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1933 - The Slash - Cloudy to Rainy


Chapitre Intermédiaire : Pluie et lettres et ciseaux et amour et




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Il y a cet instant où tout finit par céder. Même le diamant peut tomber en poussière si on sait comment l'écraser.


J'aime cette sensation, quand je peux voir un de ces trésors immémoriaux s'effondrer sous mes yeux. Ça ne prend jamais plus de quelques secondes. Plus l'œuvre est impressionnante, plus l'ouvrage est colossal, et plus terrible est la chute quand il tombe en ruine. C'est comme ça que le monde fonctionne.


C'est pour cette raison que je n'ai jamais bâti plus que nécessaire, et que je n'ai jamais demandé plus que ce que je mérite. Tout ce que je voulais, c'était un endroit à moi. Juste la base, le strict minimum pour pouvoir être heureux.


...C'est pour ça que je suis là, aujourd'hui.



Tim était assis sur les marches en pierre devant l'entrée de Central Park, ressassant le passé tout en fixant les cieux sombres au-dessus de sa tête. Adelle et le reste des Larvae étaient également assis aux alentours, profitant d'un bref moment de repos. En toute logique ils auraient déjà dû passer à l'étape suivante, mais une série d'imprévus les avait forcés à revoir leurs plans. Tim ravala un soupir de frustration en repassant dans sa tête le déroulement des événements.


'Je n'avais rien demandé d'autre que le plus strict minimum, et je n'ai rien bâti d'extravagant, et pourtant...'


Et pourtant, en une seule journée, de nombreuses certitudes s'étaient effondrées en lui.


Les premiers qui lui posaient souci étaient le couple étrange qui avait pris la résurrection de Dallas pour un tour de magie. Il ignorait encore si cette oreille intacte signifiait qu'ils étaient aussi immortels, ou si ses yeux lui avaient joué des tours.


Ensuite, il y avait cette femme avec ses couteaux, qui les avaient attaqués sans prévenir. Il était certain de l'avoir déjà vue quelque part, mais malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à se rappeler où et quand.


Il y avait aussi la fille envoyée par la Famille Gandor, celle qui s'était jetée à corps perdu dans la bataille avec une paire de katanas. Complètement dingue, celle-là, mais heureusement elle ne risquait pas de leur poser de problème tant qu'Adelle serait là.


Et finalement... il y avait le gangster au regard plus acéré qu'une lame de rasoir, qui possédait une espèce de pouvoir incompréhensible.


"...Bon sang, et il va aussi falloir qu'on remette la main sur Dallas..."


C'est seulement après s'être regroupés hors de la maison remplie de fumée qu'ils s'étaient aperçus qu'ils avaient oublié Dallas. Celui-ci avait dû profiter du désordre général pour se faufiler hors du manoir ni vu ni connu ; le temps qu'ils retournent le chercher, il avait disparu sans laisser de trace.


Mais au final, ce qui l'avait vraiment bouleversé était loin d'être un souci aussi insignifiant. Il y avait eu quelqu'un cet après-midi qui avait menacé l'essence de ce qu'il était aujourd'hui, quelqu'un qui avait menacé de réduire à néant son existence même.



J'ai changé du tout au tout afin que personne ne puisse me reconnaître. J'ai jeté mon visage, ma façon de parler, mes goûts, mes compétences, absolument tout ; j'ai tout jeté et je suis reparti de zéro. Personne aujourd'hui ne pourrait me regarder et voir le garçon que j'étais à l'époque.



Tim était sûr de lui, sûr de sa nouvelle identité – on pouvait dire sans exagérer qu'il ne vivait que pour ça.


'La preuve, je ne pense pas que même lui m'ait reconnu.'


