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2002 [A Side] - Bullet Garden


Chapitre 1 : L'Étrange Famille semble Embarrassée




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"Il est énorme !"


Telle était la première impression du jeune homme au visage enfantin.


Cependant, il referma aussitôt la bouche par réflexe et regarda rapidement autour de lui.


Il s'éclaircit la gorge et se mit à parler d'un ton inutilement précieux afin de faire oublier ce qu'il venait de dire.


"Hm... Quel spectacle faramineux. Une telle vue s'accorde sans conteste à l'océan céleste et à l'azur des cieux."


Et bien que ce jeune homme aux yeux cerclés de lunettes ait souri tranquillement en disant ceci--


Un gloussement de rire bien moins élégant se fit entendre derrière lui.


"Pfffft... J-je ne peux pas me retenir ! Ahaha ! Hahahaha !"


Le jeune homme se figea en entendant cette explosion de rire puéril.


"Qu--qu'est-ce qu'il y a, Czes ?"


"C'est... C'est juste...! Tu en fais beaucoup trop, Firo !"


Le garçon appelé Czes retint son rire et leva les yeux vers le jeune homme qui lui faisait face.


"Et d'ailleurs, frangin... Ce costard ne te va pas du tout...!"


"Ah, euh... Vraiment ? Ça me va si mal que ça...? Au fait, pourquoi est-ce que tu me dis ça maintenant ?"


Comme s'il admettait que cette tenue ne lui convenait pas, le jeune homme en smoking - Firo Prochainezo - ôta ses lunettes (purement décoratives), les rangea dans leur étui, et vérifia son apparence.


"Hé, Ennis, qu'est-ce que tu penses--"


Firo se figea sitôt après s'être tourné vers la droite.


La femme qui se tenait à son côté lui était extrêmement familière ; cela faisait maintenant plus de 70 ans qu'ils vivaient ensemble, après tout.


Firo vivait avec elle depuis qu'il était devenu immortel durant un incident en 1930. Un an plus tard, un camarade immortel - un garçon nommé Czeslaw Meyer - les avait rejoint, et ils l'avaient joyeusement accepté comme un petit frère.


Ils avaient vécu ensemble durant une période de temps qui aurait représenté une vie entière pour des mortels, et n'était rien de plus qu'une petite seconde pour un immortel.


Et après que cinquante ans se soient écoulés, Firo avait rassemblé le courage de demander cette femme en mariage ; et elle avait continué à se tenir à ses côtés jusqu'à ce jour.


Ennis.


Ennis Prochainezo.


En se basant uniquement sur l'apparence, on lui aurait donné à peu prés le même âge que Firo. Cependant, son attitude calme donnait parfois l'impression qu'elle était plus vieille que son mari.


Et ce mari - Firo - s'était figé à la vue de sa femme.


Elle portait une robe bustier plutôt ordinaire, dont la simplicité faisait ressortir la beauté de celle qui la revêtait.


Inhabituellement pour Ennis, qui préférait mettre des costumes, ses bras étaient découverts ; l'atmosphère qui l'entourait était complètement différente.


Bien entendu, ce n'était pas comme si Firo n'avait jamais vu ses bras et ses épaules.


Après tout, elle portait toujours des vêtements relativement légers pour dormir ; il avait aussi vu quantité de photos qu'elle avait prise avec Czes à la piscine ou à la plage.


Cependant, la voir ainsi sous le soleil brillant, portant une robe qu'il n'avait encore jamais vue auparavant, était bien plus aguicheur que tout ce que Firo aurait jamais pu imaginer.


Ennis elle-même, réalisant que le regard de Firo était fixé sur elle, baissa timidement la tête.


"Euh... est-ce que... ça ne me va pas ?" murmura-t-elle avec hésitation.


"Que--?! N-non, ce n'est pas ça !" Firo se mit à gesticuler follement devant sa femme tout en niant vigoureusement.


Il se comportait avec elle tout comme un jeune gamin innocent parlant à son premier amour ; rien ne suggérait que ces deux-là vivaient ensemble depuis déjà plus de soixante-dix ans.


Bien que Firo puisse encore passer pour un "jeune homme" quand il portait ses lunettes, son comportement à l'instant suffisait à le classer comme un "jeune gamin".



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Le jeune homme au visage juvénile dirigea ensuite son regard vers l'objet qui se dressait face à eux.


L'objet n'aurait pu être mieux décrit que comme "gigantesque". Bien qu'il soit également élégant, luxueux, splendide, et majestueux, il n'y avait pas de meilleur qualificatif que "gigantesque".




Le vaisseau de croisière de luxe Entrance.


Un palace royal maritime qui était semblable à un hôtel de tourisme situé en pleine mer.


C'était un des plus prestigieux navires de croisière au monde, construit il y a quelques années de ça par une association entre plusieurs entreprises américaines et japonaises.


Avec toutes sortes d'événements prenant place à bord et tout le luxe mondial mis à disposition des voyageurs, c'était un bâtiment spécial possédant une soute tellement vaste qu'on pouvait y faire un tour en voiture.


Il avait accueilli des salons internationaux de l'Auto par le passé ; Entrance était, d'une certaine façon, plus connu pour être un lieu d'exposition et d'événements spéciaux qu'un vaisseau de croisière.


Cependant, il y avait un détail curieux au sujet de ce navire.




Le vaisseau soeur Exit.




Ce vaisseau avait un jumeau parfait. Les deux bateaux étaient nommés Entrance et Exit, signifiant respectivement "Entrance to Paradise" et "Exit from Reality".


Cette particularité était mise à profit lors de la "Rencontre" qui avait lieu durant la traversée du Pacifique ou de l'Atlantique, lorsque les deux navires passaient l'un à côté de l'autre à longueur de vue et tirait des feux d'artifice pour souhaiter un voyage heureux à l'autre vaisseau.


"Huh.. Est-ce que c'est vraiment si amusant de regarder passer un navire identique ?"


C'est ce que Firo s'était dit quand il avait lu le dépliant, mais il se retrouvait forcé d'acquiescer en voyant le vaisseau de ses propres yeux.


