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2002 [B Side] - Blood Sabbath


Chapitre 5 : Le Jeune Magicien Crée le Sourire Grâce à ses Artifices




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La première nuit de la croisière, dans une certaine suite.




'C'est rouge. Rouge et chaud.'


Silis était assise sur le lit, perdue dans ses pensées, juste à côté de sa tenue de rechange. Elle attendait sans rien faire, et même si ça prenait du temps, elle sentait qu'elle redevenait peu à peu elle-même.


Elle pouvait voir les décorations fleuries tout autour d'elle. Une espèce de chandelier était accroché au plafond, et elle remarqua que la lumière avait été réglée à l'intensité minimale, éclairant à peine la pièce.


Elle savait dans quelle situation elle se trouvait. Mais elle ne pouvait rien faire pour y échapper. Sa volonté était revenue. Elle avait de nouveau conscience de ce qui l'entourait. Et maintenant quoi ?


Elle ne trouvait pas de réponse. Elle n'arrivait même pas à réfléchir. Plus elle essayait de retrouver son état normal, plus cette chose s'imposait à son esprit.


C'était un certain souvenir.


Les images de la scène dont elle avait été témoin défilaient encore et toujours dans sa tête, obnubilant ses pensées. Les images étaient assez imprécises, donnant l'impression qu'elle venait tout juste d'y assister, et pourtant qu'elle les connaissait par cœur depuis sa naissance. Les images floues s'infiltraient dans son esprit.




"Oui, oui. Pas la peine de bouger pour l'instant."


Elle entendait une voix dans un recoin de sa tête. C'était la voix de Bride.

Légalement, elle et lui étaient deux parfaits étrangers. D'après leur doctrine, ils étaient mari et femme. Et de son point de vue à elle, il était l'homme qui allait lui ôter la vie.


Cependant, au moment où elle envisagea de s'échapper--


'Je dois sort--!"


Elle ne put poursuivre cette pensée. Il n'y avait pas que son esprit ; son corps tout entier revivait encore et encore ce souvenir. Et elle se sentait paralysée par l'angoisse. Silis ne pouvait rien faire d'autre qu'écouter de loin la conversation entre Bride et les autres membres de SAMPLE.




"Oui, c'est juste. Viralesque nous tient au courant de la situation à bord de l'Entrance. Nous devons suivre nos plans avec précaution, mais il faut parfois agir avec audace. Si nous prenons des risques et tentons la voie pacifique, il n'y aura pas de victimes. Mais le plus prudent serait de faire en sorte que tout le monde coule sauf nous, n'est-ce pas ?"


C'était une conversation fort inquiétante, mais Silis n'arrivait pas à déchiffrer le sens que renfermaient ces paroles. Pour le moment, elle n'était rien qu'une marionnette contrôlée par Bride.


Silis avait embarquée à bord sous l'identité de la fiancée souffrante de Bride, comme elle en avait reçu l'ordre. Elle n'aurait su dire ce que ces gens pensaient d'elle tandis qu'ils faisaient comme si elle n'était pas là et discutaient sans aucune discrétion de leurs plans secrets.


"Bien sûr, il est contre notre doctrine d'infliger la souffrance et la mort à ceux qui ne sont pas concernés. Je préférerais que nous adoptions l'approche la plus risquée."


"Mais, Maître Bride, il est possible que les immortels aient remarqué notre présence."


Comme d'habitude, les personnes discutant avec Bride étaient les deux femmes qui l'accompagnaient constamment. Elles lui servaient de secrétaires, et l'appelaient toujours 'Maître'. Il était difficile de les distinguer - elles ressemblaient presque à des sœurs, peut-être même des jumelles - et Silis ne savait rien de plus à leur sujet.


"Peut-être nous ont-ils remarqués, et peut-être pas."


"Mais l'Enfant de Calamité et de Lumière était autrefois l'un d'entre nous ; il y a certes trois siècles de cela, mais il a pu nous repérer."


"Oui, c'est possible. Enfin, chaque chose en son temps. Après tout, nous sommes toujours préparés pour l'imprévu. Haha."


Bride sourit comme il le faisait toujours et poursuivit calmement.


"Profitons de la situation. Profiter de la vie ! C'est le cœur de notre doctrine, vous savez ! Ah ! Euh, em. Désolé d'être aussi envahissant. Haha !"


Les deux femmes gardèrent le silence face au manque de sérieux de leur chef. Bride se mit à rire, avant de s'asseoir et de faire le tour de la pièce du regard. Il se mit ensuite à parler tout seul, comme s'il était en pleine extase.


"De toute façon, l'autre navire va partir un jour après nous. Pourquoi ne pas profiter de la croisière jusque-là ? Par exemple... mais oui ! Pourquoi ne pas laisser un peu d'intimité au couple de jeunes mariés ?"


Il se retourna brusquement vers le lit où Silis était assise, et bondit dans sa direction comme s'il voulait se jeter sur elle tel un catcheur. Cependant, son saut était trop court ; il se prit le coin du lit dans les côtes en tombant.


"Guh...!"


Avec une respiration sifflante, Bride se releva l'air penaud et s'adressa aux personnes présentes dans une tentative pathétique de se justifier.


"V-vous connaissez ça, hein ? Les vacances qui incitent les gens à... à se lâcher ? Et, ah... c'est la première fois que j'aurai pour épouse une femme aussi mature, vous ne pouvez quand même pas me reprocher d'être un peu excité."


Le chef au visage rouge sous le coup du ridicule agitait les bras, en s'exprimant d'un ton embarrassé.


"De toute façon, je n'ai certainement pas de lolita complex--ça n'a rien à voir avec le fait d'épouser des jeunes filles d'une dizaine d'années au moment de leur mort, vous comprenez ?"


Bride cessa ses excuses, l'air déconfit. Il s'éclaircit la gorge avant de tendre une main attentionnée à Silis, toujours assise sur le lit.


