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2002 [A Side] - Bullet Garden


Prologue 2 : Le Chien de Chasse Privé de Sommeil


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"Hein ?"


Alors que les gens autour de la table tournaient la tête à la recherche de l'origine de la détonation, ils virent leur allié s'effondrer au sol. 


Cette 'arme' qu'ils pensaient tous être le plus puissant d'entre eux était devenue en un instant une simple masse de chair morte, encore saisie de derniers spasmes.


"D-Death...?"


Étant donné le temps qu'ils mirent à réaliser ce qui venait de se passer, ils ne réussirent même pas à braquer leurs armes sur l'homme qui arrivait en courant dans le restaurant.


"Qu-Qui êtes vous ?"


A première vue, l'homme semblait avoir les mains vides.


Il avait la peau brune et portait une tenue plutôt négligée.


A y regarder de plus près, il tenait un pistolet imposant dans chaque main.


Ces deux armes suffisaient à indiquer que cet homme partageait les mêmes allégeances que les cadavres étalés par terre.


Il avait probablement la trentaine. Bien qu'il n'ait pas de moustache, un début de barbe apparaissait sur son menton.


C'était un gangster.


Il ne portait ni le chapeau traditionnel ni l'étui à guitare rempli d'armes à feu, mais c'était un gangster ; l'aura qu'il dégageait aurait presque pu faire passer le restaurant encombré pour un décor de film.


Son identité lui ayant été demandée, l'homme baissa ses armes et répondit d'un ton grave.


"Je suis un sniper."


Il pénétra dans la zone de danger sans hésitation.


Bien sûr, les gens à table étaient loin d'être désarmés. Plusieurs d'entre eux s'emparaient déjà des flingues rangés dans leurs vestes.


"Un sniper... ?"


"Je faisais une petite sieste jusqu'à maintenant."


"..."


Les gens assis à la table se rappelèrent les mots du géant qui avait été abattu.


"Malheureusement, notre sniper et le Demolisher font une petite sieste."




"Ohhhh, alors ils ne plaisantaient pas."


Le ton joyeux détonnait dans l'atmosphère suffocante.


"Alors vous êtes un garde du corps ? Je ne sais pas si on pourrait vous qualifier de vrai chien de garde, vu que vos boss sont morts et tout ça."


Pendant ce temps, le tireur ouvrait ses yeux cernés et parlait d'une voix claire.


"Je ne suis pas un chien de garde."


L'homme étrange gardait un visage sombre tandis qu'il leur répondait dans un anglais impeccable.


"Je suis un chien de chasse."


Deux coups de feu éclatèrent dans le restaurant.


"Même si mon maître devait mourir, je poursuivrai mes proies pour leur arracher la gorge."


Les mains du tireur étaient toujours détendues et pointées vers le sol.


Cependant, des balles avaient définitivement été tirées. La fumée sortant des canons de ses deux pistolets suffisait à le prouver.


Deux chocs sourds retentirent parmi les personnes assises à table. D'après l'apparence des deux corps qui venaient de s'écrouler, ils avaient été abattus au moment où ils sortaient leur arme.


Ils avaient été tués parce qu'ils avaient dégainés.


C'était aussi simple que ça.


Une règle claire.


Les 'Hommes d'affaires' furent prompts à réagir à cette information.


Ils retournèrent la table face au tireur et se précipitèrent derrière comme une avalanche.


A l'exception d'Illness, qui restait plantée sur le côté.


'Qu'est-ce qu'elle fiche, cette idiote ?!'


"Euh..."


Comme il lui était évidemment impossible d'entendre les pensées de ses alliés, elle restait là l'air pensive. Soudain, ses yeux s'agrandirent comme si elle venait de réaliser quelque chose et elle bomba fièrement sa poitrine.


"Héhéhéhé ! Death était en fait le plus faible d'entre nous, alors ne te crois pas invincible juste parce que tu as réussi à le tuer !"


"..."


Les hommes et femmes planqués derrière la table retinrent simultanément leur respiration et décidèrent de considérer Illness comme une femme morte à partir de cet instant. 