'Ça pourrait être vachement cool de voir un bateau de cette taille.'


Il faisait 306 mètres de long, 55 mètres de hauteur, et 52 mètres de largeur.


A cause de la soute colossale et des installations pour les événements spéciaux, la capacité était plutôt réduite comparée à d'autres vaisseaux de cette taille. Cependant, il pouvait tout de même transporter plus de 2500 passagers et plus d'un millier de membres d'équipage.


La plupart des gratte-ciels seraient moins imposants si on les couchait sur le sol.


"Ils appellent ça un 'château maritime', mais... Combien de châteaux faisaient une taille pareille ?" demanda Firo avec ébahissement, sans même essayer de paraître plus mature qu'il n'en avait l'air.


Ennis observait aussi la muraille blanche.


"Je n'aurais jamais imaginé que la technologie progresse aussi rapidement en moins d'un siècle." réfléchit-t-elle, repensant aux connaissances accumulées au cours de sa longue existence.


"Tu trouves ? Personnellement, j'étais plus impressionné par le 19e siècle. Ils posaient des lignes de chemin de fer comme s'il n'y avait pas de lendemain."


Czes ne semblait pas avoir été spécialement choqué par le vaisseau de croisière.


Firo se rappela soudain que le jeune garçon qui se tenait devant lui avait au moins deux siècles de plus qu'Ennis et lui.


"On ne peut pas vraiment savoir, tu vois ? On n'était même pas nés à cette époque."


"Alors, qu'est-ce que ça fait de devoir respecter ses aînés ?"


Voyant Czes grimacer triomphalement, Firo utilisa sa main gauche pour lui décoiffer les cheveux.


"Ne prends pas la grosse tête !"


"Ack !"


Czes, les cheveux en pagaille, échappa à Firo et courut se réfugier derrière Ennis.


Ennis les regardait tous deux avec un sourire.


Et alors que Firo embrassait cette situation chaleureuse--


'Wouah. Je me sens bien.'


Il prit un moment pour apprécier silencieusement cette atmosphère familiale.


'On dirait que Czes est plus joyeux depuis qu'il est revenu de son voyage avec Maiza... Je me demande ce qui lui est arrivé là-bas."


Maiza et Czes étaient revenus il y a seulement deux semaines de leur voyage à la recherche de leurs compagnons immortels.


Durant les dernières décades, Firo avait pu constater que Czes bâtissait constamment un mur invisible autour de lui et que son attitude enfantine n'était qu'une façade.


Cependant, ce mur avait complètement disparu lorsqu'il était revenu à New York.


Avant, Czes ne s'était jamais comporté comme s'il était plus vieux que Firo. Désormais, il commençait à plaisanter sur son âge comme il l'avait fait à l'instant.


Légèrement paranoïaque, Firo avait interrogé Maiza à ce sujet, mais la seule réponse qu'il avait obtenue était "Je suppose qu'on peut en remercier Elmer".


Elmer. Même les souvenirs de Szilard ne contenaient quasiment pas d'information à son sujet. Dans un sens, c'était prévisible de la part de Szilard, qui ne s'était presque jamais intéressé qu'à lui-même. Cependant, cette personne nommée Elmer était un sacré excentrique, même d'après les souvenirs des autres alchimistes.


'Je suppose que le croiserai un de ces jours.'


Firo nota mentalement de le remercier plus tard, et décida de se concentrer pour faire en sorte que Czes se sente à l'aise avec eux comme leur petit frère plus âgé.


Il ferait ceci en tant que capo calme et posé de la camorra.


Et aussi en tant qu'homme embarrassé qui, face à sa famille, n'avait pas changé d'un pouce durant les soixante-dix dernières années.


"Enfin... on dirait que tout le monde ici est plein aux as."


Les gens qui les entouraient étaient d'origine diverse, mais chacun d'entre eux avait l'air de celui qui ne risquait pas d'être dans le besoin de sitôt.


Ayant lu les consignes officielles qui disaient, "Nous demandons à tous les passagers d'être habillés en tenue de soirée pour la cérémonie de départ", Firo s'apprêtait à y aller dans son costume habituel. Cependant--


"Firo, les consignes veulent dire qu'il faut porter un smoking. Ton costume se rapproche plus d'une tenue professionnelle." lui conseilla le Don, Molsa Martillo. Alors Firo décida de se procurer un smoking sur mesure.


Czes n'avait pas été le premier à se moquer de lui plus tôt. Il avait porté le smoking à l'Alveare pour tester les réactions, et avait presque dû fuir le restaurant sous un déluge d'éclats de rires provenant à la fois de Randy, Pecho, des capos et des sous-fifres, et même des clients.


"Bon sang. Même Maiza riait... Au moins Isaac et Miria m'ont dit que j'étais super, mais est-ce vraiment positif, considérant ces deux-là ?"


Actuellement, les affaires de la Famille Martillo étaient bien plus réduites que par le passé.


Même si la présence accrue de la police participait à cet état de fait, la raison principale était que le jeu clandestin n'était plus aussi populaire qu'avant.


Et comme la Famille Martillo s'était résolue à ne jamais toucher au trafic de drogue, leur seule source de revenus fixe provenait d'une entreprise d'importation d'épices qui avait été mise en place comme couverture pour le reste de l'organisation.


Du moins, jusqu'à il y a quelques années.


Bien que leur champ d'opérations soit plus réduit qu'auparavant, ils n'avaient jamais manqué de fonds.


Plusieurs années plus tôt, Molsa Martillo avait utilisé ses fonds personnels pour investir dans de nouveaux marchés. Il avait dégagé d'importants profits, qui leur avait permis de lancer une chaîne de restaurants Alveare, qui avait à leur tour généré suffisamment d'argent régulier au point que les affaires de la camorra en était devenues la source de revenus secondaire des Martillos. Certains des employés de l'Alveare ces jours-ci ne savaient même pas la vérité sur la Famille Martillo.


'Je me demande si on finira par lentement devenir des hommes d'affaires ordinaires.'


Par le passé, Firo avait été complètement opposé à ces changements.


Cependant, le temps passé à vivre avec une famille bien à lui lui fit considérer qu'il n'était pas complètement nécessaire de travailler dans le milieu criminel.