Mais malgré tout ce qu'il avait pu changer sur sa personne, Tim était resté le même. Il avait jeté aux oubliettes son nom, son passé, mais il n'avait pas pu effacer de sa mémoire ces yeux plissés qui recelaient toujours une lueur bienveillante. Cette façon lente et tranquille qu'il avait de parler en ignorant complètement l'atmosphère qui régnait, et les ciseaux pointus qui traînaient toujours dans ses mains, et tout le reste ; il n'avait pas changé d'une miette depuis toutes ces années.


Il se rappela le visage de Tick en repensant aux événements du manoir. Tim – non, Tack Jefferson – se rappela le visage du frère qu'il n'avait pas vu depuis plus de huit ans.


"Pourquoi... Pourquoi est-ce que Tick était là..."


Il s'était retrouvé face à face avec le passé dont il pensait s'être débarrassé il y a longtemps. Comme pour s'accorder à l'esprit de Tim, qui commençait à trembler sous le poids des lourdes pensées qui l'accablaient...

...Des gouttes de pluie froides se mirent à tomber sur son visage qui fixait les cieux.



Au milieu du doux clapotis de la pluie qui brisait le silence ambiant, l'un de ses subordonnés s'approcha. L'homme n'avait pas été présent au manoir ; il agissait indépendamment de l'équipe principale de Tim.


"Chef."


"Ouais ?"


"Je viens de recevoir un appel. Christopher et les autres vont nous rejoindre ce soir."


Le visage de Tim prit une teinte pâle quand il reconnut le nom dont il était question.


"Christopher ? Christopher ?!" cria-t-il, avec une fureur si rare chez lui que l'homme de main recula d'un pas et détourna les yeux. "Mais qu'est-ce qu'il vient foutre ici ?! Tu sais aussi bien que moi ce qui va se passer si un danger public comme lui vient se mêler de..."


"Ce sont les ordres de Maître Huey, Chef."


"...Argh !"


L'ordre venait de l'homme qui était actuellement sous les barreaux. C'était sensément impossible, mais Tim se contenta d'émettre un léger grognement de frustration et n'insista pas, acceptant sans hésiter l'explication de l'homme de main.


"Pfft... Alors ces sauvages vont débarquer ici. Honnêtement, j'aurais préféré éviter d'avoir affaire à eux si possible."


"Nous n'avons pas vraiment le choix. Les Lamia9 forment le noyau dur des Larvae, après tout."


En entendant ce nom, Adelle leva les yeux de la lance qu'elle était en train d'astiquer et vint s'immiscer dans la conversation, son visage s'éclairant d'un sourire.


"Euhh... Christopher va venir ?"


"...Ouais."


"C'est chouette... Je suppose que vais pouvoir me déchaîner, alors ?"


Adelle avait l'air toute joyeuse, à mille lieues de son expression habituelle. Tim secoua la tête en soupirant.


"...Bon dieu, les Lamia vont arriver, hein. J'ai déjà un mal fou à m'occuper d'Adelle, et c'est la plus obéissante du lot."


Il essuya les gouttes d'eau qui coulaient sur sa joue et leva à nouveau les yeux vers le ciel. Il repensa à son frère, et aux camarades qui étaient censés le rejoindre bientôt, et à la mission dont il avait été chargé, et marmonna à voix basse.


"...Ça va tomber."



——



"Ça tombe bien," dit Firo en observant la pluie qui dégoulinait le long du carreau, une note d'inquiétude dans la voix. "J'espère qu'ils ne sont pas trop trempés..."


Maiza sourit d'un air farceur, comme pour tourner en ridicule les angoisses de Firo.


"Tu te fais du souci pour Isaac et Miria ?"


"...Je parlais d'Ennis et de Ronnie."


"J'espère bien que tu as préparé des excuses convenables."


"Oh, c'est bon, arrêtez avec ça," râla Firo, faisant la moue pour dissimuler son embarras. Il se leva et s'avança près des vitres pour observer la rue.