Ils affirmèrent leur prise sur leurs armes, en se demandant si Illness leur en voulait vraiment à ce point.


Le tireur émit un "hmph" et adressa la parole à la fille.


"...L'homme que j'ai tué plus tôt. Il était habillé comme vous. Ce n'était pas un de vos alliés ?"


"Si, c'en était un."


"Ça n'a pas l'air de trop vous toucher" demanda l'homme d'un air impassible.


Illness réfléchit pendant un moment. Puis elle sourit tristement et observa les corps jonchés sur le sol.


"Eh bieeeeen, dans ce genre de boulot, ce n'est pas rare de se faire tuer à n'importe quel moment, alors puisqu'on vit toujours sur le fil du rasoir, je suppose que ça ne me rend pas spécialement triste, ou... ...Hé, comment suis-je censée réagir à quelque chose comme ça ? Qu'est-ce que je suis censée diiiiiiiiiiiiiiiiire ?"


Illness pointa son arme sur le gangster. Ses lèvres formaient un sourire, mais le gangster était incapable de voir si ce sourire s'étendait vraiment jusqu'à ses yeux couverts.


"Je pense que je comprends ce que vous voulez dire. Je présente mes excuses pour vous avoir posé une question aussi indélicate."


Un nuage de balles éclata dans la direction du gangster alors que celui-ci s'excusait.


Cependant, juste avant que les tirs ne l'atteignent, il s'accroupit et se réfugia derrière le comptoir du bar à salade près de l'entrée.


Ses mouvements étaient fluides comme la brise, mais sa vitesse était bien supérieure à la normale.


Sa forme s'effaça dans l'ombre, semant les projectiles se dirigeant vers lui.


L'instant d'après, il sortit sa tête de derrière le comptoir, qui était assailli par une tempête de balles, et tira calmement à deux reprises.


Il put entendre ses tirs atteindre leur cible. Ainsi que les deux cris étouffés qui en résultèrent.


Cependant, aucun de ces cris ne provenait de Illness. Ils venaient de deux de ses alliés qui avaient sorti leur tête de derrière la table.


Dans leurs mains reposaient de simples pistolets.


Illness, qui pensait qu'elle serait la seconde cible après Death, baissa son arme face à cette évolution inattendue.


Réalisant que sortir leur arme équivalait à se faire abattre sur le champ, les personnes à couvert derrière la table retinrent leur souffle et décidèrent d'observer.


Illness posa une question au gangster, qui s'était de nouveau caché derrière le comptoir durant ce bref silence.


"Hé, pourquoi vous ne m'avez pas tiré dessus ?"


"Vous ne saisissez pas ?"


La voix qui provenait de derrière le comptoir était une voix sourde évoquant un morceau de cuir usé.


"Je ne tue pas les femmes et les enfants."


Entendant cette réponse simple mais incroyable, Illness s'adressa à ses alliés.


"Je fais quoi maintenant ? Ce type est plutôt cool !"


"Comment je suis censé le savoir, espèce d'idiote ?"


Sa seule réponse fut une insulte sidérée.


Peut-être Illness aurait-elle simplement dû être soulagée qu'on lui réponde.


"Allez, tu réalises qu'il t'a insultée, là ? Mets-toi en colère, fais quelque chose !"


"Ce fichu tireur est complètement sexiste !"


"C'est de la discrimination envers les personnes âgées !"


Bien que le gangster en question ignore leurs commentaires --


"Bordel ! Arrête de te prendre pour Chuck Norris dans Hitman !"


Cette remarque lui arracha une réponse.


"Je pense que je suis plus un John Wayne."


Voyant leur ennemi se prendre au jeu et participer à la conversation, les "Hommes d'Affaires" fanas de cinéma perdirent de vue la situation l'espace de quelques secondes et se mirent à échanger des commentaires passionnés.


"Est-ce que John a déjà dit ça dans un film ?"


"Je ne les ai pas encore tous vu."


"On devrait passer à la boutique de location, à l'occasion."


Le groupe se mit à discuter fiévreusement de la star occidentale. Le gangster éleva de nouveau la voix.