'Cela étant, j'ai juré loyauté au chef-- à la Famille Martillo. Peu importe ce qu'il arrive, ce que je dois faire, c'est tenir ma parole.


Je les suivrai jusqu'au bout. Je ne sais pas quand est-ce que ça pourra arriver, mais d'ici là -- Je prendrai soin de chérir tout et tous ceux qui m'entourent' pensa Firo, avant d'être surpris par ses propres pensées. Il regarda nerveusement autour de lui.


'Qu'est-ce que je fabrique ? Pourquoi est-ce que je pense à des choses pareilles ?!'


Firo inspira profondément et réalisa pourquoi il était si anxieux aujourd'hui.


'Je suppose que ce n'est pas surprenant que je sois si nerveux.'


Il regarda discrètement dans la direction d'Ennis et serra le poing.


'Après tout, c'est censé être notre lune de miel.'



<==>



Tout avait commencé avec une conversation ordinaire entre Isaac et Miria.


"Dis, Isaac ?"


"Qu'est-ce qu'il y a, Miria ?"


Ils étaient à l'Alveare.


La télé passait une émission sur le mariage de Marie Antoinette, quand Miria éleva soudain la voix avec des étoiles plein les yeux.


"C'est quoi la date limite pour une lune de miel ?"


"Aucune ! La lune de miel est le premier voyage où on part ensemble après le mariage."


"Vraiment, Isaac ? Peu importe le temps écoulé ?"


"Bien sûr, Miria ! Après tout, deux personnes amoureuses ne manqueront jamais de nouvelles découvertes à faire ensemble."


"Génial !"


Cette conversation ne changeait pas tellement de leur trafic habituel, mais Firo décida de tendre l'oreille.


'Qu'est-ce qui leur prend ? Juste parce que ça passe à la télé... est-ce qu'ils envisagent finalement de se marier ?'


Firo était plutôt surpris que ces deux-là, qui semblaient toujours parfaitement heureux ensemble sans mariage ni logement fixe, discutent du sujet. Il décida de continuer à écouter.


Cependant--


Il allait bientôt regretter de se trouver à cet endroit à ce moment.


"Je vois ! Alors Firo et Ennis ont encore une chance !"


"Bien sûr !"


Pfffffft. Firo recracha l'alcool qu'il était en train d'avaler et décida de lui-même de considérer leurs dernières phrases comme des hallucinations dues à la boisson.


Cependant, l'atmosphère du restaurant ne fut pas si accommodante.


"Hein ? Ne me dis pas que vous n'êtes pas encore partis en lune de miel tous les deux, Firo !"


"Je me disais que c'était bizarre qu'ils n'aient pas eu d'enfants !"


Alors que Randy et Pecho éclataient de rire, les autres habitués du restaurant s'y mirent de leur côté.


"Quoi ? Attends. Ne me dis pas qu'il est encore..."


"Tu t'attendais à quoi de sa part ?"


"Il est tellement timide, c'est moins une curiosité qu'un défi envers son ADN de mâle."


"Peut-être qu'il a perdu tous ses instincts reproductifs après être devenu immortel..."


"Non, je crois qu'il est juste timide... Ah, peu importe."


"Sérieusement ? Tu es censé avoir quatre-vingt-dix ans, non ?"


"C'est moche pour Ennis."


"Dis-moi qu'ils se sont au moins embrassés."


"Ouais. On l'a tous vu ça."


"Ah oui ! Maintenant que j'y repense, des cinglés avaient débarqué durant la cérémonie. Ils ont fait un tel bazar que j'avais oublié le reste."


"L'église était un énorme carnage, tu te rappelle ?"


"Ah, les souvenirs."


Les moqueurs se rassemblaient lentement autour de Firo dans un grand éclat de rire.


"Dis moi, Firo. Que ce soit en lune de miel ou non, es-tu déjà parti en vacances avec elle quelque part ?"


"Eh bien... non. Je ne pouvais pas abandonner mon poste."


"Alors je vais reprendre les fonctions de trésorier pour le moment. Ne t'inquiète pas."


"Pas toi aussi, Maiza !"


Firo était assailli de questions par ses sympathiques (mais redoutables) camarades. Il fit de son mieux pour changer de sujet, mais--


Ce fut une Miria étonnamment sérieuse qui asséna le coup fatal.


"Ennis n'en parle peut-être pas, mais quand ce genre de choses passe à la télé, elle regarde toujours très attentivement."




Les mots de Miria avaient donné un vrai choc à Firo. Après être rentré chez lui, il regarda Ennis droit dans les yeux et s'éclaircit la gorge.


"E-Eh, Ennis."


"Oui ?"


Ennis semblait avoir réalisé que l'attitude de Firo était légèrement différente aujourd'hui. Elle attendait patiemment avec un regard sérieux.


"..."


Silence. En voyant le visage d'Ennis, Firo n'avait pas le courage de lui dire, "Partons en lune de miel."


"Qu'est-ce qu'il y a, Firo ?"


"Eh-eh bien..."


Leur relation avait à peine changé depuis qu'ils s'étaient mariés.


Ennis avait cessé d'employer des termes honorifiques en s'adressant à lui, mais elle lui parlait toujours poliment. Cela ne changerait probablement jamais, même s'ils en venaient à avoir des enfants. Firo n'avait aucune intention de lui dire de changer cela, puisque c'était sa façon de s'exprimer la plus sincère.


Et bien que ses façons réservées le rendent anxieux, Firo se rappelait la nuit frénétique de leur mariage, et le doux sourire d'Ennis à la joie d'avoir gagné le nom 'Prochainezo'. Il se calma et prononça ensuite les mots adéquats.


"...Partons. En vacances."


"Des vacances ?"


"T-tu ne veux pas ?"


"Je serais ravie d'aller n'importe où avec toi."


"...!"


Firo fut pris par surprise par la réponse immédiate d'Ennis.


Ennis regardait juste le visage de Firo, se demandant ce qui n'allait pas.


"Mais pourquoi si soudainement ?"


"E-Eh bien, euh. Tu vois..."