"Allons, Miss Rucott. Il est temps d'aller à la réception. Je suis sûr que ça vous remonter le moral.


Vous n'avez plus que quelques jours à vivre, alors d'ici là je tiens à ce que ma femme puisse ressentir autant de souffrance que possible."



<==>



Trente minutes plus tard, salle de réception de l'Exit.




"J'ai été vérifier ma cabine, mais il n'y avait rien qui ressemble à un message de Huey..."


Sylvie leva son verre à vin pour boire une gorgée.


Ils participaient actuellement à la fête qui était organisée pour célébrer la première nuit de la croisière. Elle avait lieu au centre d'une gigantesque salle de banquet, comme on pouvait en trouver dans certains hôtels. Et c'était dans un coin de cette salle renommée - qui avait accueilli le mariage de plusieurs célébrités - qu'Elmer, Sylvie et Denkuro dînaient tous les trois.


Un orchestre jouait sur la scène principale, et des artistes de cirque situés sur de petites scènes parmi les tables des convives présentaient leurs acrobaties en rythme avec l'orchestre.


"Ah, je dois dire que je m'y attendais un peu."


Sylvie continuait, tout en regardant l'étrange combinaison formée par les acrobaties accompagnées de musique classique.


"En fait, Huey aime beaucoup faire des entrées dramatiques. Peut-être qu'il va sortir d'un chapeau pendant le spectacle de magie de ce soir," répondit Elmer avec un sourire.


"Un spectacle de magie ?"


"Oui. J'ai entendu dire qu'ils organisaient un spectacle de magie dans un restaurant, le Ristorante Cuculo, dans environ deux heures. Le magicien s'appelle le 'Rookie Warlock', d'ailleurs j'ai été très surpris quand j'ai lu ça dans le dépliant."


"Pourquoi ? Tu le connais ?"


"Pas avant aujourd'hui, malheureusement."


Elmer sortit le dépliant qu'il avait ramené de sa chambre et l'ouvrit pour montrer quelque chose à Sylvie et Denkuro.


"Apparemment, il vient de Lotto Valentino."


"Quoi..."


"Hm...?"


Il y avait une brève présentation dans un coin du dépliant, écrite en anglais. Sylvie et Denkuro lurent le nom de la ville d'origine du magicien et se regardèrent l'un l'autre.




Lotto Valentino.


C'était une ville portuaire située au sud de l'Italie, à deux pas de Naples. La ville était réputée pour ses nombreuses bibliothèques. Les bâtiments en pierre alignés face à la mer le long de la côte escarpée étaient eux aussi célèbres pour leur valeur historique.


En réalité, peu de gens connaissaient cette ville. Contrairement à des capitales comme New York, Londres, Paris ou Tokyo, c'était une petite ville dont même la plupart des italiens ignoraient l'existence. Mais pour les trois personnes assises à table, cette ville incarnait une place particulièrement importante de leur histoire.


Pour Elmer, cette ville était presque comme une ville natale.


Pour Denkuro, c'était la terre où il s'était retrouvé impliqué dans un certain incident--qui lui avait donné l'occasion de forger une amitié avec de nombreuses personnes.


Pour Sylvie, c'était la ville natale de l'homme qu'elle aimait. Sa respiration s'arrêta un instant, mais elle retrouva vite son calme et sourit.


"...Quelle nostalgie. Je devrais peut-être y retourner un jour."


"Oui... Celui-ci est également intrigué, mais estime qu'il serait préférable de ne point aborder le sujet avec Maître Nile. Il avait autrefois menacé d'incendier toute la cité ; il pourrait fort mal accueillir cette nouvelle."


Elmer se mit à sourire en entendant leurs réponses.


Tous les trois, inconscients de ce qui se tramait, finirent par se rendre au spectacle organisé par leur 'ennemi'.



<==>



Au même instant, dans une cabine de seconde classe.




"Je l'affirme. Je m'ennuie."


Nile était resté seul dans sa cabine, affirmant qu'il ne voulait pas perturber la fête.


"Vraiment... inviter quelqu'un, et ne pas les recevoir à leur arrivée ? Comment faire comprendre à Huey toute l'étendue de mon ressentiment lorsqu'il se sera enfin montré ?"


La télévision dans la pièce ne l'intéressait guère. Nile sortit sur le petit balcon extérieur et déballa ses affaires. Elles consistaient essentiellement en plusieurs tenues de rechange et une douzaine de masques. Nile s'installa pour observer la mer sous le crépuscule tout en astiquant ses différents masques avec un chiffon spécial.


"Hm... Je suppose qu'admirer l'onde éternellement changeante peut être une distraction adéquate."


Il continuait à astiquer ses masques, tranquillement installé sur le balcon--

Quand il aperçut du coin de l'œil une silhouette traverser les vagues.


"On dirait... un bateau ?"


Le bateau, qui pour une raison quelconque naviguait sans éclairages, disparut lentement au loin.


'Un bateau qui navigue sans éclairages...

Ah, ça ne sont sûrement pas des pirates ou autres, s'ils s'éloignent du navire.'


Nile se concentra de nouveau sur l'astiquage de ses masques. Le visage dissimulé par le masque qu'il portait en ce moment affichait un sourire belliqueux.




'Ah, ç'aurait pu être intéressant si des pirates avaient attaqué le navire.'



<==>



Au même moment, dans une autre suite.




Le navire aperçu par Nile s'était éloigné à toute vitesse--

En laissant derrière lui sa cargaison accrochée à un certain balcon.


"Ah ! Ils ont réussi à ramener le matos, ouf ! Death était censé nous rejoindre en personne, mais quand on est mort, on ne peut rien y faire, hein ?"


Dans une cabine assez éloignée de celle de Nile, c'était Aging qui s'exclamait ainsi, vêtue d'un débardeur, et accompagnée par plusieurs membres des Mask Makers qui se tenaient derrière elle.