Jusqu'à l'an dernier, le restaurant ne comportait qu'une seule fenêtre ; une toute petite ouverture qui était conçue de façon à ce qu'on ne puisse voir que de l'intérieur vers l'extérieur et pas l'inverse. Cependant, étant donné que la Prohibition touchait à sa fin, ils avaient procédé à des rénovations coûteuses pour rendre l'endroit accueillant et attirer les consommateurs avec une atmosphère chaleureuse.


Firo se tenait devant une vitrine plus grande que lui, donnant sur les rues pluvieuses de Little Italy. Soudain, il fut saisi d'un frisson, si bref qu'il lui fallut un instant pour réaliser ce qui s'était passé. Il avait ressenti une forte impression de malaise, sans comprendre pourquoi. Il regarda à nouveau par la vitre, plus attentivement cette fois, pour essayer de déterminer l'origine de cette sensation ; et il aperçut un homme se tenant sur le trottoir de l'autre côté de la rue.


Au moment où il croisa le regard de cette personne, Firo réalisa la cause de son angoisse soudaine. L'homme au regard sournois attendait sous la pluie, sans même s'abriter sous un parapluie, et était en train de fixer Firo. Il n'accordait aucune attention aux trombes d'eau s'abattant sur lui, se contentant de diriger son regard vers le restaurant – non, vers Firo lui-même. Le plus étrange, c'est que ses yeux recelaient une lueur vengeresse et meurtrière, d'une haine si violente qu'on la distinguait clairement même à cette distance.


"Qu'est-ce que..."


Troublé, Firo plissa les yeux, essayant d'identifier l'homme. Il l'avait déjà vu quelque part.


"Où est-ce que j'ai pu voir sa tête...?"


Les aléas de son métier l'amenaient nécessairement à s'attirer certaine inimitiés vis-à-vis d'un nombre relativement élevé de personnes, mais c'était la première fois qu'il ressentait une envie de meurtre aussi prononcée à son égard. Il essaya de se concentrer sur ce visage... mais l'inconnu, ayant peut-être réalisé que Firo le dévisageait en retour, se retourna et se fondit dans la foule qui s'écartait d'un pas pressé.


"...Qu'est-ce que c'était que ça ?"


Firo garda son regard fixé sur la rue quelques instants, perplexe, avant d'abandonner et de venir se rasseoir au comptoir.


"Un souci ?"


"Non, ce n'est rien."


Il se força à sourire, mais son cerveau était en train de tourner furieusement pour tenter de retrouver le nom de l'homme mystérieux.


'C'était qui, ce type...'


Il prit quelques gorgées distraites de sa tasse de café qu'on avait remplie entretemps, tout en faisant le tri dans sa mémoire ; mais la propriétaire du restaurant, Sena, vint l'interrompre.


"Firo, quelqu'un a laissé ça pour toi."


"Hein ? Qu'est-ce que c'est ?"


Sena lui tendit une enveloppe qui indiquait 'Pour Firo Prochainezo' en grosses lettres capitales.


"C'est quoi...?"


Firo fronça les sourcils et ouvrit l'enveloppe, jetant un œil intrigué sur la feuille à l'intérieur.


Un long moment passa.


Brusquement, Firo devint blanc comme un linge, jeta le papier par terre et sortit du restaurant en courant à perdre haleine.


"Firo ?! Qu'est-ce qui ne va pas ?! Firo !"


Même le cri alarmé de Maiza ne le ralentit pas dans sa course, et il s'éclipsa en un clin d'œil. Maiza ramassa le papier traînant au sol, remarquant aussitôt l'écriture mal déguisée.



NOUS DÉTENONS ENNIS ET RONNIE SCHIATTO



La lettre ne contenait que cette simple ligne. Il n'y avait rien d'autre, pas même le nom de l'expéditeur, une demande de rançon, ou une menace quelconque.


"Kidnappés ? Ennis... et Ronnie ?" Maiza étudia soigneusement le problème, avant de tirer sa conclusion. "Impossible."