Le visage rougissant de Firo ne contenait pas une once de la dignité d'un capo de la camorra ; il n'était qu'un simple gamin trop embarrassé pour dire, "c'est notre lune de miel".


Cependant--


"Je suis rentré."


Czes rentra en coup de vent, poussant Firo à cracher une réponse absurde.


"P-pour des vacances en famille !"


"?"


Czes le regarda d'un air étonné alors que Firo se lançait dans des explications confuses.


"Euh, tu sais ! Tu m'avais dit que ce fameux 'Denkuro' pourrait bien se trouver au Japon, non ? Tu vois, je me suis lié avec ce photographe japonais plus tôt ce mois-ci ; le même jour où Maiza et toi êtes revenus, d'ailleurs ! Il m'a invité à venir le voir quand je voudrais, mais ce serait plutôt bizarre de partir en voyage tout seul !"


Et au final, il se retrouva incapable de dire ce qu'il avait vraiment voulu dire.




"Alors, ce que je veux dire, c'est-- Allons-y tous ensemble ! Tous les trois !"




Le lendemain.


Ayant entendu l'essentiel de la situation de ses hommes, Molsa donna à Firo trois billets pour une croisière à destination du Japon à bord d'un vaisseau de luxe en précisant "Maintenant que j'y pense, je ne crois pas t'avoir encore donné de cadeau de mariage."


Bien que Firo les ait accepté avec des remerciements enthousiastes, il vérifia les prix sur Internet et, ayant été trésorier durant trente ans, manqua perdre ses esprits.


Le prix d'une suite dépassait les dix mille dollars par personne.


Il réussit à se retenir d'aller voir Molsa pour lui demander, "Monsieur, où diable avez-vous obtenu tout cet argent ?!", réalisant que la réponse risquait de le terrifier.


'Si on y pense calmement, je suppose que ce serait bizarre qu'une organisation criminelle soit trop pauvre pour se permettre de dépenser trente mille..."


Désormais convaincu d'être endetté envers Molsa pour la vie, Firo partit bientôt pour le Pacifique avec sa femme et leur petit frère-- comme une espèce d'étrange "famille".


C'était il y a deux semaines de cela.


Alors qu'il embarquait, Firo essayait désespérément de calmer sa nervosité en vérifiant son passeport.


Pour les immortels comme lui, qui ne pouvaient user de pseudonymes, il y avait un élément du passeport qui devait être falsifié.


Son âge.


Il y a quelques temps, Firo était parti en Italie pour régler des affaires. Il s'était retrouvé en cellule durant toute une journée à cause de l'âge indiqué sur son passeport-- plus de soixante-dix ans. Il s'était fait engueuler via un appel international de Victor Talbot : "Pourquoi tu n'as pas discuté de ça avec moi avant ?! Tu comptes m'emmerder comme ça encore longtemps, hein ?! Si tu fais quoi que ce soit là-bas qui me cause le moindre souci, je te renvoie pourrir dans les cachots d'Alcatraz, visite touristique ou non !".


Bien sûr, c'était partiellement de la faute de Firo qui avait dit, "Demandez un type appelé Victor au FBI. Il pourra se porter garant de moi."


Cette fois, ils s'étaient assurés d'éviter un tel scénario en falsifiant uniquement la section de l'âge sur leur passeport.


Bien que les règles de l'Élixir leur interdisent de falsifier leurs noms et leurs adresses, il semblait que l'âge puisse être modifié dans les documents officiels avec l'aide d'un troisième parti. C'était probablement parce que l'âge n'importait pas vraiment quand il s'agissait de retrouver un camarade immortel.


Czes et Ennis avaient également altéré leur âge pour éviter tout problème.


'Ouais. C'est parfait'. pensa Firo, en avançant avec confiance vers le contrôle d'embarquement.


"Est-ce qu'on peut acheter de l'alcool à bord du navire ?" demanda-t-il d'un ton mature, en s'éclaircissant la gorge. La réponse de l'employé fut accompagnée d'un léger ricanement.


"Je crains qu'il soit interdit aux mineurs de boire, même à bord du vaisseau."


"...Si vous voulez bien vérifier mon passeport une nouvelle fois, je vous prie."


"Oh ?! Vingt-cinq--? Je suis vraiment désolé monsieur, j'étais sûr que vous étiez--!"


Firo n'arriva même pas à se mettre en colère alors qu'il passait les portes et rentrait dans le navire.



<==>



"Je pense que vingt-cinq était un peu exagéré, grand frère." Czes ricanait, tandis qu'Ennis était occupée à consulter un employé au sujet de leurs bagages.


"La ferme. Je peux au moins me dire que j'ai l'air un peu plus mature avec mes lunettes."


Pendant que Firo suivait Ennis du regard en soupirant, Czes rit d'un ton significatif et lui jeta un regard perçant.


"Enfin... Quand même, c'était osé comme astuce, m'utiliser comme excuse."


"De quoi tu parles ?"


Czes lui chuchota silencieusement de sorte à ce qu'Ennis n'entende pas. "Tu as appelé ça des 'vacances en famille', mais en fait c'est censé être votre lune de miel, non ?" 


Firo se figea.


"Que-?!"


"Ne t'inquiète pas, Firo."


Czes chuchota dans l'oreille de Firo avec un rictus vaguement sournois et adulte.


"Une fois qu'on sera à bord, je vous éviterai autant que possible pour ne pas vous déranger. J'irai voir un film au cinéma ou autre chose la nuit."


"!! !!!...!"


Firo en perdit le souffle, et lutta pour trouver une réponse cinglante. Mais il retomba dans le silence voyant qu'Ennis revenait de leur côté.


"Que se passe-t-il, Firo ? Tu n'as pas l'air bien."


"Il a peut-être le mal de mer." Czes se mit à rire. Firo fut frappé d'une réalisation soudaine.


Le garçon devant lui était quelqu'un de bien plus las et blasé de ce monde qu'il ne l'avait jamais été.


Bien entendu, Firo était dans un tel état qu'il aurait probablement pu être roulé par le premier gamin venu.



<==>



Après avoir franchi le contrôle d'immigration sans problème, ils observaient tous les trois le port depuis le bateau.


