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Little Italy
À l'Alveare
"Je vous le jure, c'était incroyable ! Un vrai prodige ! La magicienne a tranché les nuages avec son épée !"
"Le soleil perçait à travers et tout !"
Isaac et Miria contaient les merveilles du spectacle auquel ils avaient assisté ce matin, régalant les membres de la Famille Martillo des détails les plus fantastiques tout en engloutissant un déjeuner tardif. Malgré leur enthousiasme, la plupart des camorrista semblaient peu enclins à prendre leur récit au sérieux.
"Mouaif… Quequ'chose me dit que c'est du flan, vos histoires !"
"Z'étiez en train de roupiller et vous avez fait de beaux rêves, c'est plutôt ça !"
"M'est avis qu'ces magiciens ont pris votre cerveau et l'ont fait disparaître, ça sonne creux là-dedans !"
Isaac se tourna vers sa partenaire, outré.
"Regarde ces pauvres âmes sceptiques, Miria ! Ils ignorent à quel point la magie est puissante !"
"Un jour, un magicien va faire disparaître la Statue de la Liberté, vous verrez !"
"Ha ha ha ! Ouais, c’est ça. Je suis prêt à faire le tour de Manhattan à la nage le jour où ça arrivera !"
Quelques décades plus tard, David Copperfield ferait regretter à Pecho sa promesse irréfléchie ; mais ceci est encore une autre histoire.
Maiza se pencha vers Ronnie et lui chuchota, "C'était toi, n'est-ce pas ?"
"Mmm ?" répondit Ronnie, gardant les yeux fixés sur son sandwich au poulet. "De quoi parles-tu ?"
"Je me disais bien que c'était suspect, l'averse qui cessait aussi brusquement."
"…Effectivement, les magiciens là-haut étaient assez formidables dans leur genre."
Maiza soupira et se massa le front.
"Je pensais que le chat rusé prenait soin de dissimuler ses griffes."
"Le chat qui les laisse trop longtemps cachées finit par oublier comment s'en servir. Mieux vaut garder le coup de patte, à mon avis."
"Je n'avais jamais entendu dire que les démons utilisaient leurs pouvoirs pour des frivolités."
"J'aime briser la routine."
À cet instant, Firo et Ennis pénétrèrent dans le restaurant, interrompant la discussion de leurs amis.
"Ah, mais ne serait-ce pas M. Prochainezo que voilà, l'homme qui ne m'a même pas accordé une pensée tandis qu'une bombe explosait à quelques mètres à peine de mon siège."
"Oh, M'sieur Ronnie, le prenez pas comme ça. Je suis désolé, OK ?! Je… Arh. Bon, bref ! Comment ça s'est passé avec les gamins de Chicago ?"
"Ah, eux. Ils n'étaient pas emballés à l'idée de nous rejoindre, mais si on les laisse effectuer leur petit trafic sur notre territoire, ils sont prêts à nous verser une partie de leurs bénéfices."
"Vraiment ? Pourtant ils étaient de mèche avec Dallas lorsqu'Ennis et vous avez été enlevés, non ?"
Les Martillo qui épiaient leur conversation se retournèrent pour échanger des messes basses.
"Hé, on dirait que Firo ne s'est toujours pas rendu compte que la lettre venait d'Isaac."
"Ha ha, ouais, on dirait bien."
"Purée, j'ai hâte de voir sa tête quand il va réaliser…"
"Hein ?" Firo observa l'audience en train de rigoler, perplexe. Il finit par hausser les épaules et se dirigea vers le comptoir afin de commander deux sandwiches pour Ennis et lui. Ennis s'installa sur un tabouret à côté de lui et chuchota, "Firo… Je pense qu'il vaudrait mieux ne pas parler à M. Maiza des Lamia, ou des secrets de Nebula…"
"…Ouais, gardons ça pour nous pour le moment. C'est à nous de nettoyer la fange de Szilard."
