça ne coûte rien de se montrer prudent."


Il finit de déposer le contenu du sac et se retourna aussitôt vers la sortie. Une silhouette svelte s'avança pour le suivre.


"Je veux venir avec vous."


"Ennis," dit Firo, surpris par l'intervention de la jeune femme en costume noir. "Je t'assure qu'il n'y a pas de quoi s'en faire. Ils vont revenir d'eux-mêmes tôt ou tard."


"Mais ce qu'a dit Monsieur Ronnie m'inquiète, alors..."


Ennis s'approcha de Firo et se pencha vers lui, ses lèvres effleurant presque son oreille.


"...Essaie de préparer des excuses convenables pendant qu'on est sortis, je t'en prie," lui dit-elle, comme un adulte sermonnant gentiment un enfant. Au lieu de s'énerver ou de répliquer, Firo vira au rouge écrevisse et put seulement acquiescer péniblement.


"D-d'accord..."


Firo fronça les sourcils d'un air exagéré, et détourna les yeux comme un garçon embarrassé. Ennis lui sourit gentiment et s'éloigna, franchissant la porte et s'enfonçant dans les rues de New York.


Firo l'observa partir et se retourna lentement, s'attendant au pire. Mais plus personne ne le dévisageait ; ils semblaient tous être retournés à leurs propres affaires, entamant leur déjeuner ou lisant le journal. Firo poussa un soupir, de soulagement cette fois, et s'assit au comptoir pour terminer son café. Un autre homme s'assit à côté de lui comme s'il s'agissait du geste le plus naturel au monde.


"Hé."


"Maiza..."


C'était un homme plutôt grand, chaussé d'une paire de lunettes : Maiza Avaro, le conta è oro – comptable – de l'organisation, et également le mentor de Firo. Lui seul s'était abstenu de rejoindre la foule qui avait choisie d'accabler Firo. Peut-être avait-il décidé d'attendre qu'il soit seul pour lui faire ses reproches ? Firo jeta un regard à Maiza du coin de l'œil, tentant de jauger les intentions de l'homme.


"Firo," dit Maiza, sans perdre son expression cordiale, "tu l'as fait exprès, n'est-ce pas."


"...Fait quoi ?"


"Je veux dire que tu as délibérément renversé les dominos."


Il y eut un long silence.


La voix de Maiza était tranquille mais ferme. Firo observa autour de lui pour voir si quelqu'un avait entendu leur conversation, mais personne ne leur prêtait attention pour le moment.


"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler."


"Firo."


Toujours calme, la voix renfermait une force inébranlable, qui refusait de le laisser nier les faits. Firo resta silencieux quelques instants, puis finit par admettre défaite.


"...Ouais."


"Pourquoi ?"


Le jeune homme réfléchit plusieurs secondes, puis répondit brièvement.


"J'avais peur."


"Peur ?"


"Le vieil homme, Szilard. Ses souvenirs dans ma tête dépassent de loin ma compréhension."


Szilard.

Cette fois-ci, c'est Maiza qui garda le silence à la mention soudaine de ce nom de triste mémoire.


"Je pense... Je pense qu'il existe une sorte de karma pour nous autres immortels, un genre de punition pour avoir fait disparaître la fin qui nous attendait."



——



"Bon dieu... Est-ce que vous avez la moindre idée de la somme que nous avons dû payer à ces informateurs pour obtenir une piste sur votre emplacement ? Ces gens-là se ferment comme une huître dès qu'on prononce le mot 'immortels'. Nous avons pratiquement dû leur amener des infos et du liquide par camions entiers juste pour pouvoir déterminer où vous vous trouviez. J'estime qu'un minimum de gratitude serait de mise, vous ne trouvez pas ?"


"...Qu'est-ce que j'en ai à foutre de vos histoires."


"Ah, vous avez raison. Alors peut-être pouvons nous aborder un sujet plus au cœur de vos préoccupations, Monsieur Dallas. Que savez-vous exactement sur les immortels ?"


Un groupe de personnes vêtues de façon peu conventionnelle remontait la route menant jusqu'à Little Italy. Il s'agissait des Larvae, menés par Tim. Au premier coup d'œil ils ressemblaient à n'importe quel autre groupe de canailles traînant dans les quartiers pauvres, mais certains d'entre eux portaient des costumes de banquier qui brisaient cette impression.