Firo était entré dans leur chambre un peu plus tôt, mais il s'était senti submergé par le luxe impressionnant de la suite - bien plus décadente que n'importe quelle chambre d'hôtel - et avait déposé les bagages avant de s'échapper sur le pont.


Ayant été trésorier de l'organisation durant les trente années d'absence de Maiza, Firo pouvait estimer d'un coup d'oeil la valeur de cette suite.


'Je suppose que ce smoking me donne vraiment l'air ridicule. Comparé à Ennis et Czes...


Je suis heureux de voir qu'Ennis est toujours aussi belle, mais... pourquoi est-ce que celui de Czes lui va aussi bien ?'


Firo regarda par-delà le bastingage afin d'ôter ces soucis de sa tête, et se trouva frappé par l'échelle imposante de ce vaisseau de croisière.


De sa perspective, depuis une hauteur qui correspondait au toit de la plupart des grands immeubles, les gens qui se déplaçaient au sol avaient l'apparence de fourmis.


Il en vint à se demander, 'Est-ce que ce bateau où je me trouve va vraiment traverser l'océan ?', et se retourna vers l'Entrance.


Ils se tenaient actuellement sur le pont à la proue du navire, mais ce pont ne se trouvait qu'à la moitié de la hauteur totale du vaisseau.


La majorité de l'espace des niveaux supérieurs du navire se trouvaient près du centre du bâtiment, plus haut que ce pont.


Firo n'avait pas encore été vérifier, mais il semblait qu'il y ait une piscine à vagues et un terrain de tennis là-haut.


'Peut-être que je devrais aller voir ça-- ?!


Qu'est-ce que c'est que ce truc ?!'


Les yeux de Firo s'agrandirent alors qu'il observait le pont supérieur.


Un objet gigantesque était en train d'être déplacé vers le pont par une grue colossale à côté du vaisseau.




C'était un énorme requin, faisant plus de dix mètres de long.




"Q-qu'est-ce qu'un requin vient faire ici ?"


Il n'y avait pas que Firo ; les autres passagers commençaient à s'interroger également. Cependant, leurs chuchotis étaient plus proches de l'excitation que de la panique.


"C'est quoi ce truc...?"


Le requin gigantesque était lentement descendu sur un socle décoratif situé au milieu du pont.


Des employés commencèrent à attacher le requin au socle, et les passagers se mirent à prendre des photos.


"Oh, alors c'est ça..."


"C'est incroyable de se dire que ce n'est qu'un robot."


"Un- un robot ? Cette chose ?" Firo demanda à Ennis et Czes, qui semblaient en savoir plus que lui.


"Oh ? Tu ne savais pas, grand frère ? Il va y avoir un événement publicitaire à bord du vaisseau une fois qu'il sera arrivé au Japon."


"J'en ai entendu parler aussi. C'est pourquoi ils transportent ce requin animatronique. Il va probablement y avoir toutes sortes d'animations durant la croisière elle-même, d'ailleurs..."


"Je vois... Je n'en savais rien."


Après l'explication, Firo observa de nouveau le requin.


"Cela dit, les robots sont incroyables de nos jours. Il a l'air parfaitement réel... C'est pour quel film ? Quelque chose comme Les Dents de la Mer 5 ?"


"Je ne sais pas trop, mais... ils en parlent probablement dans le dépliant."


Firo se rappela qu'il avait sur lui la brochure informative qu'il avait reçue au courrier. Il la sortit et la déplia, et trouva un bout de papier comportant les mots [Série Mode Gears] et [Shark Flight].


"Hein ?"


Cela lui disait quelque chose de familier, et il commençait à lire le dépliant, quand--



"Oncle Firo !"




Il entendit la voix d'une jeune fille qui l'appelait.


Quand il se retourna, il aperçut une jeune fille aux cheveux rouges et aux yeux étincelants. Derrière elle se trouvait un garçon à l'expression vaguement mécanique.


"...Claudia ! Charon !"


L'expression de surprise de Firo se changea en un sourire réjoui.


"Haha ! Ça fait si longtemps ! Il y a quoi, un an ? Ah ! Alors c'est le film, c'est ça ? Celui où tu as fait les cascades, Charon ? Et Claudia, tu m'avais dit que tu serais dans la suite, hein ? Wow ! On dirait que vous vous débrouillez bien !"


"Merci ! Ça a l'air d'aller pour toi aussi, mon oncle !"


Claudia tournoya sur elle-même et fit une légère révérence, tenant un coin de sa robe dans chaque main.


"Pourquoi tournoyer comme ça ?"


"Je voulais faire voleter ma robe !"


Firo rit et soupira à cette réponse directe.


"Ça fait un moment, Claudia."


"Wow ! Ça fait plaisir de vous revoir, Ennis !"


L'expression de Claudia s'éclaircit en apercevant Ennis, qu'elle avait déjà rencontrée auparavant.


Bien qu'elle appelle Ennis uniquement par son nom, elle appelait Firo "mon oncle". Vu le peu de gens qui traitaient Firo d'une façon accorde à son âge réel, il était ravi que Claudia lui parle de cette manière.



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La fille sourit en voyant Firo si exalté et lui posa une question.


"Mais je n'arrive pas à y croire ! Vous êtes tous les deux à bord, aussi... ? Est-ce que vous êtes en vacances ?"


"'Tous les deux' ? Non, Czes est là aussi-- hein ?"


Firo regarda autour de lui, mais n'arriva pas à trouver Czes.


Il aperçut enfin la petite silhouette en smoking près de l'entrée du pont.


Claudia semblait l'avoir repéré également, et elle se mit à bouder et à se plaindre.


"Ce Czes ! Il essaie toujours de m'éviter !"


"Je ne sais pas pourquoi, mais il a toujours eu peur des rouquins."


Soudain, Firo se rappela quelque chose et posa une question à Claudia.


"Et comment vont tes arrière-grand-parents ?"


"Ils vont super bien ! Grand-mamie est aussi énergique que jamais, et grand-papi Felix est en train de fouiller une épave naufragée dans les Caraïbes. Il dit qu'il va trouver une épée dans un butin de pirate pour l'offrir à grand-mamie."