"D'accord…"
"Merde, dire qu'il y en a carrément mille deux cent… Tu parles d'une galère…"
Isaac et Miria s'invitèrent sans prévenir dans leur discussion, brisant l'atmosphère sinistre qui menaçait de s'installer.
"Mille deux cent quoi, Firo ? Mille deux cent ennemis tapis en embuscade ?"
"Ou alors mille deux cent serviteurs, prêts à satisfaire ses moindres désirs !"
"Attends, il veut peut-être parler de sa famille nombreuse."
"Ou de ses amoureuses ! Aah ! Firo, tu es un playboy !"
Firo sourit d'un air gêné, hésitant sur l'attitude à adopter face au couple quelque peu exubérant.
"Salut, vous deux. C'était un peu agité aujourd'hui, pas vrai ? Euh… Ah, ouais. Je suis… Ahh. Bon, je suis désolé pour les dominos."
"Les dominos ? Quels dominos ?"
"Oh, tu veux jouer aux dominos, Firo ?"
"Quoi, vous aviez déjà tout oublié ?! "
Firo rougit comme une tomate ; en cet instant, il aurait donné n'importe quoi pour se faire petit comme une fourmi et disparaître de la surface de la Terre.
"Ah, c'est vrai !" s'exclama Isaac en claquant des doigts. "Firo ! Nous avons quelque chose à te demander."
"Hein ?"
Isaac pointa son index d'un geste dramatique vers le plus jeune capo de la Famille Martillo.
"Tu vas crier grâce !"
"Allez, crie grâce !"
"…Grâce ?" obéit Firo, s'interrogeant sur cette requête soudaine, mais Isaac et Miria étaient trop occupés à célébrer leur réussite pour éclairer sa lanterne.
"On a réussi, Miria ! On a vraiment réussi !"
"Mission accomplie, Isaac !"
"…V'savez, à force de discuter avec vous, je ne m'étonne plus de rien," commenta Firo, songeant à Christopher tout en mordant dans le sandwich qu'on venait de déposer devant lui.
"Tu peux parler, Firo. Nous sommes déjà au courant, tu sais. Hé hé… On sait que tu t'es précipité sous l'averse sans même un parapluie quand tu as appris qu'Ennis avait disparue, n'est-ce pas ?"
"On nous a dit que tu criais même son nom dans la rue ! 'Ennis ! Ennis !' "
Divers morceaux de sandwich se retrouvèrent soudain expulsés sans prévenir de la bouche de Firo. Isaac et Miria, agissant avec malice et sans lui laisser la moindre chance, se placèrent de part et d'autre du jeune capo et commencèrent à lui donner des coups de coude malicieux, en remuant les sourcils d'une façon qui en disait long. Firo ignora les deux importuns pour le moment et jeta un coup d'œil à Ennis ; elle avait l'air stupéfiée par la nouvelle.
'…Merde.'
"Qui vous a dit ça ?"
"Tss, tss, Firo. Nous avons fait une promesse solennelle à Czes de ne rien dire !"
"C'était un serment d'homme à homme !"
"…Czeeeeeeeeeees !"
Firo oublia son sandwich et sortit à toute allure du restaurant pour mettre la main sur la demi-portion qui lui servait de colocataire. Sena, la propriétaire de l'établissement, se contenta de secouer la tête avec incrédulité en le regardant partir et s'étonna, "Franchement. Vous deux, vous ne valez pas mieux l'un que l'autre. Toi aussi, tu étais sortie à sa recherche en criant son nom, pas vrai, Ennis ?"
"A-arrêtez, c'est embarrassant…"
"C'est vrai ça, je me suis toujours demandée. Dis-moi un peu, qu'est-ce qu'il y a entre toi et Firo ?"
Sena avait posé sa question sans prendre de gants, mais Ennis se contenta de sourire doucement et répondit sans même rougir.
"Je tiens beaucoup à Firo. Lui et moi… Nous formons une famille."
– –
Au manoir
J'ai l'impression d'être dans un rêve.
De flotter au milieu des nuages.
Où est-ce que je suis, là ?
De retour au fond du fleuve ?