"Quels détails Szilard Quates a-t-il mentionné sur votre condition lorsque vous êtes devenu immortel ?" demanda Tim à Dallas, qui suivait le groupe d'une dizaine de personnes, traînant le pas quelques mètres en arrière.


"Va donc radoter en Enfer," marmonna Dallas, fixant toujours avec fureur l'arrière de la tête de Tim.


"Très bien, dans ce cas je vais prendre la liberté de vous expliquer les fondamentaux, au cas où vous les ignoreriez encore. Le premier point, et le plus important, est que vous n'êtes pas vraiment immortel. Vous ne pouvez pas être tué, mais vous continuez à vieillir. Vous représentez une étape intermédiaire entre un humain et un immortel, car vous allez quand même mourir de vieillesse. On pourrait dire que vous êtes un modèle défectueux."


'...Cet enfoiré a un don pour me les briser menu.'


Le regard furieux de Dallas s'intensifia, ce qui n'eut aucune conséquence sur le crâne de Tim, à son grand regret.


"Les vrais immortels sont une bande d'alchimistes qui ont passé un pacte avec un démon il y a deux cent ans de ça, et ont bu l'élixir d'immortalité."


"Des alchimistes ?"


"Ouh là, est-ce que je dois même expliquer ça ? Adelle, occupe-toi de cette partie, tu veux bien ?"


"Quoi ? Ah, bien sûr !" s'exclama Adelle, déstabilisée par la requête inattendue. La jeune femme marchait docilement aux côtés de Dallas depuis qu'ils étaient partis. Elle portait des habits blancs spécialement taillés pour ne pas gêner le mouvement, et une espèce d'étrange bâton était accroché sur son dos. On aurait dit qu'il s'agissait d'une arme, mais Dallas n'arrivait pas à imaginer de quel genre. Pas qu'il en aie particulièrement éprouvé l'envie.


Il ressentait une aversion particulière envers cette femme, qui paraissait apeurée et aisément intimidée par le plus petit détail. Et pour couronner le tout, Tim l'avait averti que s'il leur désobéissait, Adelle serait celle qui irait tuer sa sœur. Rien que le fait d'y repenser lui donnait envie d'étriper cette fille.


'...Pas qu'elle ait l'air capable de tuer qui que ce soit, mais...'


Dallas s'interrompit et secoua la tête. Trois ans plus tôt, il s'était fait administrer la raclée du millénaire par une fille juste comme Adelle. Elle s'appelait Ennis, et Dallas cracha par terre avec dédain en se remémorant le visage associé à ce nom.


"...Hé bien, les, ah, alchimistes sont des gens qui, disons, ils font... Ah, excusez-moi, vous m'écoutez bien ?"


"Est-ce que j'ai l'air de t'écouter, pauv'conne ?"


"C-ce n'est pas la peine d'être aussi agressif..."


À contrecœur, il fit mine d'écouter d'une oreille et se remit à fixer Tim avec mépris.


"Bon, c'est quoi votre problème avec ces immortels."


Tim se mit à rire et répondit, "Hé bien, pour aller droit au but, nous avons entendu des rumeurs affirmant qu'il y aurait un certain nombre d'immortels véritables dans cette zone. Ce sont des renseignements que notre chef Huey a obtenu auprès d'intermédiaires, et nous n'avons pas pu le confirmer nous-mêmes, mais il semblerait que le vieillard qui vous a rendu immortel, Szilard, se soit fait dévorer par un de ces immortels il y a quelques temps."


Dévoré. C'était un terme surprenant, mais qui évoquait une image bien distincte dans les souvenirs de Dallas. Il s'en rappelait parfaitement. Ça s'était passé juste après qu'il soit devenu un immortel incomplet. Szilard avait simplement placé la main droite sur la tête d'un de ses acolytes, et l'homme avait été aspiré par sa paume.


"Vous voyez, les véritables immortels sont capables de dévorer d'autres immortels avec leur main droite – y compris les rebuts comme vous – tandis que vous, bien sûr, êtes incapables de leur retourner la faveur. Fondamentalement, vous existez uniquement pour être exploités."