"Je ne sais pas si John a déjà dit ça. Mais de toute façon, même s'il n'a jamais prononcé ces paroles sur le grand écran -- il aurait aussi bien pu le faire. Vous ne trouvez pas ?"


Les Hommes d'Affaires se mirent simultanément à partager le même rictus.


"Je pense qu'on pourrait bien s'entendre, mon gars."


"C'est vrai. Il est infortuné que nous devions être ennemis."


"Mais vous n'êtes pas John Wayne. Je dirais que vous êtes probablement plus un Antonio Banderas."


Avec cette répartie, les Hommes d'Affaires se signalèrent de passer à l'action et lancèrent simultanément ce qui semblaient être des grenades à main dissimulées.




"Hm...?"


Les Hommes d'Affaires avaient jeté des bombes fumigènes d'un type particulier.


La fumée blanche obscurcissait complètement leur vision, même dans cette salle aux fenêtres dépourvues de vitres.


Pris dans cette fumée blanche, le gangster aboutit à une conclusion.


Dans cette situation, le plus grand avantage reviendrait à la fille équipée de lunettes spéciales.


"J'aimerais pouvoir dire que les choses deviennent intéressantes, mais--"


Il soupira avec une expression glaciale, puis se concentra sur le son distant d'un grondement de moteur.


"Mes excuses. Il semble que notre Demolisher soit désormais éveillé."


Le gangster se jeta immédiatement par la fenêtre la plus proche.


Et fut accueilli précisément par la vision à laquelle il s'attendait.


Le restaurant dans lequel il se trouvait encore il y a de ça quelques secondes--


Venait de se faire percuter par un camion gigantesque et inoccupé.


Le gangster se mit à courir sans se retourner.


Après avoir couru stoïquement sur une centaine de mètres, il se mit à couvert derrière un bâtiment voisin.


Tout ça, pour échapper à l'explosion colossale qui fit sauter le camion et le restaurant entier à peine quelques secondes plus tard.



<==>



"...Ils se sont échappés."


Le gangster en était sûr, bien qu'ils n'aient pas encore recompté les corps.


[Yo, boss Angelo. Comment qu'ça va ?]


Venant d'entendre le talkie-walkie à sa ceinture émettre un crissement en signe de vie, le gangster nommé Angelo le rapprocha de son visage pour répondre.


"C'est réglé. Notre objectif principal est accompli."


[C'te truc de les expulser hors du resto ? Bref, le Boss veut t'causer.]


Alors que le rire gras du Demolisher s'effaçait peu à peu, la voix du Boss parvint à travers le talkie-walkie.



<==>



Quelques jours plus tard, quelque part sur la côte Ouest des États-Unis.



C'était un bar, à l'atmosphère bien différente du restaurant rudimentaire qui avait était détruit plus tôt.


Bien qu'il soit désarmé, l'aura entourant le gangster n'avait rien de comparable avec celle que dégageait ceux qui étaient là entre amis ou avec leur famille. Il se détachait nettement des autres clients.


Ce gangster des temps modernes, pourtant, regardait à travers la fenêtre depuis son siège sans s'inquiéter de son apparence et sans laisser paraître la moindre émotion.


Ses yeux étaient dirigés vers une muraille gigantesque.


Une façade blanche qui dominait la mer et les bâtiments environnants.


Il s'agissait d'un des plus grands vaisseaux de croisière au monde.


Ce bateau, utilisé pour des voyages en pleine mer et des tours du monde, était moins un hôtel flottant qu'une forteresse.


"..."


Et vu qu'il allait bientôt devoir s'infiltrer à bord de cette forteresse, le gangster la surveillait silencieusement.


Le portable dans sa poche se mit à vibrer, presque comme s'il voulait briser sa concentration.


[Yo, comment qu'tu t'sens, boss Angelo ?]


Les oreilles d'Angelo furent accueillies par une voix bourrue familière.


Le Demolisher.


Le gangster soupira après avoir reconnu la voix de celui qui était, contrairement à lui, un tueur en freelance.


Auparavant, ils s'étaient rarement rencontrés en face à face, et ils ne s'étaient soutenus l'un l'autre que durant quelques coups durs ; mais il avait gardé régulièrement le contact avec Angelo, à la surprise de celui-ci. Bien sûr, 'régulièrement' signifiait dans le cas présent quelque chose comme tous les deux à trois mois.