Sena jeta un coup d'œil au papier par dessus l'épaule de Maiza et secoua la tête d'un air exaspéré.


"J'imagine qu'il s'est dit que comme ça personne ne le reconnaîtrait, mais... Isaac écrit toujours comme un cochon."



——



J'vais les buter. J'vais tous les buter, tous. Vous vous êtes dit que vous pouviez me traiter comme de la merde, hein. Je vais vous buter.


D'abord je me suis dit, peut-être que je peux pas les battre ? Peut-être que je peux rien faire ? C'est ce que je me suis dit quand cette salope de mexicaine me découpait en morceaux.


Mais ensuite, je me suis rappelé. Je me suis rappelé, bordel. J'ai vu le visage de cet enfoiré et je me suis rappelé de tout. Ça valait le coup d'aller jusque là-bas, même s'il m'a repéré. Ah, Firo Prochainezo. J'ai vu ton visage et je me suis rappelé.


'C'est ça qu'on ressent quand on crève d'envie de faire la peau à quelqu'un.'


Cette envie de tuer quelqu'un de sang froid. C'est juste ce qui me fallait. Ah, la pluie ne me gêne même plus. En fait, je me sens mieux comme ça.


Je vais vous buter, peu importe ce qu'il faudra. J'vais vous faire regretter d'être nés. Quand j'aurai fini, vous souhaiterez n'avoir jamais existé. Je vais buter tous ceux qui ont osé me regarder comme un chien, tous ces putains d'enculés...!


D'abord, Tim et Adelle. Je dois m'occuper de ces deux-là avant les autres. Sinon, Eve sera en danger.


Ouais, je l'adore. Je ferais n'importe quoi pour la protéger. Désolé, Eve. Ton frère n'a jamais été très malin. Je ne sais pas comment te protéger autrement. Qu'est-ce que j'y peux ? Je ne vois pas comment te garder en sécurité à part en butant tous ceux qui pourraient te faire du mal.



Dallas Genoard arpentait les rues pluvieuses, l'esprit agité d'une folie meurtrière. "Bordel," jura-t-il, sa voix muette absorbée par les chutes d'eau qui s'abattaient autour de lui. "J'ai l'impression d'être encore au fond de ce foutu fleuve."


"Il fait si sombre... On y voit que dalle."



——



Firo dévalait les allées de Little Italy, le visage de l'homme qu'il avait aperçu prenant vie dans son esprit.


'C'était lui ! C'était lui, j'en suis sûr !'


Firo était certain que l'homme qui l'avait dévisagé devant le restaurant était celui qui avait kidnappé Ennis et laissé la lettre. Fouillant dans ses souvenirs relatifs à Ennis, il était finalement parvenu à retrouver le nom qui lui échappait.


'Dallas ! Comment a-t-il fait pour se libérer ?!'


Dallas, qui les avait abattus lui et Ennis il y a trois ans de ça, les transformant en gruyère avec sa mitraillette.


Dallas, qui aurait dû être en train de profiter de son aller simple au fond de l'Hudson, grâce aux frères Gandor.


Comment avait-il pu se dégager ? Normalement, il aurait dû être au fond de l'eau, à se noyer et à mourir encore et encore pour l'éternité ; pas être en train de se promener dans les rues de New York. Cette question le préoccupait, mais restait un détail secondaire pour le moment.


Firo Prochainezo courait vers nulle part en particulier.


'Ce salaud a enlevé Ennis...!'


Il courait à l'aveuglette, déterminé à sauver la femme qu'il aimait. La pluie qui régnait en maître sur la ville étouffait le bruit de ses pas, imprégnant les pavés d'une teinte sombre et humide. Comme si les rues elles-même souhaitaient que la pluie se poursuive à jamais.



——



"C'est un vrai déluge dehors~"


Tick et Maria avaient trouvé refuge dans un bâtiment désert, qui devait être bientôt démoli, pas loin de Grand Central Station.