"Allez, temps de remonter tout ça--"


"Est-ce qu'il n'est pas un peu tôt, Aging ? On devrait peut-être attendre le milieu de la nuit..."


"Qu'est-ce que tu racontes ? C'est maintenant qu'il faut faire ça--pendant que tout le monde est à la réception. Si on le laisse comme ça trop longtemps, le câble risque de casser."


Aging jeta un coup d'œil aux balcons inférieurs et supérieurs, vérifiant qu'il n'y avait personne. Nile était en train d'astiquer ses masques sur un balcon plus éloigné, mais de sa position ils ne pouvaient pas se voir l'un l'autre. Aging finit sa vérification, et saisit le crochet fixé au rail du balcon. Elle se mit à tirer le câble avec désinvolture. Le câble devenait de plus en plus épais au fur et à mesure qu'elle le remontait, et quand il fut à peu près aussi épais qu'une corde, plusieurs grandes caisses surgirent de sous la surface de l'eau.


"Encore quelques secondes."


Aging n'eut même pas à se fouler pour soulever la corde sur plus de dix mètres de haut.


"Tiens."


En tenant le câble d'une main, elle saisit le premier container de l'autre main pour le donner à ses camardes qui attendaient. L'un d'eux prit délicatement la boîte de cinquante centimètres dans ses bras--


"Agh...?!"


Et manqua s'effondrer sous le poids. Les autres se dépêchèrent de lui venir en aide.


"Quoi ? Ça ne pèse que quatre-vingt kilos, tranquille." Aging se mit à rire, et remonta les containers étanches les uns après les autres.


"Bon dieu... t'es un cyborg ou quoi ?!"


Deux par deux, les Mask Makers commencèrent à ramener les caisses à l'intérieur. Ils ouvrirent les containers et commencèrent à assembler de façon experte leur contenu. A l'intérieur des boîtes se trouvait une importante quantité de 'Marchandise'. Elles contenaient de tout, des simples pistolets et grenades à des choses impossibles à identifier à première vue--l'équipement dans ces caisses donnait l'impression de pouvoir être utilisé pour mener une guerre.


Et c'est exactement ce que ces gens comptaient faire.


"Gahaha ! Quel équipement ! Notre cher patron n'a pas rechigné à la dépense, hein ? J'espère que personne n'a appelé le room service ; si quelqu'un nous voyait ainsi, on finirait direct en cabane !"


Aging riait avec entrain. Les hommes continuaient à assembler calmement le reste des armes, l'air agacé.


"Si ça devait arriver, la pauvre femme de chambre risque d'aller dormir avec les poissons."


"Hm... Ne jamais se faire repérer durant une mission, voilà comment agissent les professionnels. Ça peut paraître cool de se débarrasser froidement d'un témoin malencontreux, mais il n'y a que les amateurs mal préparés qui font ça."


"...Tu réalises quand même ce qu'on compte faire, maintenant qu'on a le matos ? Si les choses devaient mal tourner..."


Bien que son camarade la regarde avec incrédulité, Aging lui répondit d'un éclat de rire encore plus bruyant.


"Gahahaha ! Je sais, je sais ! C'est bien pour ça qu'on est la pire bande de bras cassés qui soient ! Sérieusement, je suis sûre que notre groupe remporterait la palme de l'inconscience et du manque d'organisation ! C'est tellement excitant, il y a de quoi devenir folle !"


"...Je n'ai rien à redire tant que tu fais ce que tu as à faire," répondit l'homme avant de se remettre au travail.


Les Mask Makers avaient tendance à traiter Aging, Life et Illness comme du matériel de l'organisation plutôt que des alliés. Ça ne voulait pas dire qu'ils les méprisaient ; les 'Quatre Supplices' étaient indispensables à leur travail. Si leurs flingues étaient du matériel basique, Aging et les autres étaient des armes de haute gamme.


Ils étaient des gens dont l'existence même apportait aux Mask Makers une sensation de sécurité. Ces gens étaient leurs épées et leurs boucliers, et méritaient d'être estimés à leur juste valeur, pas ignorés. Mais les deux membres féminins des 'Supplices' n'étaient pas aussi respectées, à cause de leur personnalité excentrique.


Aging, cependant, ne se préoccupait guère de l'attitude de l'équipe envers elle. Elle sortit son équipement personnel de la troisième caisse, qui était plus longue que les autres. D'abord, elle prit les lunettes de vision nocturne à visée infrarouge et les jeta sur son lit.


"Hé, fais gaffe à ces trucs-là !"


"Bah, je ne m'en sers jamais de toute façon. A moins qu'il fasse complètement noir, j'ai un meilleur champ de vision sans les porter. Si c'était un des nouveaux modèles, je ne dis pas, mais ces vieux trucs sont à peine mieux que mes propres yeux."


"...Et ben, comme si elle n'était pas déjà assez monstrueuse..."


Aging ignora la remarque de son camarade et sortit sa tenue d'infiltration d'un noir d'encre. Elle ouvrit ensuite le compartiment inférieur de la caisse et en sortit une arme.


C'était un gigantesque Kukri, aussi long que le bras d'un homme. Cette arme était également appelée un couteau Gurkha, d'après les mercenaires qui s'en servaient. Elle pouvait être utilisée en combat rapproché. Contrairement à un katana, la lame était courbée vers l'intérieur. Le modèle qu'Aging possédait tenait moins du couteau que de l'épée. C'était une arme colossale, faisant bien ses quatre kilos et 80 centimètres de long.


Aging vérifia de nouveau l'état du kukri, qui donnait l'impression de pouvoir trancher un bras simplement en tombant dessus, et le rangea en sifflotant dans un fourreau en cuir, comme si elle tenait une bête épée en bois.

Et finalement, elle sortit l'objet qui occupait plus de la moitié du container à lui tout seul.


"Aah."


Le Mask Maker qui l'observait se mir à pâlir.