Cet homme, avec qui Angelo avait eu l'occasion de faire plus ample connaissance après avoir affronté le mystérieux groupe de l'autre fois, lui avait fourni toutes sortes d'informations ; d'après lui, 'ce n'était pas la première fois que je voyais ces gusses'.


En conséquence de quoi, il avait découvert que cet étrange groupe armé planifiait de se faire discret et de se rendre au Japon en bateau.


Il serait presque impossible de les retrouver une fois qu'ils auraient mis les pieds au Japon.


[Ça fait bizarre de dire ça en tant que freelancer, mais ton organisation ? Va plus durer bien longtemps. Avec toutes les raclées que vous vous êtes prises, n'avez même pas de quoi aller corrompre les flics. Plutôt triste de devoir admettre "on a tenté de se réorganiser, mais notre QG a été transformé en parking", t'vois ?]


"...Ça ne change rien. Ma mission... est de les poursuivre. Rien d'autre."


[Plutôt émouvant, venant d'la part d'un chien de chasse ! Je suppose que je vais t'filer un coup de main, puisque j'ai déjà reçu mon blé.]


La voix à l'autre bout de la ligne semblait vraiment prendre plaisir à la situation.


[Hé ! J'serais à bord aussi, alors pas de quoi s'inquiéter. On va tous t'les découper en appâts et t'les balancer aux poissons.]


"... Ne fais rien qui mette en danger des civils."


[Oh ? T'penses que je vais faire sauter tout le putain de bateau ?]


"Notre mission est de trouver leur leader et leur employeur. Pas besoin de leur déclarer la guerre sur ce petit vaisseau." Angelo insista. Il posa ensuite une question logique à son allié.


"Pourquoi tu ne te montres pas puisque tu embarques aussi ?"


[Ma durée de vie risquerait de s'écourter si j'me baladais avec des gens aussi remarquables. T'inquiètes donc pas ! J'te filerais tes jouets quand on sera à bord. Et si tu les balance dans l'océan avec les corps, t'auras même pas à t'préoccuper de laisser des traces. Pour ça, rien ne vaut le grand large, hein ?! Putain de génial !]


"Évite de polluer l'océan."


Le gangster raccrocha sur ces mots à demi sérieux.


Bien qu'il ne sache pas comment ils allaient pouvoir amener des armes à bord d'un navire à destination d'un autre pays, le Demolisher avait déjà accompli de telles prouesses par le passé.


Angelo recentra son regard sur le bateau et pensa silencieusement à sa cible.


D'après les informations du Demolisher, ils n'étaient pas eux-même l'organisation ennemie ; juste des mercenaires engagés par un individu ou un autre groupe.


Ils constituaient une organisation importante. Certaines rumeurs douteuses affirmaient qu'ils s'occupaient de tout, de l'assassinat à la guerre civile.


Ce n'était pas le genre d'organisation qu'il pouvait affronter à lui seul.


Après tout, il ne pouvait garantir qu'ils seraient désarmés, même sur un vaisseau de croisière.


Repensant à la probabilité d'une sur un million - statistiquement plus proche de 50-50 - qu'il meure au cours de l'opération, Angelo dirigea ses pensées vers sa famille lointaine.


"J'imagine que Carlos aura trois ans cette année."


Repensant à son fils, qu'il n'avait encore jamais vu, Angelo se concentra sur son ennemi.


C'était une organisation criminelle. Le terme était très général, mais ils formaient littéralement un groupe d'Hommes d'Affaires qui vivaient des profits de leurs crimes.


Leur symbole était un masque.


Ils formaient un groupe étrange qui portait toujours des masques blancs en guise de bon présage quand ils montaient un gros coup.


Et alors qu'il réfléchissait, le gangster murmura silencieusement à lui-même.


"...Peut-être que je devrais aller en Espagne après tout ça. Je prendrai un de leurs masques en souvenir pour ma femme et mon fils, et on ira tous ensemble en vacances à Venise."



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