Ou j'suis encore tombé dans un trou à rats ?
Putain, c'est le bordel dans ma tête.
Y'a cette sensation qui revient.
Je me souviens qu'j'étais en rogne, mais j'sais plus pourquoi.
Marrant, ça. Pas moyen d'oublier un foutu détail de la paroi de ce tonneau, ou de la chute libre quand je tombais de l'immeuble. Mais là, impossible de me rappeler.
Bah. J'imagine que n'importe quel connard se souviendrait d'être tombé du haut d'un putain de gratte-ciel, s'il avait encore une cervelle après. Et puis c'était seulement hier.
Mais oui, c'était lui.
Cet enfoiré aux yeux sournois.
Ouais, toi.
T'as pas intérêt à lever la main sur Eve !
Putain, qui c'est ? Qui est l'enfoiré qui t'a fait pleurer, Eve ?!
Dis-moi qui c'est ce bâtard qui te tourmente autant !
Allez, Eve. Dis-le à ton grand frère. Qui c'est ? Qui t'a fait pleurer ?
Je te l'avais promis, non ? Je t'avais promis que je te protégerais.
Dis-moi qui t'a fait ça.
Dis-moi qui t'a fait pleurer !
"Dallas !"
Hé, mais c'est pas un rêve ?! Dingue ça, Eve est vraiment là. Il a fallu qu'elle se jette sur moi et que je sente son visage pressé contre ma poitrine pour que j'réalise.
Wouah, c'est le grand luxe, ce plumard. Merde, ça fait combien d'années que je n'ai pas dormi sur un matelas aussi confortable ?
Hé, Eve. Ce genre de piaule est trop chic pour quelqu'un comme moi.
Regarde-toi, Eve. On dirait que tu n'as pas fermé l’œil depuis des jours. Fous-moi par terre et fais une sieste. Dieu sait que je ne mérite pas autant d'attention.
"Est… Est-ce que tu savais à quel point j'étais inquiète ?"
Ah… C'était moi, alors. C'est moi qui t'ai fait pleurer.
"Dallas… Je suis… Je suis tellement soulagée !"
Je suis vraiment un bon à rien.
"Ah…"
Cool. J'arrive à parler.
"Dallas ?"
"Désolé. Je n'ai pas tenu ma promesse. Je me suis encore bagarré."
Allez, dis quelque chose !
"Mais tu vois, au moins je ne t'ai pas entièrement menti. Je t'ai protégée, pas vrai, Eve ?"
Ne pleure pas, idiote.
…Pleure pas.
Si tu te mets à chialer à cause de moi…
Alors je vais devoir me foutre une patate monstrueuse pour la peine.
Allez, pleure pas.
Arrête de pleurer, j'te dis.
C'est moi qui vais pleurer si tu continues…
– –
Quelque part, au cœur de la nuit noire
"Et qu'a dit Maître Huey ?"
"Pas de danger pour le moment. Tim a endossé la responsabilité de tout ce qui s'était passé."
"Mmm. Rappelle-moi de le remercier la prochaine fois qu'on se croise."
"Des nouvelles d'Adelle ?"
"On ne voulait pas laisser de traces, alors on l'a amenée dans un hôpital paumé de New York. Drôle de boutique, le docteur était un homme bizarre enroulé dans des étoffes grises de la tête aux pieds. L'endroit parfait pour des gens comme nous, je dirais."
"Je vois… Tu penses qu'elle sera bientôt hors d'affaires ?"
"Pas dit. Je crois qu'il y a un peu trop de souvenirs qui ont refait surface, pauvre fille. Tim a dit qu'il allait veiller sur elle ; tu n'auras qu'à lui demander, c'est lui qui est en charge d'Adelle maintenant."
"Hmm… J'imagine le choc que ça a dû lui faire. C'était vraiment l'enfer sur terre dans ce laboratoire. Mmm. Qu'est-ce que tu comptes faire à présent ? J'ai déjà une cible en vue, en attendant la prochaine mission. Ça te dit de m'accompagner ?"