C'était un objet métallique, noir aux reflets argentés. Il était facile de voir qu'il s'agissait d'une arme, mais ses dimensions et son calibre étaient clairement d'un niveau supérieur aux autres armes à feu que déballaient les Mask Makers.


"Hé... C'est pas le minigun que Schwarzenegger utilisait dans Terminator 2 ?"


"Hm ? Ah oui, on dirait ! Vous savez, celui que le moustachu trimbale dans Predator !"


C'était une mitrailleuse lourde à canon rotatif, connue sous le nom de minigun. Normalement des armes d'un tel calibre étaient montées sur des hélicoptères ou d'autres véhicules, mais le minigun avait été allégé pour ne peser qu'environ vingt kilos. Voilà pourquoi on l'appelait 'mini'-gun, malgré qu'il soit classifié en tant que mitrailleuse lourde.


"Mais on n'est pas dans un film..."


L'homme n'était pas tant dubitatif que sous le choc.


Les personnages de films ou de jeux vidéo transportaient des armes pareilles, mais ce n'était pas possible dans la vraie vie. On pourrait se dire que c'était faisable de transporter une arme d'une vingtaine de kilos, mais un minigun devait aussi être relié à une ceinture de munitions et à une batterie qui fournissait l'énergie pour le faire fonctionner. C'était une arme qui pouvait tirer quatre mille coups à la minute. Les munitions nécessaires pour tirer durant cette unique minute pesaient au moins quarante kilos, et le poids rajouté par la batterie et les autres accessoires amenaient le total à plus de cent kilogrammes. La puissance du recul était telle qu'il était impossible de maintenir la visée durant le tir. Il était donc impossible à un humain ordinaire d'utiliser une arme pareille. Mais--


Aging souleva sans effort la boîte contenant la ceinture de munitions et les autres parties du minigun, et la déposa sur le lit.


'Ne me dis pas... attends. La boîte doit aussi contenir un trépied pour fixer le minigun, non ?'


Aging ignora les regards perplexes de ses camarades et se mit à éclater de rire, en agitant la main.


"Vous en faites donc pas ! Vous pensez vraiment que je peux manier un minigun normal ? Celui-ci est spécialement conçu pour moi. Le top de la qualité ! Ils ont réduit le poids, et il utilise une batterie extra-légère !"


"V-vraiment...?"


"Le recul a été diminué, et la vitesse est réduite afin de conserver les munitions...

C'est tout ce qu'ils m'ont dit, pour le reste on verra bien. Trop de détails à retenir !"


Alors que les Mask Makers acquiesçaient d'un air incrédule, Aging leur adressa une remarque absurde d'un ton enthousiaste.


"Pas de souci ! Je me suis assurée qu'ils l'arrangent pour que je puisse m'en servir d'une seule main !"


"..."


Les Mask Makers venaient d'entendre quelque chose d'effroyable, mais ils firent comme si de rien n'était. Aging n'était pas toujours très fiable, mais elle n'était pas stupide au point de raconter n'importe quoi pendant une mission.

En d'autres termes, elle venait juste de dire la vérité. Comme ses camarades n'avaient pas la discipline qu'on pouvait trouver chez des militaires, ils décidèrent de laisser tomber le sujet et de ne pas chercher à en savoir plus. C'était le genre de groupe qu'ils formaient.




Cependant, Aging ignora l'atmosphère qui régnait et et continua à bavarder d'un ton excité.


"Haha ! Ça, c'est une arme d'appoint comme je les aime ! On ne sait jamais, le kukri risque de se briser s'il se fait toucher par une balle perdue !"


Les hommes avaient fait de leur mieux pour ignorer ses exclamations enjouées, mais ils finirent par perdre patience et se mirent à discuter entre eux en silence.


(Attends... Tu veux dire que cette hache monstrueuse est son arme principale ?!)


(Pourquoi pas un flingue ? Un flingue normal ?!)


(Ah ben, je n'avais encore jamais travaillé avec elle, maintenant je comprends pourquoi on l'envoie toujours sur des missions solo !)


(Sans blague. Ça saute aux yeux.)


(J'ai l'impression que si je m'approche trop près d'elle, je vais récolter un aller simple au cimetière...!)


(Est-ce qu'elle a la moindre idée de ce qu'est censé être une arme d'appoint ?)


(Qu'est-ce qu'elle vient de dire à propos de son minigun...?)


"Tsk tsk. Bande de gamins, vous n'avez rien de mieux à faire que de parler dans le dos des gens ?"


Quand les hommes se retournèrent, ils virent qu'Aging avait fini d'assembler son minigun personnalisé.




"Gahaha ! Toutes les dames rêvent de pouvoir brandir un minigun d'une seule main !"




'Elle. Ose. S'appeler. Une. Dame ?!' C'est ce que tout le monde pensa instinctivement, mais personne n'eut le courage de le dire de vive voix à la femme qui tenait un énorme kukri dans une main et faisait tournoyer un minigun dans l'autre.




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Deux heures plus tard, au restaurant italien Ristorante Cuculo.




C'était un spectacle de magie des plus raffinés. Tours et trucages animaient la scène. Et même si le public savait pertinemment qu'il était en train d'être trompé, il était en admiration devant le spectacle. Peut-être que le plus magique dans cette performance n'était pas les tours extraordinaires se produisant sous les yeux du public, mais plutôt qu'il accepte avec enthousiasme une telle supercherie.


Le spectacle se déroulait dans un des restaurants du navire, petit mais de très haute classe. C'était sur une scène réduite au fond du restaurant que se déroulaient ces miracles trompeurs.




Des jetons de casino coulaient en cascade dans une tasse depuis la paume vide du magicien.


Une table ronde se mit à pencher et à tourner sans même qu'on l'effleure.


Des tours de lévitation avec une seule main touchant le mur.


Des chapeaux de soie apparurent sous les ailes de colombes, avant de se remplir d'œufs sortis de nulle part. Le magicien saisit l'un des œufs dans sa main, qui se changea instantanément en bébé alligator.