"Ferme-la, et arrête de te foutre de ma gueule."


"Très bien, très bien, ne vous énervez pas comme ça. Enfin bref, pour faire court, notre chef Huey Laforet est un des ces véritables immortels," dit Tim, révélant calmement les rouages internes de leur organisation à Dallas sans sembler se préoccuper du fait qu'il soit un complet étranger. Mais Dallas semblait peu fasciné par les secrets qu'on lui révélait et cracha de nouveau, comme pour signifier à Tim de se grouiller d'en arriver au cœur du sujet.


"Vous n'êtes pas curieux de savoir qui a dévoré Szilard ?"


"Et pourquoi ça m'intéresserait ?" répondit Dallas avec défiance. Tim ignora sa rebuffade et prononça le nom de la personne en question.


"Firo Prochainezo."


Dallas s'arrêta soudain. Il fit tourner le nom dans sa tête, analysant le sens de ce qu'on venait de lui révéler, raide comme un piquet au milieu de la rue.


'Un, ce salopiaud est toujours vivant.

Deux, ce salopiaud est un véritable immortel.

Trois, ce salopiaud peut me tuer, et moi je ne peux pas le tuer.'


"Vous vous moquez de moi, putain," marmonna-t-il, essayant sans succès de trouver une autre conclusion que celle qui s'imposait à lui ; des gouttes de sueur coulaient sur son visage.


Il se sentit en proie à une terrible appréhension ; à la sensation terrible qu'il était soudainement devenu l'être le plus chétif du monde entier.



——



Immortel.


Firo Prochainezo était immortel. Il l'était devenu par hasard, lorsqu'il s'était retrouvé entraîné dans un conflit entre alchimistes trois ans plus tôt.


Et il n'y avait pas que lui. Tous les cadres de la Famille Martillo, les trois chefs de la Famille Gandor, le couple de voleurs Isaac et Miria, plusieurs relations familiales des membres de la Famille, deux employées de l'Alveare... Tous ces gens avaient reçu le don de l'immortalité en l'espace d'une seule nuit.


Szilard Quates était l'un des alchimistes qui avait déclenché l'incident, mais tous ses souvenirs et toute son expérience avaient été absorbés cette nuit-là par le jeune Firo Prochainezo. Pas seulement ses souvenirs et son expérience, mais son passé également... Tout ce qu'il avait jamais été.


"J'ai toujours les souvenirs du vieux à l'intérieur de moi-même... C'était vraiment un homme monstrueux. Je crois que j'arrive à me rappeler du genre de choses qu'il appréciait... Mais pour être honnête, je n'arrive pas à y comprendre quoi que ce soit."


Firo remua son café et commença à exposer ses pensées à Maiza.


"Il... Il se sentait le plus heureux du monde quand il pouvait arracher à quelqu'un tout ce que cette personne avait accompli. Peu importe que ça lui ait pris beaucoup de temps ou d'effort ; tout ce qui comptait, c'était que ce soit précieux pour quelqu'un d'autre, et qu'il s'en empare. Il y prenait tant de plaisir, beaucoup plus de plaisir que je n'en ai jamais ressenti dans ma vie ! Je ne sais pas quoi penser. Il a modifié mes souvenirs. J'ai l'impression qu'il était plus heureux quand il dévorait quelqu'un que je ne l'étais le jour où je suis devenu capo."


Maiza ne réagit pas à ses paroles, et continua de l'écouter attentivement.


"Je ne les comprends même pas, mais... Ces souvenirs font partie de moi, maintenant."


L'émotion transparaissait sur le visage de Firo. On y reconnaissait la terreur, pure et absolue, comme celle d'un tout jeune enfant.


"J'ai peur."


Maiza resta silencieux.


"J'ai peur, Maiza ! Tant que ces souvenirs resteront à l'intérieur de moi, je risque un jour de devenir com—"


La voix de Firo prit un accent paniqué, mais Maiza leva la main pour l'interrompre. Le jeune homme se concentra sur la paume renversée et sembla reprendre ses esprits, baissant les yeux vers sa tasse en réalisant où il était.


"Je... Je suis désolé."


"Il n'y a pas de quoi, je comprends très bien."


