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Été 2002.
C'était une église fort étrange.
Un groupe d'une douzaine de personnes bizarrement vêtues était rassemblé dans une salle circulaire.
Il y avait des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux, de toutes sortes de races. Dans un sens, on aurait pu croire à une quelconque messe du dimanche, si l'atmosphère dans la pièce n'avait pas été aussi clairement inappropriée.
En effet, toutes les personnes présentes étaient vêtues exactement de la même manière. Chaque tenue était d'un style différent, mais on voyait tout de suite qu'il s'agissait d'une variation sur un modèle commun.
Leurs vêtements étaient tous basés sur une combinaison de rouge et de noir. La veste du jeune homme, la robe une pièce portée par cette femme d'une vingtaine d'années, le coupe-vent d'un enfant, la toge du vieil homme ; ils étaient tous colorés en rouge et noir.
Il n'y avait aucune lumière artificielle dans la pièce, ce qui expliquait pourquoi la lumière de la lune qui illuminait la nuit éclairait la pièce aussi brillamment.
Dans ce silence absolu, brisé uniquement par la respiration des personnes présentes--
Un autel vacant se trouvait au centre du cercle qu'ils formaient autour.
L'autel insolite était circulaire, placé au centre de la pièce. Les gens autour n'étaient pas à genoux et ne priaient pas. Ils se contentaient d'observer en silence, depuis leurs positions confortables.
Et quand la brillance de la lune atteint son apogée--
La porte à l'arrière de la salle s'ouvrit, et plusieurs hommes et femmes apparurent, accompagnés par une douzaine d'enfants.
L'homme à la tête du groupe ressemblait vaguement à un étudiant chercheur tout juste sorti du laboratoire. La lumière lunaire se reflétait sur ses lunettes d'intellectuel, dissimulant ses yeux derrière son éclat. Il tenait dans sa main ce qui ressemblait à un classeur, et plusieurs stylos dépassaient de la poche de sa blouse.
Mais quelque chose le distinguait nettement d'un simple assistant de laboratoire.
Sa blouse n'était pas blanche.
Tout comme les autres, sa blouse était recouverte d'un motif rouge et noir parfaitement incongru.
"Ah, vraiment désolé, tout le monde ! Je n'arrive pas à croire que je suis en retard ! Le boss de fin était plus costaud que prévu. J'ai dû recommencer cinq fois !"
En un instant, l'homme détruisit le silence tranquille qui enveloppait la pièce et marcha jusqu'à l'autel avec un sourire indolent.
"Ma parole, les shoot'em up sont tellement bien faits de nos jours ! Cette sensation exquise qu'on ressent lorsqu'on émerge à travers une tempête de projectiles ; l'espace d'un instant, on a la satisfaction d'avoir conquis le monde entier ! Quelle merveille. Je lève mon verre en l'honneur du progrès technologique de ces développeurs japonais, et j'admets ma défaite."
Tout en continuant sa diatribe, sans qu'on sache vraiment si elle s'adressait aux autres ou à lui-même, l'homme déposa le classeur sur l'autel.
Les enfants qui l'avaient accompagné s'éparpillèrent dans la salle, et plusieurs adultes s'alignèrent à ses côtés, de part et d'autre. A sa gauche et sa droite se trouvait deux jeunes femmes, et juste à côté de ces femmes se tenaient deux hommes à l'apparence étrange.
L'un d'eux était un homme qui avait la carrure et le faciès d'un gorille. L'autre homme portait un costume noir, mais son visage était enveloppé dans des bandages.
Le deuxième homme n'était pas tant bizarre qu'incongru. Les bandages qui recouvraient son visage n'étaient pas blancs ; ils étaient rouge et noir, tout comme les vêtements des autres personnes dans la pièce. En fait, il était difficile d'affirmer avec certitude qu'il s'agissait vraiment de bandages.
Avec le visage et le cou méticuleusement dissimulé, l'homme portait aussi une paire de gants en cuir rouge. Cet homme dont l'âge et la race étaient indéfinissables apportait un tout nouveau niveau d'anormalité dans cette salle déjà fort particulière.
Et pourtant le jeune homme portant une blouse rouge et noir continuait à discourir sans montrer le moindre signe de préoccupation.