Les cartes, elles, se changèrent en de minuscules ballons dans sa main. Les ballons éclatèrent l'un après l'autre, se changeant de nouveau en cartes. A l'intérieur du dernier ballon se trouvait la carte choisie par un membre du public.


Une bouteille de vin rouge servie à l'un des spectateurs se mit à verser successivement du lait puis du vin blanc pour les spectateurs suivants.




Le magicien sur scène, capable de créer aussi bien de fantastiques illusions que de simples tours de cartes, balançait son répertoire varié pour manipuler son public, contrôlant les surprises pour aller en crescendo. Et ce sorcier manipulateur était un jeune garçon à qui il manquait encore quelques années pour atteindre la vingtaine. Ses doigts dansaient en rythme avec ses cheveux d'un blond presque transparent, quand ils ne captaient pas l'attention des spectateurs pour introduire le tour suivant.


Le magicien connu comme le 'Rookie'.

C'était son nom de scène. L'apprenti sorcier -- le Rookie Warlock. Un nom qu'on avait du mal à prendre au sérieux au premier abord, mais les tours du jeune homme étaient loin d'être ceux d'un amateur. Il gérait ses effets avec une grande maîtrise, aussi bien dans l'aspect technique que théâtral. Il s'exprimait peu durant la performance, mais s'assurait d'adresser un sourire chaleureux pour mettre son public à l'aise, et susciter l'anticipation. Et parce que le sourire confiant qu'il affichait sous les applaudissements ressemblait à celui d'un enfant innocent, son public perdait parfois de vue que c'était bien ce garçon qui accomplissait ces tours prodigieux.




Pendant ce temps--


"Wouah ! C'est incroyable ! Comment a-t-il fait ça ?"


Il y avait un homme dans le public qui se comportait comme un enfant surexcité.


"Hé... vous pensez que ce garçon fait semblant d'être un magicien, mais que c'est un vrai magicien en fait ?"


"...Tu as quel âge, déjà, Elmer ?"


"Réfléchis, Sylvie. Si j'étais un vrai magicien et que je me mettais à faire de la magie, je me ferais réprimander par un tas de religions et les gens refuseraient de me sourire. Mais si je disais, 'Ah, ce n'est qu'un tour de magie', je gagnerais de l'argent et je serais populaire ! Ce serait faire d'une pierre deux coups !"


"J'imagine que c'est typiquement toi de toujours considérer les possibilités d'un point de vue égoïste," répondit Sylvie en souriant. Elle retourna son attention au spectacle, sans même toucher à son dessert.


Cependant, Denkuro semblait avoir cessé de profiter du spectacle pendant un instant, et ouvrait la bouche comme s'il venait de réaliser quelque chose.


"Hm... Peut-être celui-ci accorde-t-il trop d'importance à une simple impression, mais il lui semble que le magicien accorde une attention excessive à notre table..."


"Vraiment ? Ça doit être ton imagination. Je pense que la plupart des magiciens observent leur public durant leur spectacle, non ?


"Ah... Peut-être avez-vous raison. Celui-ci s'excuse humblement de vous avoir dérangé durant la performance."


Denkuro se détendit et se concentra de nouveau sur le spectacle.




Le garçon sur scène était - en tout cas mentalement - en train de suer à grosses gouttes.


'Cet asiatique... qui est-il vraiment ? La façon dont il me regardait à l'instant... J'avais l'impression d'être traqué, comme si j'étais pourchassé par un loup.

Dire que je les ai trouvés aussi facilement. Ils ont peut-être mordu à l'appât avec le dépliant.'


Il avait envisagé que la mention de sa ville natale Lotto Valentino dans le dépliant puisse attirer la curiosité des immortels. Cependant, l'asiatique - Togo Denkuro - semblait être plus dangereux que ce qu'avait supposé Luchino. On aurait dit qu'il avait remarqué que Luchino les observait discrètement entre deux tours ; les yeux de Denkuro étaient soudain devenus glacials. Luchino n'aurait même pas remarqué ce regard s'il avait accordé la même attention à tous les spectateurs. Mais s'il montrait qu'il avait perçu ce regard maintenant--


'Ils vont me repérer.'


Il ne voyait pas ce qu'ils auraient pu repérer chez lui, mais pour l'instant il ne pouvait pas se permettre d'attirer leur suspicion. Ils finiraient inévitablement par devenir ennemis, mais d'ici là, il ne pouvait courir le risque qu'ils le soupçonnent. Il savait qu'écrire le nom de sa ville natale risquait de susciter une conversation avec eux. Cependant, Luchino ne s'était pas attendu à ce que la situation tourne ainsi.


'Ne rien laisser paraître. Afficher un air tranquille. Geler mes émotions...


Non, je ne peux pas faire ça. Concentre-toi. Là tout de suite, je suis un magicien.


Je dois me concentrer sur mes tours. Tous les spectateurs sont égaux devant la scène. Je n'ai qu'à les impressionner, à provoquer l'admiration, et à tous les faire sourire.'




Le magicien sur scène écarta ses accessoires et se prépara pour le grand final. Il sourit et marcha sans un mot jusqu'à la table où Elmer et les autres étaient installés. Il les salua comme un gentleman, s'agenouilla devant Sylvie, et lui tendit délicatement sa main.


"Ah... em, moi ?"


Bien que Sylvie ait l'habitude de monter sur scène pour chanter dans des bars clandestins, elle fut prise par surprise. Elle observa les alentours, l'air incertaine. Le garçon se releva lentement, et mena Sylvie jusqu'à la scène en lui tenant la main avec élégance.


L'attention des spectateurs passa de la scène à Sylvie. Sa beauté des plus parfaites convainquit le public qu'elle n'était pas une assistante du magicien. Certains spectateurs, par contre, se mirent à feuilleter leur dépliant en hâte, cherchant mention d'une chanteuse ou d'une top model invitée pour la croisière. Quelqu'un se mit à filmer avec un caméscope qu'il n'avait même pas sorti durant le spectacle de magie.