Tick n'avait rien perdu de sa gaieté habituelle, mais Maria ressemblait à une personne complètement différente. Elle s'était assise dans un coin de la grande salle en béton grisâtre, la tête ramassée contre ses genoux, comme une enfant punie qu'on aurait envoyée dans sa chambre. Ses blessures avaient été rapidement traitées, mais il avait fallu arracher ses vêtements pour confectionner des bandages de fortune, et la combinaison de ses habits déchirés avec les traces de sang séché sur sa peau la rendait plus pitoyable que jamais.


"Tu vas bien ?" demanda Tick, inquiet, mais Maria ne leva même pas la tête quand il s'approcha. Elle répondit d'une voix tellement morne que Tick avait du mal à reconnaître la femme énergique qu'il connaissait.


"Hé, Tick..."


"Oui ?"


"Je suis désolée... Je t'ai menti. Je t'avais dit que je ne perdrai contre personne..."


"Tu ne m'as pas menti. Tu n'as pas perdu, et tu m'as gardé en sécurité," répondit Tick, d'une voix parfaitement sincère. Il ne disait pas ça pour la réconforter, mais parce que c'était honnêtement ce qu'il pensait. Maria ne fit pas signe de l'avoir entendu, gardant la tête baissée et serrant les poings avec rage.


"Pourquoi... Pourquoi, ça me... Même quand Vino m'a battu, je ne me sentais pas aussi ridicule !"


Elle savait exactement pourquoi, bien entendu. Vino l'avait surpassée à tous les niveaux, que ce soit en force, en rapidité, en compétence ou en ténacité. Mais... la femme qu'elle avait affrontée aujourd'hui, Adelle, était bien plus faible et maladroite qu'elle. Adelle l'avait même reconnu. Et au final, c'était Maria qui avait perdu.


Est-ce que c'était vraiment à cause de son arme ? Ou y avait-il une autre raison ? Elle n'était toujours pas sûre de savoir. En fait, elle ne tenait pas vraiment à savoir.


Tick l'écouta en silence tandis qu'elle continuait à s'accabler de reproches amers.


"Papy me l'avait juré ! Il m'avait promis que si mon talent était à la mesure de mon ambition, je pourrais trancher n'importe quoi ! Que rien au monde ne pourrait me résister ! Mais en fait... je ne sais toujours pas si j'ai progressé. Je comptais couper Papy en deux pour prouver que j'étais devenue meilleure, mais il est tombé malade avant que je puisse atteindre son niveau... J'avais peur. J'ignorais si j'étais réellement capable de couper tout ce que je voulais. C'est pour ça que j'attaque sauvagement tout ce que je vois. C'est la seule façon que je connaisse de prouver ma force..."


Sa voix se fit de moins en moins énergique au fur et à mesure de ses paroles. Elle se recroquevilla sur elle-même comme un chaton effrayé ; la fille folâtre que Tick avait l'habitude de côtoyer avait complètement disparu.


"Mais j'ai perdu. Tu l'as vu comme moi, non ? Elle m'a écrasée sans aucune difficulté avec sa lance..."


Tick réfléchit quelques instants et répondit, "Je suis désolé. C'est probablement de ma faute~"


"...Quoi ?"


"Tu sais, je ne pense pas être capable de véritablement croire en quelque chose. Tu m'as dit que tout irait bien tant que nous serions tous les deux à croire en toi, pas vrai ? Mais malgré tout, je n'avais pas confiance en moi. Je ne savais pas si je pourrais y arriver."


Intriguée par ses explications bizarres, Maria leva la tête pour fixer Tick avec curiosité, croisant son regard.


"Je n'ai pas pu croire en la 'foi' que tu entretiens parce qu'elle n'a pas de présence matérielle, donc c'est de ma faute si tu étais plus faible... Je suis désolé. Je vais faire de mon mieux pour croire à partir de maintenant. Alors ça ira la prochaine fois, d'accord ?"