Firo rit amèrement en écoutant l'arrière-petite-fille de son meilleur ami, tout en repensant à son visage.


"...Ce Claire, 90 ans passés et toujours la forme..."



<==>



Alors que Firo discutait avec la descendante de son ami, un groupe de personnes à une certaine distance commençaient à faire un sacré vacarme.


"Hé, regardez là-bas."


"Hein ?"


"C'est Claudia ! Claudia Walken, pas vrai ?!"


"...Si c'est encore une de tes blagues..."


"C'est bien toi qui nous a dit que tu avais vu John Travolta en Amérique du Sud, non ?"


Ce groupe de personnes ne portaient ni smokings ni robes, mais des vêtements plutôt décontractés. Bien sûr, leurs tenues décontractées restaient des costumes et des vestes de haute qualité, alors ils ne se démarquaient pas tellement de la foule.


Ces gens étaient les fameux "Hommes d'Affaires" qui avait causé tout un remue-ménage en Amérique du Sud il y a à peine quelques jours.


Bien qu'ils aient perdu un camarade il y a peu, ils conversaient tout aussi joyeusement que dans le restaurant.


"Peu importe tout ça ! Regardez là ! La jeune fille !"


"Hein... ... ... ...?!"


"Sérieusement ?" "Pas possible !" "Pincez moi, je rêve !"


L'équipe de cinéphiles se mit à s'exciter en réalisant qui était vraiment la fille qu'ils étaient en train d'observer.


"Je vous l'avais dit ! C'est Claudia ! Qu'est-ce qu'elle fait ici ?!"


"J'ai compris ! Ce requin ! Ils disaient qu'elle avait signé pour le nouveau film de [Gears] !"


"Pas possible ! Claudia qui passe dans un film de série B ?!"


"Tu ne savais pas ? Regarde par là. Le garçon derrière elle. C'est son frère Charon Walken, non ?"


"Wouah !"


"Ouais ! Tu sais que c'est Charon qui joue 'L'Engrenage', quand même ? C'est pourquoi ils ont pris sa soeur pour jouer le rôle principal. Et ça, ça doit être le requin volant qu'elle est censée fuir."


"Alors ce requin joue face à Claudia ?"


"Si on prend ça au sens littéral, j'imagine que oui."


"Cool... Elle pourrait être un peu plus difficile quand elle choisit ses rôles, quand même. Et qu'est-ce qu'elle fait à bord de ce bateau ?"


"Peut-être qu'ils vont faire une tournée publicitaire au Japon ? Avec cette réplique géante de requin là-bas..."


"Personne ne m'avait prévenu qu'ils allaient au Japon en bateau !"


"Hé, quelqu'un a un appareil photo ? N'importe qui ?!"




Même si on ignorait ce groupe en particulier, Claudia avait été entourée de flashes jusqu'à ce qu'elle embarque.


Maintenant qu'elle était à bord du navire, un hélicoptère d'un magazine survolait le pont.


Claudia Walken.


Elle était une jeune fille de quatorze ans qui était apparue dans d'innombrables films à succès. Elle avait joué des rôles d'enfants dans plusieurs films que sa seule présence avait propulsé en tête du box-office. Ses performances exceptionnelles dans tout et n'importe quoi, de drames sérieux à de l'horreur de série B ou du slasher, lui avaient attiré l'attention de nombreuses personnes. L'avenir de Claudia à Hollywood était radieux, et elle était déjà plus connue que maintes autres stars.


Bien qu'il y ait eu des rumeurs à ses débuts comme quoi son père, un dessinateur réputé de comic books, l'aurait soutenu généreusement, elle parvint à étouffer ces critiques par son seul talent.


Elle subissait bien les foudres de certains médisants, mais quand son revenu annuel finit par dépasser celui de son père, les gens cessèrent de colporter que son père faisait jouer ses contacts pour lui obtenir ses rôles.


Il y avait une autre personne qui était devenue très populaire avec elle.


Charon Walken.


Bien qu'il ne se tienne pas sous les feux de la rampe comme sa soeur, il était pratiquement considéré comme une référence parmi les amateurs de cinéma.


Le garçon, qui avait un an de moins que sa soeur, avait fait ses débuts comme 'enfant cascadeur' en même temps qu'elle.


Grâce à ses prouesses athlétiques incroyables, il travaillait à la fois en tant qu'acteur costumé et en tant que cascadeur. Sa performance en tant que "L'Engrenage", un jeune héros fait de rouages, dans le film [Mode Gears] l'an dernier, avait été vivement félicitée pour ses scènes d'action épatantes filmées en prise de vue réelle.


Cependant, il refusait obstinément de mettre les pieds dans le domaine de l'actorat. Il avait toujours incarné 'l'action', mais jamais 'l'acteur'. Même 'L'Engrenage' était doublé par un autre jeune acteur.


Son visage était suffisamment joli pour qu'on puisse le confondre avec une fille tant qu'il restait silencieux, et ses cheveux lisses contrastaient avec les boucles de sa soeur.


De nombreux producteurs auraient bien voulu lui donner un rôle central pour attirer le public féminin, mais il s'extirpait toujours de telles situations au prétexte que faire les dialogues étaient trop difficile pour lui. Cependant, le fait qu'il ne manque jamais une séance photo suggérait qu'il appréciait les films eux-mêmes.




Les Hommes d'Affaires ne pouvaient contenir leur excitation face à la présence de ces deux stars - celle en face de la caméra, et celle derrière. Bien que de nombreux autres passagers s'exclament de joie, personne ne s'avançait pour demander un autographe ou autre.


Autrement dit, bien que la foule n'ait d'abord semblé que modérément intéressée, ils étaient en fait stupéfaits par la présence de ces célébrités.


"Sérieusement ! Personne n'a d'appareil photo ? Ou un feutre indélébile ! Je vais leur demander un autographe sur ma chemise, n'importe où..."


"Pourquoi est-ce que tu te mets à agir comme un fanboy en manque ? Ah, oui !"


L'un des Hommes d'Affaires se rappela de quelque chose.