Et dans cette ambiance agitée et frémissant d'impatience, le garçon tendit silencieusement un couteau à Sylvie. C'était une simple lame argentée. Elle devait être truquée pour le tour, mais son toucher et son poids étaient identiques à celui d'une arme réelle.


Le garçon souleva ensuite une boîte derrière la scène, qui ressemblait à un placard à balais faisant à peu près sa taille. D'après les dimensions de la boîte, il était évident qu'elle était faite pour que le magicien puisse s'y enfermer. Il n'y avait même pas assez de place pour qu'il puisse se retourner une fois entré à l'intérieur. Il y avait plusieurs trous de la taille d'une balle de tennis dans la paroi. Un peu au dessus du milieu se trouvait une marque en forme de cœur.


Le jeune magicien ouvrit la porte de la boîte et la fit pivoter pour montrer au public qu'elle ne contenait aucun dispositif particulier. Il referma ensuite la porte, la bloqua à l'aide de chaînes, et la verrouilla.


'Qu'est-ce qu'il fait ?' Alors que les spectateurs commençaient à se demander pourquoi il n'était pas entré à l"intérieur--


Ils réalisèrent qu'il y avait un large anneau sur le sol, avec un long morceau de tissu attaché dessous comme un rideau. Le garçon saisit l'anneau en pénétrant lentement à l'intérieur, avant de le soulever en l'air le plus haut possible. Le rideau qui se leva avec l'anneau dissimula le garçon aux yeux du public.


Mais seulement l'espace d'un instant.

Très vite, privé de son support, l'anneau retomba au sol. Et derrière le rideau apparut la boîte entourée de chaînes, avec les bras du magicien sortant par les trous sur les côtés.


"Hoh..."


Même Denkuro était impressionné par le spectacle. Mais bien sûr, le tour n'était pas encore fini. La voix du garçon sortit de la boîte, s'adressant à Sylvie qui avait les yeux écarquillés.


"Si la ravissante dame voulait bien--" le garçon s'exprimait délibérément d'un ton timide, "je vous en prie, me transpercer le cœur."


Sylvie hésita un moment en entendant sa requête, prononcée partiellement en italien, mais elle se décida et pointa lentement le couteau vers la boîte.


Cela ne prit qu'un instant.


Une seconde plus tard, le couteau dans la main de Sylvie s'inséra lentement dans la marque en forme de cœur sur le devant de la boîte. Les mains du garçon se contractèrent pendant quelques secondes, et lâchèrent quelque chose qui tomba sur la scène. C'était la clé des chaînes qu'il avait installé un peu plus tôt.


Sylvie se pencha pour ramasser la clé, et les bras du garçon disparurent à l'intérieur de la boîte. Le silence envahit la scène. Sylvie, anxieuse malgré elle, se dépêcha de déverrouiller les chaînes et d'ouvrir la boîte, mais--


Le garçon n'était plus à l'intérieur.

A sa place, d'innombrables pétales de rose s'élevèrent dans les airs.

Les pétales voletaient--

Et tourbillonnaient--


Comme s'ils comparaient ses cheveux argentés à la brise impétueuse, les pétales illuminaient Sylvie d'une lumière brillante. Il y eut un fracas d'applaudissements retentissant. Sylvie se trouva muette d'émerveillement.


Soudain, une main derrière elle saisit la sienne. Juste derrière elle se trouvait le jeune magicien souriant, qui avait disparu de l'intérieur de la boîte.


"La clé, je vous en prie..."


Sylvie lui donna sans hésiter la clé de la serrure. Le garçon la serra dans sa main, puis ouvrit ses doigts pour révéler une unique rose.


"Je vous souhaite un merveilleux voyage."


Le magicien tendit la rose à Sylvie avec un doux sourire. Sylvie l'accepta et descendit de la scène. Avant qu'elle s'en soit rendu compte, un sourire était apparu sur son visage. Peut-être parce qu'elle avait eu confirmation - bien qu'elle sache que c'était truqué - que le garçon qu'elle avait poignardé était sain et sauf, ou peut-être s'était-elle juste laissée entraîner par la performance.


Les applaudissements continuèrent tandis que le visage magnifique de Sylvie affichait un charmant sourire.


Le garçon se déplaça au centre de la scène pour signaler la fin du spectacle. Un sourire innocent - pareil à celui de Sylvie - éclaircissait son visage.



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"Vous avez vu ça ? Vous avez vu ?"


L'homme qui était installé à l'autre bout du restaurant par rapport à Elmer murmura placidement tout en observant Sylvie qui revenait à sa table.


"Quel charme exquis. Un sourire ! Un sourire ! Même après avoir vécu plus de trois cent ans, elle n'est toujours pas fatiguée de la vie. C'est adorable. Vous ne trouvez pas, Rucott ?"


Ses murmures brefs et maladroits étaient étouffés par le bruit des applaudissements et personne ne pouvait l'entendre. Mais la femme assise à ses côtés lui répondit, le regard toujours perdu entre rêve et réalité.


"...Ah. Oui."


"Je ferai une copie de cette vidéo après."


Qu'il ait entendu ou non la femme - Silis - lui répondre, Bride éjecta la cassette de son caméscope et la plaça dans son sac avec un air d'adoration.


"Après tout, quand j'aurai épousé cette femme... lui montrer les souvenirs de ces jours heureux fera une superbe prière."



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Trente minutes plus tard.




Bien qu'il soit parfaitement réveillé, le garçon se sentait étrangement détaché de la réalité. Les secousses qui faisaient vibrer le navire, d'habitude imperceptibles, lui remuaient violemment le cœur.


Après avoir terminé sa performance, le Rookie profitait seul d'un petit café dans un coin du restaurant maintenant déserté. Même s'il avait dû recourir à certains négociations sous le manteau pour pouvoir embarquer aussi près du départ, il n'avait pas pour autant soudoyé tout l'équipage. Ainsi, le patron du restaurant ignorait tout des Mask Makers. Ce qui ne l'avait pas empêché pour autant de lui préparer gentiment un café en signe d'encouragement.