"Je… Pourquoi pas, je vais y réfléchir."
"…Tu t'es pris une belle raclée, à New York. C'est la deuxième fois que tu te fais surpasser, non ?"
"Mhm… La première ombre venue ternir mon tableau depuis quarante ans. La seule fois où j'ai été battu auparavant, c'était par cet homme qui m'avait brisé toutes les dents. Comment s'appelait-il, déjà ? Il portait le nom d'un fleuve, je crois…"
"Hmph. Ne laisse pas ça te monter à la tête. Ce n'est même pas ta première défaite, après tout. Tu vas t'en remettre."
"Oui, tu as raison… Je crois que je vais aller faire un tour, essayer de me ressourcer dans la nature quelques jours…"
"Ah… Comme cette fleur est sublime…" murmura Christopher. Il était de retour dans le quartier des entrepôts de Chicago, accroupi devant la même fleur petite mais tenace qui poussait au creux d'une fissure dans le béton.
"Je ne m'attendais pas à te retrouver ici. Je pensais que tu aurais flétri et pourri depuis longtemps."
Cela faisait une semaine qu'ils avaient conclu leur job dans l'entrepôt, et qu'il était tombé par chance sur cette fleur ; il ressentit une agréable surprise en la revoyant, toujours accrochée à la vie.
"Ha ha, regardez ça. On peut encore voir les tâches de sang à côté. C'est magnifique…"
Christopher était tellement captivé qu'il ne réagit pas immédiatement lorsqu'on lui heurta le dos avec force, et il trébucha en avant.
"Oh ?"
Il ressentit soudain une chaleur intense se diffuser le long de sa colonne vertébrale. Il tendit la main par-dessus son épaule, pour essayer de comprendre ce qui se passait. Ses doigts rentrèrent en contact avec un liquide chaud, mais avant qu'il puisse déterminer ce que c'était, un second choc secoua tout son corps. La chaleur finit par se transformer en douleur, et Christopher se retourna d'un bond pour faire face à son assaillant.
"Waah !" cria l'homme en question.
Il reconnaissait ce visage, qui le fixait avec un mélange de haine et de terreur panique.
"Oh, c'est vous. Arrêtez-moi si je me trompe ; vous êtes bien le brave homme de la dernière fois, celui qui formait un tableau époustouflant, accroupi auprès de cette fleur ?"
Il s'agissait du policier sous couverture qui avait fait appel aux Lamia pour effacer ses traces, avant de se faire trahir et de tout perdre suite aux lubies de Christopher.
"E-espèce d'enculé…"
"Vous vous cachiez de la police ? Quelle coïncidence que nous nous retrouvions ici."
L'ex-agent des forces de l'ordre respirait péniblement et ses genoux s'entrechoquaient. Il agitait son couteau plein de sang avec des mains tremblantes entre lui et Christopher, comme s'il voulait repousser son opposant. Le tueur examina d'un air pensif le sang - son sang - qui tâchait la lame crasseuse et reprit, "Vous voyez, il est exactement de la même couleur, en fait."
"Crève, sale monstre !"
Christopher esquiva d'un pas léger le coup de couteau désespéré du junkie et lui saisit le poignet. Il le tordit brutalement, d'un coup, et le bras de l'homme se plia en arrière à un angle anormal, plongeant la lame dans sa propre gorge.
"Aggh… Grrhkk…"
Christopher jeta un regard curieux sur le sang qui s'était collé à sa main, puis sur celui qui jaillissait du cou de l'homme agonisant. "Regardez, la couleur est la même. Qu'est-ce qu'il y a de si différent entre nous ?"
Il arracha le couteau des mains inertes de sa victime, et le lui planta dans le cœur. Il observa, avec un regard presque déçu, la chemise de l'homme s'imbiber d'une tâche rouge vif.
"Je ne vois pas la moindre différence, et pourtant ils me répètent tous la même chose. N'est-ce pas étrange, la façon dont les gens se laissent influencer par de simples superstitions ?"
Il poignarda l'homme encore, et encore, et encore.