"Je suis presque sûr qu'Illness a l'un de ces nouveaux téléphones portables avec un appareil inclus."


"Il fallait que ce soit toi, Illness, hein--attends. Où est passée Illness ?"


"Hein ? Elle était là il y a une seconde..."


Les Hommes d'Affaires se figèrent brusquement sur place.


Certains d'entre eux pouvaient probablement entendre leur colonne vertébrale grincer.


Cela parce que--


La fille qu'ils étaient en train de chercher se dirigeait sans hésitation vers la star de cinéma au centre de toute l'attention.



<==>



"Hé."


"?"


Quand Firo se tourna vers la source de la voix soudaine, il fut accueilli par la vue d'une fille portant une robe inhabituelle.


Elle avait l'air plus âgée que Claudia et plus jeune qu'Ennis, mais étrangement sans vie pour une personne de cet âge.


Sa robe gothique était jaune et noire, et elle tenait une ombrelle dans sa main. Le motif dessus représentait, de façon plutôt inquiétante, un globe oculaire en gros plan. A l'opposé, ses propres yeux avaient l'air fatigués-- elle semblait même avoir des poches sous les yeux.


A y regarder de plus près, il devenait apparent que ces poches étaient dessinées-- elle portait juste du fard à paupières noir.


'Elle fait partie de la Major League ?' se demanda Firo un moment, perturbé par le fait qu'elle porte ce qui ressemblait fort à ce que les joueurs de baseball mettaient sur leur visage pour se protéger des rayons UV.


La fille ressemblait plus à un vampire de style gothique qu'à une goth lolita, mais le jaune pétant de sa robe suggérait le contraire. On aurait vaguement dit une robe de deuil, mais elle donnait globalement une impression beaucoup trop discordante. La robe était suffisamment courte pour que sa porteuse puisse se déplacer aisément, et la fille portait des bottes qui lui montaient aux genoux avec des épingles de sureté attachées aux lacets.


Ses longs cheveux blonds étaient si beaux qu'ils rendaient élégants même ses yeux cernés. Cependant, son fard à paupières sombre sur sa peau pâle, son étrange style vestimentaire, et son aspect maladif lui donnaient une apparence relativement inhabituelle, surtout à bord de ce navire.


La fille semblable à un vampire, affaiblie par le soleil éclatant, parla à Firo et aux autres d'un ton étonnamment joyeux.


"Ce requin est super cool, hein ?"


"Hein ? Euh, ouais. Il est plutôt bien fait."


"Il est vraiment très très... mignon, non ?"


La fille gloussa. Firo pencha la tête, confus.


"...Je n'irais pas jusque là."


'Est-ce que c'est une amie de Claudia ? Elle fait peut-être partie de l'équipe...' pensa Firo, ce qui expliquait pourquoi il avait répondu aussi vaguement aux questions de la fille. Cependant--


"Merci d'avoir dit que Requinou est mignon ! ...Je ne pense pas qu'on se soit déjà rencontrés, non ? Êtes-vous une amie d'Oncle Firo ?"


"Hein ?"


Firo réalisa qu'il s'était trompé.


'Alors c'est juste une inconnue, hein... peut-être une fan de Claudia ?'


Firo envisagea ensuite de se plaindre que Claudia pense immédiatement à lui en voyant une personne pareille, mais--


"Ah, tiens ? Je pensais que vous le connaissiez, parce qu'Oncle Firo a plein d'amis qui ont un look extraordinaire..."


"Uh."


Firo se rappela l'apparence de personnes comme Isaac, Miria ou Christopher et décida de se taire.


"Eh bien, j'étais curieuse au sujet de ce requin depuis un moment. Ensuite les gens ont commencé à dire que vous étiez une amie du requin, alors je voulais vous demander si je pouvais le caresser... euh... désolée. Tout le monde dit que vous êtes quelqu'un de génial, mais je ne vous connais pas. Alors, bon. Désolée."


'On avait pas besoin d'en savoir autant.'


Firo gardait un oeil sur Claudia et la goth-loli bavarde, s'assurant qu'elle n'importune pas Claudia.


Au lieu de montrer de l'irritation, cependant, les yeux de la star pétillaient de plaisir.


Elle observa l'autre fille un moment, puis sourit en s'emparant de son bras.


"Qu'est-ce que ça change que tu me connaisses ou pas ? Ta tenue est chouette, et tu as dit que Requinou était mignon... alors tu dois être quelqu'un de bien !"


"Uhhhh."


Claudia entraîna la goth-loli vers le requin en la tirant par le bras.


"Allez ! Je vais te laisser monter sur son dos !"


"Oh... J-je peux, vraiment ? V-vous croyez que je pourrais, peut-être... faire un câlin à sa nageoire ?"


"Je peux te laisser l'embrasser !"


"Quoi ?! Pas possible ! C'est trop ! Euh, um... Me-Merci !"


Claudia emmena l'étrange fille qui rougissait vers le requin.


Firo, qui avait observé toute la scène, se parla tout seul, abasourdi.


" Qu-qu'est-ce que c'était que ça...?"


'Lui faire un câlin et l'embrasser...? Ce requin ?'


Bien qu'il aurait pu faire remarquer toutes l'incongruité des paroles de Claudia, Firo décida de rester silencieux sachant qu'elle aurait éclaté de rire et contré ses remarques avec une certaine série de mots familière.


'Claudia... maintenant qu'elle a grandi, on dirait Claire tout craché.'


"Et... 'Requinou' ?"


"...C'est le nom du requin. ...Celui que Claudia lui a donné."


"Vraiment ?"


"..."


Firo soupira de nouveau, pas surpris. Le garçon qui se tenait près de lui n'avait pas bougé d'un pouce depuis qu'il l'avait salué.


"Tu devrais essayer de t'exprimer un peu plus. Je sais qu'il y a eu beaucoup de gens peu loquaces dans ta famille depuis ton arrière-grand-mère, mais... Je ne vois que Chane pour parler moins que toi."


"...Oncle Keith est encore plus silencieux."


"Pour Keith, on ne peut même pas parler de silence. Cela dit... il est plutôt bavard au téléphone."