Luchino se sentait accablé par la culpabilité, sachant qu'il ne se servait du sympathique patron que pour ses propres intérêts. Mais il rejeta ces sentiments dans un recoin de son cœur pour se concentrer sur son plan d'action.


'Je vais laisser Aging se charger de la communication avec les autres pour l'instant.

Même si les Mask Makers devaient être démasqués, personne ne peut me relier à eux.

Et même si le pire devait arriver et que je me retrouve tout seul, je dois quand même le capturer.

J'ai tout préparé pour pouvoir évacuer le navire en plein milieu de la croisière. J'ai juste à guetter le bon moment--'


Alors que le garçon était perdu dans ses pensées, un passager vint pour lui parler.




Le passager dit quelque chose au patron du restaurant, actuellement fermé. Après une brève conversation, le patron le laissa à l'entrée et s'approcha du Rookie qui buvait son café.


"Quelqu'un qui vient de votre ville natale est là, M. Luchino. Il dit qu'il tient à vous féliciter personnellement pour le magnifique spectacle."


"Ah, ça tombe bien. Je me disais justement que j'avais envie de discuter avec quelqu'un."


Luchino afficha un masque de naïveté enfantine et demanda au patron de faire rentrer le passager en question. Au moment où la porte s'ouvrit, il reconnut son visiteur.


C'était le visage de l'homme qu'il attendait et redoutait à la fois.




"Hé là, heureux de vous rencontrer... je crois ? Je m'appelle Elmer. Elmer C. Albatross."


"Luchino. C'est un plaisir."


Luchino tendit tranquillement une main à l'homme qui affichait un sourire honnête.


"Je vous remercie beaucoup d'avoir assisté à mon spectacle aujourd'hui... Peut-être pourriez-vous transmettre mes remerciements à la charmante dame qui vous accompagnait."


"Non, il n'y a vraiment pas de quoi ! C'est nous qui devrions vous remercier pour ce spectacle génial !"


Au moment où Elmer lui saisit la main, Luchino sentit l'anxiété le recouvrir de la tête aux pieds.


'...C'est un immortel...d'après ce qu'ils m'ont dit.'


Bien qu'il se trouve personnellement en présence et en contact avec un immortel, celui-ci ne semblait guère différent de n'importe quel être humain. Mais l'homme devant lui n'était définitivement pas humain.


Luchino, bien conscient de ce fait, s'adressa à lui à travers le masque d'un sourire.


"On m'a dit que vous aussi, vous êtes de Lotto Valentino..."


"Ouais. Ça fait un bail, mais j'ai vécu là-bas environ six ans durant mon enfance."


"Ah ? Alors vous devez avoir entendu parler de lui ? Vous savez, ce fameux Comte Dom Juan qui a aimé plus de trente femmes de chambre au cours de sa vie."


"Trente-sept, pour être exact. Je vois... Alors les histoires sur Spe- pardon, le Comte Boroñal courent toujours à notre époque."


"Que voulez-vous dire, M. Elmer ? Vous n'avez pas l'air d'avoir plus qu'une dizaine d'années que moi."


Luchino savait qu'il se montrait beaucoup trop direct. Si les histoires disaient vraies, l'homme qui lui faisait face avait vécu à Lotto Valentino à la même époque que le Comte Boroñal. C'était ce que Luchino voulait établir en interrogeant Elmer.


Cependant--


"Ah, entre vous et moi, mieux vaut ne pas en parler, mais... je suis bien plus vieux que ça. A peu près trois cent ans de plus."


"...C'est une blague ? Ne me dites pas que vous êtes un vampire."


"Un vampire, hein ? Je ne pense pas. Je connais un type qui ressemble un peu à un vampire, mais je ne lui ai jamais demandé s'il en était un. Vous pensez qu'ils existent vraiment ?"


"...Umm. Bonne question."


Luchino lui donna une réponse vague. Même s'il pensait que l'existence des vampires n'était pas si improbable vu que des immortels existaient vraiment, il refusait de jouer le jeu d'Elmer.


'Qui c'est ce type ? Est-ce qu'il a la moindre idée de la situation dans laquelle il se trouve ?'


Luchino avait toujours pensé que les immortels prenaient soin de dissimuler leur identité - les gens les auraient traités de monstres, et la possibilité d'être kidnappé par des hommes en noir devenait beaucoup trop vraisemblable.


Et quand bien même ces choses ne l'auraient guère inquiété, Luchino n'aurait jamais imaginé qu'Elmer lui révèle son immortalité aussi tranquillement.


"Mais oublions ça ; votre spectacle de magie était fabuleux ! J'étais un peu fier, en tant qu'ancien résident de Lotto Valentino. Je sais que je n'y suis pour rien, mais ça me rend vraiment heureux de penser que je partage la même ville natale que quelqu'un d'aussi incroyable que vous. Alors je tenais à m'exprimer pour tous ceux qui ressentent la même chose ! Wouah ! Merci. Merci beaucoup !"


Les remerciement qu'Elmer offraient au jeune magicien étaient parfaitement sincères, sans la moindre trace d'ironie ou de sarcasme.


'Qu'est-ce qu'il fabrique ?'


Pendant ce temps, Luchino regagnait son calme intérieur ; mais plus il retrouvait son calme, plus il se sentait intrigué :


'Est-ce que ce type... est vraiment un immortel ?'


Il n'avait pas d'idée spécifique sur comment se comportait un immortel, mais cet homme était tellement impulsif qu'il en avait du mal à le croire. Cependant, le garçon garda pour lui sa confusion et décida d'écouter Elmer en l'observant. Il mit de côté ses émotions inutiles, gela son cœur, et afficha un sourire de façade.




Au final, ils tombèrent à court de sujets de conversation au bout de dix minutes à peine.