"Eh bien, eh bien, tout le monde ! Calmez-vous, je vous prie ! Bien sûr, je suis le seul qui ait besoin de se calmer pour le moment ! Excusez-moi ! Mais vous voyez, je suis plutôt introverti, alors, en fait, comment dire ? Je me sens très, très, très nerveux à l'idée d'être entouré par vous tous en cet instant ! Enfin, on ne peut rien y faire."
Le jeune homme ajusta ses lunettes et regarda autour de lui, mais il ne croisa le regard de personne. Il affichait un sourire décontracté, mais la lueur dans ses yeux qui fouillaient la foule était éminemment suspicieuse.
"D'ailleurs, vous voyez ? Tiens. Nous avons un nouveau visage parmi nous aujourd'hui ! Une jeune dame. Que faire ? Je suis tellement nerveux quand je parle aux femmes. Bref, une salve d'applaudissements, je vous prie ! Accueillons notre nouvelle amie, Miss Rucott !"
Le jeune homme éleva la voix pour dissimuler sa nervosité. Son index pointait une femme seule, qui se tenait parmi ce groupe de personnes étranges.
Cette femme, vêtue comme les autres membres de la réunion, s'avança timidement tout en se disant : 'Qu'est-ce que c'est ce délire ?'
Une pensée qui exprimait toute sa confusion et son mépris.
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Un mois plus tôt, quelque part en Europe.
La vie de Silis Artia, employée dans une agence d'investigation privée, bascula soudainement lorsque son patron sortit de nulle part pour lui taper sur l'épaule.
"Une enquête sous couverture...?"
Alors qu'elle demandait, l'air perplexe, son patron acquiesça comme s'il ne s'agissait que d'un détail.
"Ouais. C'est une affaire délicate ; un groupe religieux. Ils auraient beaucoup en commun avec une espèce de culte ancien."
Ce n'était pas une histoire inhabituelle.
Après tout, cette agence différait quelque peu des agences ordinaires ; selon la somme en jeu, ils acceptaient de s'occuper de missions particulièrement dangereuses.
Ils avaient déjà recueilli des informations sur les affaires sordides des bas-fonds par le passé. Parfois ils employaient des méthodes illégales pour se renseigner sur la mafia ou sur des politiciens. Silis elle-même avait déjà enquêtée sur des brigands et des groupes criminels.
Elle avait également une certaine expérience avec les groupes religieux, et elle avait déjà risquée sa vie à plusieurs reprises.
Mais elle n'avait pas l'habitude de travailler "sous couverture". Il y avait d'autres personnes ici qui faisaient ce genre de boulots, alors elle ne comprenait pas pourquoi elle avait été sélectionnée pour cette mission.
Curieuse malgré elle, Silis décida de demander des précisions à son patron.
"Un culte ancien...? De quelle époque ?"
"Très vieux. Environ trois cent ans."
"Pardon ?"
"Avant... C'était en Espagne, ou au Portugal ? Je ne sais plus où il est apparu, mais il y avait cet étrange groupe religieux éparpillé dans toute l'Europe. C'était moins une religion qu'une bande d'hérétiques... Enfin, je ne sais pas pourquoi, mais un groupe de gens qui prétendent avoir hérité leur tradition a fait surface brusquement. Les détails sont dans les documents."
Le patron tendit un CD à Silis.
"Jettes-y un œil et dis-moi si tu acceptes le boulot. Ce n'est pas le genre de mission que j'imposerai à quelqu'un."
Le patron la laissa sur ces mots.
Silis hésita un moment, observant le CD. Mais elle se reprit, se disant qu'il était inutile de le fixer bêtement, et l'inséra dans son ordinateur.
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En conséquence de quoi, elle se trouvait maintenant dans cette église insolite.
'Est-ce que c'est censé être une blague ?'
Le groupe religieux 'SAMPLE'.
'Ils s'appellent SAMPLE ?' Le nom était tellement incongru que Silis ne trouvait même pas ça drôle.
On disait que la branche originelle du groupe avait existé dans plusieurs parties de l'Europe, il y a plusieurs siècles. Pas comme des branches séparées ; elle s'étendait littéralement dans des endroits différents.
On ne savait pas si les différents foyers maintenaient le contact entre eux. La seule certitude, c'était qu'elles existaient à cette époque, et qu'elles avaient toutes disparu en un clin d'œil.