La serveuse vint déposer une tasse de café devant Maiza. Il ajouta deux sucres et remua le liquide sombre, gardant les yeux fixés sur le fond de la tasse tout en parlant à voix basse.


"C'est donc pour ça que tu as voulu vérifier."


Cette fois, c'était à Firo de rester silencieux et d'écouter.


"Tu voulais vérifier si, toi aussi, tu ressentais du plaisir, de la joie à prendre et à détruire ce que d'autres avaient travaillé à accomplir," dit calmement Maiza. Firo ne fit pas signe de démentir.


"Tu ne voulais pas le faire, mais tu en ressentais trop le besoin pour t'en empêcher. Peut-être que tu ressentirais effectivement du plaisir. Peut-être que non, et que tes inquiétudes s'avèreraient dépourvues de fondement. C'est pour ça que tu as tenté l'expérience avec quelque chose qui ne causerait de préjudice à personne..."


Firo dévisagea ouvertement Maiza.


"...Vous pouvez lire dans mon cerveau, c'est pas possible ?"


"Ce n'est qu'une théorie," dit Maiza, souriant doucement. "Alors, Firo. Dis-moi, comment t'es-tu senti après avoir ruiné la mise en place qu'ils avaient passé tant de temps à préparer ?"


Il se retint d'avancer une conclusion, attendant la réponse de Firo. Peut-être celui-ci s'attendait-il à la question, car il répondit aussitôt, "Quand je les ai vus pleurer, j'ai eu envie de me mettre des claques."


"Ha ha. Ça me réjouit d'entendre ça."


Maiza ne s'attendait pas à autre chose ; il rejeta la tête en arrière et éclata de rire à la réponse de Firo. Les deux camarades partagèrent un sourire amical et burent chacun une gorgée de café.


"Je vais faire de mon mieux pour tout oublier de ce monstre."


"Ce n'est pas nécessaire. Tout ce que tu as à faire, c'est d'accepter ces souvenirs et de passer outre. Tant que tu es capable de les abandonner si tu sens qu'il t'empêchent d'avancer."


Firo réfléchit un instant et dit, "Je vais essayer."

Il reprit une gorgée de café.


"Mais... Vous pensez vraiment que je peux surmonter le passé et les émotions de quelqu'un d'autre, tout seul ?"


"Je crois que c'est un dilemme que tout le monde doit affronter un jour ou l'autre, pas seulement les immortels," affirma solennellement Maiza, avant de rajouter un sucre dans sa tasse. "Et si ce passé avait été quelque chose que tu avais vécu toi-même, peut-être aurais-tu encore plus de mal à choisir de le laisser derrière toi."


Il sirota son café fort sucré et laissa son regard se perdre au loin, les yeux dans le vide.


"N'importe qui est capable de faire face à la tristesse et la douleur pour aller de l'avant, de ses propres efforts," murmura-t-il doucement, mais il y avait une conviction intense dans ses mots qui contredisait son masque de placidité. L'homme qui avait invoqué un démon il y a si longtemps, qui avait été le premier parmi ses pairs à atteindre le secret de l'immortalité, donna voix à sa philosophie.


"C'est ce que je crois, en tout cas."



——



"Grr... Maudit Firo ! On va lui faire crier grâce !"


"Il va pleurer comme une madeleine !"


"Attends, on va lui faire crier grâce et le faire pleurer comme une madeleine ? Tu ne trouves pas que c'est un peu trop cruel, Miria, ma chère ? Je pense que lui faire crier grâce suffira ! On pourra le pardonner après !"


"Wouah, Isaac. Tu es tellement charitable !"


Isaac et Miria erraient sans but dans les rues de Little Italy après être sortis en courant de l'Alveare.


"C'est ça... Peut-être qu'on pourrait lui donner un papier avec écrit 'Grâce' et lui demander de le lire à voix haute. Ou bien ramener quelque chose de si prodigieusement gracieux qu'il ne pourra s'empêcher de s'exclamer."


"Le plan parfait ! Mais pourquoi tu veux lui faire crier 'grâce' ?"


Isaac bomba le torse fièrement, comme s'il avait anticipé la question.