Ils commencèrent par discuter de leur ville natale avec intérêt, mais trois siècles séparaient leurs images respectives de la ville. Même s'ils se retrouvaient sur certains points comme le paysage, les bâtiments historiques ou les plaisanteries typiques, les aspects plus modernes de la ville étaient devenus complètement différents.


Après le dernier silence pénible d'une longue série, Elmer se releva en souriant.


"Ah, désolé de vous retenir aussi tard."


"Pas du tout. Je suis ravi d'avoir pu écouter vos histoires ! N'hésitez pas à revenir visiter Lotto Valentino un de ces jours !"


Luchino répondit avec le sourire, dissimulant ses pensées--'Bien sûr, vous allez pouvoir m'y accompagner plus tôt que vous ne le croyez.'


Elmer sourit en retour et se mit à regarder Luchino droit dans les yeux--


"Oui, j'y penserai... Ah, c'est ça ! Je tenais juste à vous dire quelque chose, parce que vous ressemblez un peu à quelqu'un que je connais..."


"Oui ?"


Luchino sentit son cœur s'emballer en entendit dire qu'il ressemblait à l'une des connaissances d'Elmer. On disait qu'Elmer avait connu son ancêtre Monica. S'apprêtait-il à dire que Luchino lui rappelait son ancêtre de plus de trois siècles de cela ?


'Ou... ne me dites pas... qu'il parle de Huey...?'


Cette possibilité l'inquiétait un peu, mais il fit de son mieux pour réprimer cette sensation et saluer Elmer avec le sourire.

Mais l'instant d'après, Luchino réalisa que tous ses efforts étaient vains.


"Je suis sûr que vous serez heureux un jour."


"...Pardon...?"


Luchino n'aurait jamais pu s'attendre aux mots qui suivirent.


"Jusqu'ici, vous ne m'avez montré que des faux sourires ; mais je suis sûr que vous parviendrez à être sincèrement heureux un jour."


"...!"


Sa façade amicale avait été découverte.

Détruite.

Percée à jour.

Les signaux d'alarme se mirent à retentir dans sa tête.


Quelle part de la vérité Elmer avait-il découvert ? Ou est-ce qu'Elmer l'avait approché en sachant tout depuis le départ ?


'Si c'est le cas... Qu'est-ce que je vais faire ?'


Alors que ses muscles se tendaient, l'expression du visage de Luchino se figea tandis qu'il attendait une réponse d'Elmer. Celui-ci semblait avoir réalisé le choc que Luchino avait reçu. Il commença à s'excuser.


"Ah ! Voir à travers les faux sourires est une de mes spécialités. Mais... le sourire que vous affichiez pendant votre numéro ! Ça c'était un vrai sourire, complètement sincère. Ça fait longtemps que je n'avais pas vu une joie aussi intense."


Elmer semblait être perdu dans le souvenir du spectacle de magie. Il dit ensuite :


"Si elle peut vous apporter un sourire pareil, votre magie ne vous trahira probablement jamais."


"..."


"C'est pour ça... que vous devez continuer à croire en cette magie."


L'immortel qui avait complètement bouleversé les attentes de Luchino quitta le restaurant sur ce dernier conseil.


"Et alors, je suis sûr que vous pourrez rire autant que vous le souhaitez."


Il s'en alla, sans même donner l'impression d'avoir remarqué à quel point ces conseils aimables étaient en fait cruels pour le jeune garçon.

Le Rookie resta immobile, regardant silencieusement Elmer disparaître.


'Qu'est-ce que c'est que ce délire...'


Alors que le garçon tentait de retrouver son calme, il réalisa que les larmes lui montaient aux yeux.


'Est-ce que cet homme a toujours été ainsi ? Durant les trois cent dernières années ?'


Il ne savait pas pourquoi il s'était mis à pleurer. Il n'essaya même pas d'y penser. Mais il tenta de faire fuir ses larmes en réfléchissant à l'autre question qui le préoccupait.


'Si oui... pourquoi il n'a rien fait pour l'arrêter ?


Pourquoi... pourquoi n'a-t-il pas empêché Huey de tuer Monica...?


Putain... putain...!'


Personne ici ne pouvait répondre aux questions qui accablaient le garçon.

Seul le son de la vaisselle en train d'être lavée en cuisine résonnait à travers son cœur.



Cling clang clac clang


Clac clang cling clang



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Et le premier jour se termina paisiblement. Du moins, en apparence.

Le gang malfaisant à bord du navire commença à montrer ses griffes.

Lentement, mais sûrement.




Dans une certaine suite.



"Hm... Normalement, nous devrions commencer le troisième jour de la croisière, non ?" expliqua calmement Bride à ses croyants qui étaient en charge des communications. Tout en leur parlant sereinement, il sortit sa blouse de laboratoire rouge et noire de ses affaires.


"Jusque là, profitons de la croisière... c'est ce que j'aimerais vous dire, mais j'imagine qu'il vaut mieux partir avec un peu d'avance. Et si nous commencions à tremper ce navire du sang de ses passagers à partir de demain soir, à peu près ? Si ça vous arrange, bien sûr ? Haha."


En finissant par un rire maladroit, Bride déplia sa blouse, réfléchit un moment, puis la replia en marmonnant "Je la mettrai plus tard".

Il se dirigea vers Silis, toujours aussi nerveux, et écarta doucement ses mèches longues.


"Je ne sais pas combien de temps il vous reste encore, alors, ah. En fait. J'aimerais vous dire maintenant, eh bien... Vous voyez, je suis vraiment très amoureux de vous ?" prononça timidement Bride, en écartant les yeux d'un air sournois.


Avec un rire embarrassé, il murmura à sa femme actuelle des mots sincères dépourvus de toute malice ou colère.



"Alors ce que j'essaie de dire, en fait... C'est, euh. Juste que j'aimerais vous voir profiter d'une souffrance de toute beauté, Miss Rucott."





--> Interlude

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