"Aucune différence."
"Aucune différence."
"Aucune différence."
Christopher finit par sortir de sa transe et réalisa que, sans qu'il s'en rende compte, la lame du couteau s'était brisée et était restée enfoncée dans la poitrine de l'homme.
"Oh, navré. Je vois qu'au final, nous sommes peut-être différents, vous et moi."
Il jeta la poignée cassée dans le lac et se détourna du corps qui commençait déjà à refroidir.
"Je ne suis pas aussi fragile que vous."
…
Il ne savait plus depuis combien de temps il marchait, avançant à l'aveuglette au milieu des entrepôts déserts. Sans réfléchir, il tendit le bras dans son dos et posa la main sur sa blessure.
"Aïee."
Il y eut un bruit mou, et une nouvelle tâche écarlate vint s'ajouter à la croûte rougeâtre qui ornait déjà sa paume.
"Hmm… J'ai vraiment très mal. Que faire ?"
Lentement, il tomba à genoux, et se laissa glisser sur le flanc. Il se mit à ricaner, se sentant un peu honteux.
"Que faire ? Me voilà vraiment dans un beau pétrin. Ha ha ha."
…
"Ah… Que faire ? Je ne veux pas mourir. Ici repose Christopher Shouldered, poignardé pendant qu'il admirait une fleur. C'est trop pathétique."
…
"Je me demande ce qui est le moins naturel… Moi, ou les mille deux cent immortels travaillant pour Nebula…"
La vie quittait peu à peu les yeux rouges de Christopher.
"Qu'est-ce que j'ai de si différent, en réalité ? Je voulais juste mener une vie normale… Et je n'ai pas envie de mourir, qui en aurait envie ? Dites-moi, je vous en prie… N'importe qui… Dites-moi ce que j'ai de si différent…"
Christopher faisait de son mieux pour repousser la peur de la mort qui s'emparait de son esprit, marmonnant des phrases dépourvues de sens.
Quelqu'un s'arrêta derrière lui. Christopher redressa la tête pour observer la silhouette au-dessus de lui, et sourit gentiment.
"Bonjour. Vous voulez devenir mon ami ?"
– –
Quelque part dans l'obscurité
"…'et je sais mieux que quiconque que vous avez relevé avec succès toutes les missions que je vous ai confiées jusqu'à présent. Cet échec relève aussi de ma propre responsabilité,
considérant que je ne vous avais pas averti de cette éventualité, et avais laissé aux Lamia le soin de s'en occuper. Vous êtes déchargé de la mission, pour l'instant.' …a-t-il dit."
"Sham… Dis à Maître Huey que j'ai quelque chose à lui demander."
"…'Oh ?' …a-t-il dit."
"Huey… Huey Laforet. Est-ce vous qui avez tué Jimmy ?"
"…'Mais de quoi donc parlez-vous ?' …a-t-il dit."
"Les seules personnes qui savaient que Jimmy existait étaient mon beau-père, Tick, et… et vous. L'horloger n'aurait jamais eu les tripes d'ôter la vie à qui que ce soit, et Tick m'a dit que ce n'était pas lui. Autrement dit…"
"…'Si c'est ce que vous souhaitez croire, alors qu'il en soit ainsi dans votre monde. Pensez ce qu'il vous plaira.' …a-t-il dit."
"Je vois…"
"…'Malgré vos soupçons à mon égard, vous restez d'une loyauté sans faille. J'estime que cet incident a été très formateur pour vous, et cela me réjouit.' …a-t-il dit."
"Alors souvenez-vous de ça, Huey Laforet. Le monde que je vais créer n'aura pas de place à vous accorder."
"…'Ha ha, cela n'a aucune importance.' …a-t-il dit."
Sham prit congé de Tim, et l'homme se mit en chemin.
'Je ne serai pas un papillon. Je ne serai pas une araignée. Je refuse d'être une marionnette, ou le marionnettiste.