"Cette expression correspond en fait à un certain chant traditionnel d'origine japonaise ! Durant l'ère d'Edo, ils employaient le terme 'pardon', mais un écrivain japonais du nom de Uchida Roan6 l'a noté 'grâce' dans ses œuvres ! C'était dans un livre, Les Cent Visages ou quelque chose comme ça... Probablement un roman sur les aventures d'un voleur astucieux comme Arsène Lupin7 !"


"Tu sais vraiment tout, Isaac !"


Isaac bomba le torse encore plus en avant, flatté par l'enthousiasme de sa partenaire.


"Bien sûr ! Je ne peux pas lire le japonais, alors j'ai demandé à M. Yaguruma de le lire pour moi ! Incroyable, n'est-ce pas ?"


"C'est ce qu'on appelle déléguer les tâches !"


"...Attends, je ne me rappelle plus s'il y avait vraiment un gentleman cambrioleur comme Lupin dans l'histoire," précisa Isaac d'une voix soucieuse, soulevant un point essentiel que n'importe quelle personne saine d'esprit aurait évoqué bien avant. Miria ne parut pas déconcertée et vint à sa rescousse.


"Il devait y être, mais tu ne l'as pas remarqué parce qu'il s'était caché ! Il est sûrement super doué pour passer inaperçu !"


"Tu as raison ! Ils ne l'appellent pas l'homme aux cent visages pour rien !"


"Même un todomeki8 n'arriverait pas à le repérer !"


"Bon sang, il a dû se faufiler dans mon esprit et s'emparer de mes secrets pendant que j'étais distrait !"


Les deux voleurs partaient dans des tangentes de plus en plus bizarres en discutant leurs plans.


"Mais Firo est encore pire. Il a dérobé plus que mon cœur ! Il m'a ôté mes rêves, mes espoirs, mon avenir ! Il faut déclarer la guerre à Firo !"


"Une guerre immémoriale !"


"Pour nos dominos ! Nous ne reviendrons pas tant qu'il ne se sera pas excusé pour chacun des dominos qu'il a renversé ! Prête pour l'affrontement, Miria ?"


"Bien sûr ! ...Ah !" cria Miria, prenant soudain conscience d'un problème qui vint refroidir son emballement.


"Mais, Isaac, où allons-nous dormir ce soir ? Nous avons laissé notre argent et toutes nos affaires au restaurant."


"Ne t'inquiète donc pas, Miria ! Il y a cet idiome qui nous vient du lointain Orient, tu sais ? N'importe quel port dans la tempête !"


"Qu'est-ce que ça veut dire ?" demanda Miria avec curiosité.


"Je suppose qu'ils veulent dire que peu importe le port dans lequel tu t'abrites, tant que la tempête fait rage, il y aura toujours des bateaux prêts à t'emmener n'importe où... En d'autres termes, nous pouvons aller où nous voulons et tout ira bien, d'une façon ou d'une autre !"


"On peut toujours compter sur toi, Isaac !"


Le ton admiratif de Miria résonnant dans ses oreilles, Isaac se moquait éperdument d'être complètement dans l'erreur. Il repartit sur un sujet différent, décidé à impressionner encore davantage sa partenaire.


"J'ai compris, Miria. Ah ah ah ! Ça signifie que le paradis va envoyer Noé avec son arche pour nous sauver, comme Moïse !"


"Comme lors de la grande crue d'Égypte !"


"Ah, autrement dit nous avons les Dix Commandements. Nous allons pouvoir commander à Firo de présenter ses excuses aux dominos, dix fois de suite ! Au nom du dieu des dominos !"


"C'est pour ça qu'ils parlent de dominion ! Est-ce que le dieu des dominos t'a révélé quelque chose d'autre, Isaac ?" interrogea Miria, les yeux étincelant de joie tout en discutant de leurs plans de fortune.


"Nous avons plein d'amis sur lesquels compter en dehors de Firo ! On peut aller leur demander de nous héberger ce soir !"


"Quelle idée fantastique !"


Les deux comparses se mirent en route immédiatement, sans douter un seul instant du succès de leurs plans tordus. Le ciel était couvert de nuages, mais ça ne les empêchait pas de donner l'impression qu'ils brillaient de mille feux. On aurait presque dit qu'ils étaient le soleil autour duquel tournait le reste du monde.