"Ce n'est pas Oncle Keith... au téléphone... C'est le lutin du téléphone." déclara Charon avec assurance. Firo fit la grimace et décida de ne pas insister.


'Charon ne ressemble pas à Chane. Il tire plus de Keith.'


Firo avait entendu dire que Charon avait été laissé sous la garde de Keith lorsqu'il était plus jeune.


Keith Gandor était le chef d'une petite famille mafieuse, et aussi un ami très proche de Firo et Claire. Il ne comprenait pas pourquoi Charon admirait tant le silence de Keith, mais Charon était devenu en grandissant un garçon très stoïque.


Bien que Firo n'arrive jamais à deviner à quoi il pouvait penser, il était heureux de sa présence-- Charon, après tout, était la dernière ligne de défense contre une Claudia déchaînée.


"On dirait que ça va être une croisière pleine d'animation." Ennis se mit à rire. Firo se sentait partagé.


Bien qu'il apprécie leur compagnie, cela ôtait le caractère particulier de ce voyage.


Idéalement, Firo aurait souhaité passer le voyage seul avec Ennis, mais il se demanda si ça n'était pas trop inhabituel pour eux.


Firo n'arrivait pas à se décider, mais il sourit à sa femme malgré tout.


"Tu as raison."


Et une annonce retentit pour informer les passagers que le bateau avait largué les amarres, comme s'il n'avait attendu que les mots de Firo.



<==>



Dans un couloir du navire.



'De toutes les personnes possibles... Pourquoi est-ce qu'il faut que je tombe sur Claudia ?'


Czes se baladait seul, tout en écoutant l'annonce.


"Cette famille me met toujours mal à l'aise..."


Chaque aperçu de ces cheveux rouges lui rappelait la terreur qu'il avait ressentie soixante-dix ans plus tôt.


Claire Stanfield.


Un assassin légendaire, surnommé 'Vino'. Grâce à cet homme, Czes avait été traumatisé par une souffrance et une peur au-delà de la mort.


Même après qu'il ait changé son nom en Felix Walken (pour des raisons que Czes ne comprenait pas bien), plusieurs des descendants de Claire avaient eu des personnalités similaires à lui. Rencontrer l'un d'eux avait toujours tendance à raviver cette peur enfouie en Czes.


Claudia était de ceux-là. Même lorsqu'elle était plus jeune que Czes ne semblait l'être, elle venait souvent à l'Alveare et elle l'entraînait pour jouer contre son gré.


Bien qu'il soit devenu de plus en plus en alerte face à sa personnalité, qui devenait de plus en plus semblable à celle de Claire au fil des ans--


'Qui aurait pu deviner que je tomberais sur elle dans un endroit pareil ?'


Marcher dans ces couloirs lui remettait en mémoire un certain incident.


Les terribles événement qui avaient pris place à bord du Flying Pussyfoot.


'On dirait que je n'ai pas de chance lorsque je voyage.' pensa-t-il tout en marchant, mais il ressentit un choc soudain et réalisa qu'il était rentré dans quelque chose.


Quand il leva les yeux, il vit un homme seul.


Cet homme portait une veste noire sur une chemise blanche, et était entouré d'une atmosphère de fraîcheur qui semblait empêcher toute goutte de sueur de se poser sur lui. Sa chemise blanche ressortait fortement sur son pantalon noir et sa peau mate.


Il avait l'air d'être originaire d'Espagne plutôt que d'Amérique du Sud.


Ses yeux étaient ceux d'un homme qui réfrène une passion dévorante derrière un mur de glace impénétrable.


'Il est dangereux.'


Czes le perçut en un instant.


Que l'homme en face de lui différait des gens ordinaires ; qu'il vivait une vie d'un genre complètement différent.


Cependant, il semblait différent des autres immortels. S'il avait dû deviner, Czes l'aurait comparé à quelqu'un issu du milieu du crime, comme Firo.


Une paire de lunettes bleues surmontaient des yeux perçants, et son expression dénotait une forme de stoïcisme légèrement distincte de celle de Charon.


'Est-ce que je dois m'enfuir ?!' Czes se mit à s'interroger, et recula instinctivement d'un pas.


Et comme s'il venait de se rendre compte de l'effroi de Czes, l'homme se mit à faire un maigre sourire et lui dit--


"Toutes mes excuses, mon garçon. Je n'ai pas l'habitude de me déplacer à bord d'un bateau... Je ne regardais pas où j'allais."


"Oh, euh... Non, c'est moi qui suis désolé !"


Czes s'excusa en hâte, mais l'homme lui dit "Il n'y a pas de mal", et se dirigea vers les escaliers.


Czes laissa échapper un soupir de soulagement en regardant l'homme descendre vers le pont inférieur, qui abritait les suites moins prestigieuses.


'Qu'est-ce que c'était que ça ?


J'espère que mon intuition ne va pas s'avérer vraie.'


Czes pouvait certifier au premier coup d'oeil que cet homme était tout sauf normal. Il lui évoquait fortement un certain souvenir.


'Cet incident a aussi démarré lorsque je suis rentré dans Jacuzzi.'


L'express transcontinental, le Flying Pussyfoot.


Des immortels.


Des tueurs fous.


Des terroristes.


Des délinquants.


Et--le Rail Tracer.


Alors qu'il se rappelait cet étrange incident avec une clarté éclatante--


Czes sentit son coeur se serrer.


'Ce n'est pas possible. Je me fais des idées.'


Cet incident avait été le résultat de multiples coïncidences convergeant au même point au même instant.


Un tel incident suffisait largement pour un siècle entier-- et même pour trois.


'Je dois juste être nerveux à cause du long voyage dans un lieu clos.' décida Czes, et il résolut d'oublier l'homme dans lequel il venait de rentrer.




Toutefois, avant même d'oublier cet homme-- Czes avait oublié quelque chose de la plus grande importance.


Le fait qu'il y avait de nombreuses personnes l'entourant qui se retrouvaient impliquées dans de tels incidents ; non pas une fois par siècle, mais chaque année.


Et le fait qu'il était devenu à son tour victime des caprices de la destinée.




Que cela soit une coïncidence-- ou intentionnel.





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