Je veux juste… Juste une épée qui me permette de trancher la toile de l'araignée. Je ne souhaite pas devenir cette épée moi-même… Mais je veux qu'une telle lame existe dans mon monde. Et pour obtenir le monde que je désire, je ne reculerai devant rien.
Absolument rien.'
– –
Bureaux de la Famille Gandor
"Alors je lui ai dit comme ça, balancé en plein visage, amigos ! J'ai deux épées, et ça veut dire que je suis quatre fois plus forte que toi !"
"Wouah !"
"Mais quelle abrutie !"
"Génial !"
"Il n'y a que toi pour dire quelque chose d'aussi stupide avec une telle conviction !"
"Tu l'as vraiment mouchée, dis donc !"
"Amigo !"
Maria mimait la scène avec des gestes flamboyants ; elle était en train de faire le récit des deux derniers jours à ses camarades chez les Gandor. Les cris de joie émanant des membres les plus enthousiastes de son audience la faisaient flotter sur un petit nuage. Elle venait juste de sauter sur une table, les mains serrées autour d'un katana imaginaire alors qu'elle s'apprêtait à rejouer la scène de l'affrontement final, lorsque quelqu'un s'éclaircit la gorge à grand bruit et fit tomber le silence dans l'assemblée.
"Miss Maria," annonça Luck en souriant, "j'aimerais m'entretenir un moment avec vous, s'il vous plaît."
Maria suivit le chef des Gandor dans son bureau et constata que Tick s'y trouvait déjà, assis sur une chaise devant le bureau de Luck.
"Wouah, qu'est-ce qu'on fête, amigo ? Toi aussi tu veux me féliciter pour ma victoire, Luck ? C'est très gentil, amigo !"
Le sourire sur le visage de Luck restait figé, comme s'il portait un masque. "Monsieur Tick m'a dit que vous aviez eu un certain nombre d'ennuis ces derniers jours. Ça n'a pas dû être facile pour vous deux."
"Tu parles ! C'était du gâteau, amigo !" répliqua Maria avec un sourire arrogant. Elle était tellement excitée qu'elle n'avait même pas remarqué que le sourire perpétuel de Tick semblait un peu crispé.
"Non, non. Je suis sûr que ça n'a vraiment pas été simple."
"Je t'assure, comme une lettre à la poste, amigo."
"Oh, très bien, je comprends. C'était bel et bien trivial, Miss Maria," reprit Luck, et c'est seulement à cet instant qu'elle aperçut la veine qui palpitait sur sa tempe. "Trivial, en effet, comparé à la mission que je vous avais confiée…"
"…Hein ?"
"Je viens juste de m'entretenir au téléphone avec Ronnie Schiatto, le chiamatore des Martillo. Nous avons réglé tous les détails concernant le gang de M. Splot et les conditions de leur activité sur notre territoire. Nous, c'est à dire M. Schiatto et moi, sans accords préalables."
Maria ouvrit la bouche pour essayer de s'expliquer, mais Luck continua à parler sans se préoccuper d'elle.
"J'ai d'ailleurs été désagréablement surpris d'apprendre que Claire entretenait des liens étroits avec M. Splot et ses camarades. On m'a laissé entendre que lui aussi s'occuperait de représenter leurs intérêts dans leurs futures négociations avec nous et les Martillo. En fait, j'ai même reçu un appel de sa part, me le confirmant de vive voix."
Luck Gandor fit une brève pause avant de poursuivre.
"C'est étrange, n'est-ce pas, que j'aie dû faire appel à des sources extérieures pour obtenir toutes ces informations, alors que j'avais chargé deux personnes en particulier de régler cette affaire."
Maria finit par réaliser pourquoi elle avait été convoquée, fit la moue, et tourna la tête.
"Hmph."
"Comment ça, hmph ?!"
Une heure et un très long sermon plus tard, Luck éjecta finalement Maria et Tick du QG en leur annonçant d'une voix exaspérée, "Si vous vous attendiez à toucher un salaire ce mois-ci, navré de vous informer que nous ne faisons pas la charité. Allez plutôt voir du côté du Daily Days si vous avez besoin d'argent, vos excuses les intéresseront sans doute plus que moi."