——



Quelques instants après que le couple excentrique se soit éloigné, deux autres personnes passèrent à cet endroit précis. L'un d'eux était un homme au regard acéré portant un lourd imperméable, et l'autre une jeune femme svelte en costume.


Ronnie et Ennis.


Les deux acolytes, qui formaient une paire étrange mais pas totalement improbable, s'arrêtèrent au milieu de la rue bondée pour observer les alentours.


"Hmm, on dirait que nous arrivons trop tard... Bah, peu importe."


"Nous devrions nous séparer et chercher... Monsieur Ronnie ?"


Ennis se retourna et vit que Ronnie était plongé dans ses pensées, les yeux clos et la main pressée contre le front.


"Monsieur Ronnie ? Quelque chose ne va pas ?" demanda Ennis d'un ton hésitant, et Ronnie ouvrit lentement les yeux.


"...Il semblerait qu'ils se dirigent vers le même endroit que moi... Peu importe. Allons-y."


"Pardon ? Qu'y a-t-il ?"


Ennis le suivit, son visage reflétant son égarement.


"Attendez, Monsieur Ronnie... Attendez !"


Ronnie se mit immédiatement en route pour accomplir sa mission, comme s'il pouvait voir où Isaac et Miria étaient partis... Comme si ses yeux pouvaient tout voir. Ennis abandonna ses protestations et décida de se contenter de le suivre.


'Je me demande pourquoi Monsieur Ronnie agit comme ça de temps à autre. Il fait toujours ces gestes-là quand il cherche quelque chose, et ensuite il le trouve sans problèmes, n'importe où, comme s'il pouvait repérer son emplacement sans même avoir à chercher.'


Cela faisait longtemps qu'elle ressentait une aura étrange émanant de cet homme appelé Ronnie. Il semblait différent des humains ordinaires ; on aurait plutôt dit quelqu'un comme son ancien maître Szilard, comme Maiza ou Firo.


Ce qui la troublait plus que tout, c'est qu'elle avait la sensation de l'avoir déjà rencontré quelque part autrefois. Elle avait fouillé parmi les souvenirs de l'immortel qu'elle avait dévoré par le passé, pensant que ces souvenirs oubliés lui appartenaient peut-être... Mais elle n'était pas parvenue à trouver quoi que ce soit concernant le passé de Ronnie Schiatto.


Comme si ce passé recelait quelque chose qui lui était interdit de connaître.



——



"Bon, on va où comme ça, les clampins ?"


"Mmm ?" répondit Tim, d'un ton enjoué. "Millionaires Row. Curieux ?"


"Millionaires Row..?"


Dallas trébucha brusquement en entendant le nom de l'un des quartiers les plus prestigieux de Manhattan. C'était un endroit pour les gens affluents, pas pour une bande de racailles dépareillées comme eux.


Dallas lui-même, bien entendu, n'était pas dans leur cas. Il venait d'une des plus riches familles du New Jersey, et il se trouve que son grand-père avait même fait bâtir un grand manoir dans le voisinage. Dallas avait été l'un des héritiers de cette immense fortune, mais il y avait eu des frictions entre lui et le reste de sa famille, à l'exception de sa sœur ; au final il avait décidé de quitter la maison, s'était retrouvé mêlé aux intrigues de Szilard, et avait fini par atterrir là où il était aujourd'hui.


"Vous devriez dégager, cet endroit est pas fait pour les déchets comme vous. Vous polluez le paysage."


"...Votre arrogance ne cessera jamais de m'étonner," répliqua Tim avec un rictus désintéressé. Il examina Dallas d'un œil curieux, comme s'il observait une forme de vie extraterrestre. "Je comprends pourquoi vous intéressez Huey."


"Hein ?"


"Oh, faites comme si je n'avais rien dit, d'accord ? Bon, au sujet de notre destination. Je présume que vous-même êtes familier avec les lieux."


Dallas inspira sous le choc, réalisant ce que Tim impliquait.


"Pauvre enfoiré, c'est chez moi que vous allez, pas vrai ?! Pourquoi... Il n'y a personne en ce... Quoi, elle est là ?! Hé ! Eve n'est pas là, hein, ducon ? Sale enflures, si vous..."