Il s'exprimait avec l'optimisme naïf qui formait le privilège des enfants. Maria réfléchit à peine une seconde à ses paroles avant de secouer la tête négativement.


"J'ai peur."


"De quoi ?"


"J'ai peur. Quand je pense à ce qui pourrait arriver si je perdais encore contre elle, si je devais perdre ma foi en Murasamia... Je m'imagine blâmer ma défaite sur mes épées et je me sens tellement faible que je n'arrive même plus à bouger..."


Ses mains se resserrèrent sur la poignée de ses katanas, trahissant l'anxiété qui lui serrait le cœur. Elle savait que ce n'était qu'une maigre tentative de se rassurer, mais il lui fallait au moins ça pour éviter de perdre complètement espoir.


"Mes épées sont tout ce que j'ai. Elles représentent tout pour moi... Si je devais douter d'elles, j'ai l'impression que je finirais par perdre mon passé, ma fierté, ma foi, mon âme ; et j'ai peur, amigo..."


La façon dont elle prononça le dernier mot faisait penser à un cri de détresse. Tick n'essaya pas de la consoler, ou de lui faire changer d'avis ; il se contenta d'offrir son opinion.


"Je t'ai dit que je ne pouvais croire que dans les choses que l'on peut casser, non ?"


Elle le fixa sans comprendre.


"C'est pour ça que je refuse de croire ce que tu viens de dire, parce que je n'ai pas vu ta fierté ou ton âme ou quoi que ce soit d'autre se briser. Je pense que tu es juste qui tu es, Maria."


Ses mots n'avaient pas vraiment apporté de réponse aux doutes qui la troublaient, mais Maria offrit malgré tout un léger sourire à Tick.


"Tu es gentil, amigo," murmura-t-elle ; ses paupières se refermèrent et sa tête se mit à pencher en avant sous le coup de la fatigue. Tick commença à parler tout seul, sans vérifier si elle était bel et bien assoupie.


"La situation est vraiment compliquée~"


Il tourna la tête vers la rue menant à l'entrée du bâtiment abandonné, absorbé par ses pensées tout en regardant la pluie tomber à grosses gouttes.


"Le moyen le plus rapide de dénouer un nœud emmêlé, c'est de le trancher d'un seul coup, mais... Peut-être que si quelqu'un avait la force nécessaire pour dénouer ce sac de nœuds..."


Tick se tenait à côté de Maria endormie, laissant ses pensées vaquer à leur propre cours, absorbé par le bruit apaisant de l'eau qui coulait. Au bout d'un moment, il sortit une paire de ciseaux d'une de ses poches et les leva en l'air, ouvrant et refermant lentement les lames.


Snip. Le son, aux accents presque mélancoliques, fut très vite étouffé par le bruit sourd des gouttes de pluie frappant le sol et s'évanouit. Tick continua à découper l'air en silence.


tchic tchac, tchic tchac



——



"...Et ?"


La voix de l'homme résonnait d'un son creux contre les murs de la salle obscure. Le jeune homme à l'allure de voyou qui se tenait dans l'entrée pâlit sensiblement mais continua sa plaidoirie, tourné vers l'autre bout de la pièce plongée dans l'obscurité.


"Et, euhh... En fait, Jacuzzi et nous autres on s'est planqués dans cette usine abandonnée près du fleuve pour l'instant... M-mais ce type, Ronnie, il avait l'air super dangereux ! Personne d'autre que vous n'aurait la moind'chance contre lui !" dit-il, pour achever son résumé des derniers événements. "S'il vous plaît, j'vous en prie ! Si vous étiez de notre côté, on s'rait pratiquement invincibles !"