"Hé, Maria."
"Hmm ? Qu'est-ce qu'il y a, Tick ?"
"Je crois que pour une fois, j'ai une bonne idée de ce que tu peux ressentir."
"Tant mieux pour toi, mais je préférerais autant ne pas l'entendre, amigo. Je suis suffisamment déprimée comme ça."
La pluie s'était arrêtée ; Tick donnait des coups de ciseaux joyeux dans l'air tout en marchant, tandis que Maria soupirait et fixait le bout de ses chaussures.
"Aaah… Tu sais, je pensais vraiment qu'on avait fait du bon boulot cette fois."
"Ben, on s'est quand même plantés, alors on ne peut s'en prendre qu'à nous-mêmes."
Ils continuèrent à avancer un moment, puis Maria leva les yeux vers son partenaire.
"Est-ce que ça va, Tick ? Tu n'as même pas eu l'occasion de dire au revoir à ton frère, non ?"
"Ça va~"
Tick réalisa avec surprise que son cœur était étrangement serein. Il avait quitté son frère sans une once de regret.
'Je n'ai même pas pleuré, après toutes ces années où on ne s'était pas vus.'
Le visage de Tick ne laissait rien transparaître de ses pensées ; il restait toujours aussi souriant.
"Tack avait l'air de s'en sortir sans problème. Il est beaucoup plus malin que moi. Il est capable de voir toutes ces choses qui m'échappent."
"Tu es sûr ? J'ai peur qu'il se soit fait une tonne d'ennemis, amigo ! Il y avait ce mec, Dallas, par exemple."
"Tack est capable de veiller sur lui-même. De toute façon, je pense que M. Genoard compte plutôt s'en prendre à moi, désormais."
"Et moi je m'occupe de te protéger, alors tu peux dormir sur tes deux oreilles !" dit Maria, retrouvant finalement le sourire.
"J'ai brisé les attaches de douzaines, même de centaines de personnes, alors ce n'est pas la première fois qu'on me déteste," expliqua Tick. "Je ne sais même plus combien de fois on m'a maudit. Peut-être que je suis déjà frappé par la malédiction. Peut-être est-ce pour ça que je suis incapable de lier des liens avec d'autres personnes…"
"…Mais qu'est-ce que tu racontes ?" s'étonna Maria. Tick s'arrêta en la regardant curieusement. Il avait l'air surpris, mais Maria ignora sa confusion et repartit à la charge avec une confession toute particulière. "Toi et moi, nous sommes partenaires depuis déjà un bon moment, pas vrai ? Et il n'y a pas de raison que ça cesse… Après, à toi de voir si tu veux rester mon amigo ou devenir mon novio4 !"
"Hein…?"
Avec un sérieux inhabituel, Maria se retourna pour faire face à Tick, le fixant droit dans les yeux.
"Tu n'arrives toujours pas à y croire parce que tu ne l'as pas vu ?"
"C'est que…"
Maria eut un sourire malicieux.
"Alors faisons en sorte que tu puisses le voir !"
"Quoi ?"
Avant que Tick puisse réagir, Maria s'empara de sa main et se mit à foncer tout droit vers leur destination.
"Attends, Maria ! Tu vas trop vite !"
"Allez, ne traîne pas, amigo ! Si tu te laisses distancer, le lien qui nous relie pourrait se briser !"
Le visage de Tick était rouge comme une betterave, mais il tricotait des jambes furieusement pour suivre Maria, comme s'il était déterminé à ne pas laisser s'échapper le lien qu'il était parvenu à créer. Maria brandit son épée et la leva au dessus de sa tête. Cette fois, c'était une pure coïncidence ; et pourtant les nuages se séparèrent là où elle avait pointé la lame, révélant un ciel d'un bleu azur.
Le ciel d'automne pointa derrière la couche de nuages, troquant son voile blanc pâle pour un bleu limpide.
Oh so blue…
4 "Petit ami" en espagnol.