"Hé bien, vous avez raison sur un point. Une salve d'applaudissements pour notre brillant candidat qui a deviné notre destination... Même s'il a faux sur tout le reste."


Tim poursuivit d'un ton plus sérieux, pour prévenir d'autres exclamations furieuses de Dallas.


"Ne vous en faites pas. Votre petite sœur n'est pas là."


Il ricana en silence, et murmura quelque chose dans sa barbe.


"C'est un petit gang de délinquants que nous allons voir..."



"Ou pour être plus précis, un appât."



——



"Alors, amigo, où va-t-on les trouver ces brigands ?" demanda Maria à son partenaire, l'air assommée par l'ennui, tandis qu'ils remontaient Broadway.


Enseignes et affiches décoraient la rue comme de multiples guirlandes de pétales de fleur, et à travers cette cacophonie visuelle, on peinait à discerner les panneaux publicitaires colorés. Nombre d'entre eux étaient si flamboyants qu'on aurait pu croire qu'ils étaient illuminés par des néons malgré le soleil toujours accroché là-haut dans le ciel, et effectivement, certains brillaient bien de cette lumière fluorescente caractéristique.


Les décorations prodigieuses dessinées sur les nombreuses pancartes se rassemblaient pour former une mosaïque géante, si étirée qu'il aurait fallu tordre son cou à 180 degrés pour l'admirer d'un bout à l'autre, et c'est le rassemblement cacophonique de ces mosaïques elles-mêmes qui formaient ce spectacle grandiose connu sous le nom de Broadway.


Mais même entourée de telles extravagances, la beauté de Maria captait l'œil des passants, et plusieurs hommes interrompaient leurs activités pour siffler à son passage. Ils pensaient probablement qu'elle était une sorte d'actrice. Maria, pour sa part, était complètement inconsciente de leurs regards admiratifs, la tête remplie des passes et des frappes nécessaires pour manier ses lames avec une efficacité maximale, imaginant les mouvements requis pour abattre tout le monde autour d'elle. Sa question adressée à Tick était une tentative de distraire ses pensées après avoir terminé l'un de ces massacres fantasmés.


"Une usine abandonnée ? Un sous-sol ? Où nous emmènes-tu, amigo ?"


Elle aurait dû poser cette question bien plus tôt, mais Tick ne sembla pas s'en formaliser.


"Mmm, hé bien... C'est une maison sur Millionaires Row, qui appartient à un Monsieur Genoard."


"Alors c'est ce Genoard notre cible aujourd'hui ? Je peux le trancher en deux ?" demanda Maria, un battement d'excitation dans la poitrine, mais Tick secoua négativement la tête.


"Non, mmm, les gens qui vivent là-bas en ce moment sont menés par un certain..."


Il sortit un mémo de sa poche et relit les notes qui y étaient inscrites.


"Voyons, il a un tatouage sur le visage..."


Tick dut lire le mémo jusqu'au bout pour finalement trouver le nom qu'il cherchait.



"C'est ça~ Jacuzzi ! Nous allons voir un Monsieur Jacuzzi Splot~"




3虎徹 (tueur de tigre). Prononciation réelle : "Kotetsu."

4唐変木 : Un béotien, un malappris ignare.

5夜行さん : Un cavalier fantôme chevauchant un cheval sans tête la nuit, piétinant les voyageurs infortunés.

6内田魯庵 : Un écrivain de l'ère Meiji, critique, auteur et traducteur. Connu pour avoir traduit Crime et Châtiment de Dostoïevski. A aussi rédigé une compilation de nouvelles et d'histoires courtes critiquant la croissance négative de la nouvelle société capitaliste instaurée au Japon suite à la première guerre sino-japonaise, compilation intitulée "社会百面相" ou "Les Cent Visages de la Société."

7Référence à 'Vingt Visages', un cambrioleur redoutable similaire à Arsène Lupin, tiré des œuvres d'Edogawa Rampo.

8百々目鬼 (Fantôme aux cent yeux). Un monstre féminin dont les bras sont recouverts d'une centaine d'yeux d'oiseaux. Effrayait les voyageurs en dévoilant ces yeux pour leur dérober leur argent (À l'époque, les trous au centre des pièces de bronze étaient surnommés les "yeux d'oiseau" pour leur ressemblance).





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