"Il n'y a pas de 'pratiquement' qui tienne," dit l'homme assis dans l'ombre d'une voix impassible ; on n'aurait su dire s'il plaisantait ou non. Lentement, il se releva. "Ce n'est pas comme si je tenais particulièrement à vous filer un coup de main... Mais ma ravissante, délicieuse, séduisante, adorable, et parfaitement charmante fiancée ? Là, c'est une autre histoire. Okay, allons-y."


"Vous êtes d'accord ?!"


"Comment va Chane, au fait ?"


"Ah, euh, en fait, il y avait ces types bizarres qui n'avaient rien à voir avec les Martillo, et elle a commencé à se battre avec eux et elle s'est fait couper au visa—"


La silhouette dans l'ombre se jeta brusquement sur le jeune voyou.


"Est-ce qu'elle va bien ? Dans quel état est Chane ?"


Le voyou respirait péniblement, la gorge compressée par la main qui avait surgi et l'avait saisi par le col pour le soulever du sol.


"Argh ! E-elle va impec ! A-aucun souci, je l-le jure !"


"Ah... Parfait, alors !" dit l'homme, relâchant sa prise et laissant le voyou tomber par terre. "Attends, non. Ça ne va pas du tout."


Il se couvrit la bouche d'une main tout en tapant l'arête de son nez d'un air soucieux, réfléchissant à haute voix.


"Chane a choisi de vivre avec moi. Elle m'a promis qu'elle ferait partie de mon monde, que nous le partagerions ensemble," dit-il, plissant lentement les yeux. "C'est impardonnable... Tu dis que vos soi-disant 'ennemis' ont infligé une coupure au visage de Chane ? C'est pareil que s'ils avaient coupé mon monde. C'est pareil que s'ils avaient coupé mon propre visage," affirma-t-il, proclamant sa colère envers ceux qui s'en étaient pris à sa chère et tendre, tout en commençant à changer de vêtements pour se préparer à sortir.


"Et puis tant que j'y pense, quel genre de mec s'en prend à une fille et lui entaille le visage, d'ailleurs ? Et ça ose s'appeler un homme ?"


"Euh, en réalité, c'est contre une autre femme qu'elle se battait."


"...Ce n'est pas une excuse ; je milite pour l'égalité des sexes !"


"Quoi ? Ça ne veut rien dire !"


L'homme écarta d'un geste la remarque du jeune délinquant et poursuivit avec entrain, ayant fini de se préparer.


"Allez, il est l'heure du lever de rideau. La scène, c'est moi, le héros, c'est moi aussi, et l'héroïne, c'est Chane."


Il avait l'air d'humeur guillerette, mais ses yeux brûlaient d'une lueur froide.


"Que la fête commence."



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Et ainsi...


L'un des êtres les plus dangereux de New York entama sa chasse silencieuse sous la pluie, déterminé à réduire en cendres le nœud emmêlé formé par l'enchevêtrement des événements.


Le nom de cet homme était Felix Walken. Autrefois, on le connaissait sous le nom de Claire Stanfield. Mais ceux qui le connaissaient bien employaient un autre surnom à son égard. Certains avec des cris d'admiration, d'autres avec des murmures étouffés aux accents de terreur ou de désespoir.


Vino... disaient-ils, ou parfois, Le Rail Tracer...



L'averse féroce ne faisait pas signe de s'interrompre. On aurait dit qu'elle comptait engloutir les rues toutes entières sous le son de la pluie qui tombait. Le léger crachin devint un torrent rugissant, et même ce torrent n'était qu'un signe annonciateur de la tempête à venir.



La pluie tombait sans discontinuer, peignant les rues et les passants d'une teinte sombre.


Elle tombait dru, toujours plus dru.


Comme si elle cherchait à découper les rues elles-même...





À suivre dans 1933 - The Slash - Bloody to Fair



9Un monstre féminin d'origine grecque, possédant la moitié inférieure d'un corps de serpent. On lui attribue parfois des capacités vampiriques.



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