Durant l'époque de l'Inquisition contre les soi-disant sorcières, ce groupe avait été considéré comme hérétique au plus pur sens du terme. Après tout, il n'était pas dérivé d'une religion plus importante ; ils avaient des idées et une foi complètement opposées.
Cependant, ces gens auraient probablement été traités d'hérétiques par n'importe qui ; non seulement par la religion majeure qui dominait l'Europe à l'époque, mais par la plupart des autres religions également.
Le meurtre d'enfants.
C'était probablement un élément caractéristique des traditions de ce genre de culte. Plusieurs religions incluaient le sacrifice d'enfants dans leur doctrine, mais dans le cas présent, les enfants qui étaient tués n'étaient pas vraiment des sacrifices.
Quand elle lut que les enfants étaient maltraités dans un but religieux, Silis avait présumé qu'ils servaient de sacrifices ; mais il ne s'agissait pas de ça.
Ils n'offraient pas la vie et l'âme d'un enfant à leur dieu, à la nature ou à une quelconque puissance divine--
Il était noté qu'ils offraient l'agonie de l'enfant, et vénéraient leurs cris de souffrance-- ou leur mort elle-même.
Silis ne comprenait pas.
Quel genre de religion pouvait aboutir à une conclusion pareille ?
Encore plus étrange, la raison pour laquelle ils infligeaient cette souffrance n'était pas certaine. Il semblait que les différentes branches aient chacune leurs raisons. Les documents montraient que l'une des branches avait soutenu que 'dévorer la chair d'un enfant apporte l'immortalité' ; on aurait dit de la magie plus que de la religion.
Et de la fin de 17e siècle au début du 18e, le Vatican dépêcha un groupe militaire afin d'exterminer une branche particulière, probablement la principale.
On disait que cette secte accomplissait ces meurtres d'enfants afin que "l'enfant supporte toute la misère de ce monde". Ce n'était pas une idée inconcevable, mais il était difficile de croire que de tels idéaux soient encore défendus à une époque où même les chasses aux sorcières touchaient à leur fin.
Mais il est vrai que certains cultes pratiquent encore leurs traditions étranges de nos jours. Alors il était possible que des gens tuent leurs propres enfants, hors de vue de la société. Silis trouvait cela très bizarre, mais pour cette communauté, c'était probablement considéré comme normal.
'Tout de même... Cette religion qui refait soudain surface à notre époque. A quoi ça rime ?'
D'après ses informations, il arrivait occasionnellement que ce culte apparaisse brusquement de cette façon. Une théorie affirmait que la branche principale avait survécu depuis tout ce temps, avec différentes branches secondaires qui émergeaient ici et là dans le monde extérieur.
Mais ce groupe en particulier était-il la branche mère? Ou une simple secte ? Ou bien un groupe d'imitateurs qui s'étaient basés sur les archives de l'ancien culte ?
Silis se trouvait curieuse de savoir.
Cependant, la plus grosse raison qui la motiva à accepter la mission était la somme massive promise en paiement.
Bien sûr, c'était partiellement dû à sa propre perplexité envers ce culte invraisemblable, qui lui avait fait perdre de vue les risques encourus.
Et ainsi elle partit à l'étranger, rejoignant ce culte sous le nom d'une inconnue nommée Rucott Diaz.
Sa mission était simple : le fils du client, qui avait rejoint ce groupe religieux, avait cessé de donner régulièrement des nouvelles à ses parents. Le client devint suspicieux et demanda une enquête poussée.
Sans aucune preuve d'activité criminelle, la police refusait d'agir dans ce genre d'affaires car la victime potentielle avait donné son consentement. Voilà pourquoi le client avait demandé une investigation afin de rassembler des preuves d'agissements criminels.
'Les cultes de ce genre auraient dû être détruits il y a des années.'
Ce groupe soutenaient la maltraitance et le meurtre d'enfants. Normalement un culte pareil aurait dû être dissous depuis longtemps, mais Silis se convainquit de leur existence en réfléchissant un peu.
'Si c'est une secte qui ressurgit, je suppose que même la police ne s'intéresserait pas à quelque chose qui date d'il y a trois siècles.'
De plus, il semblait qu'ils n'aient jamais accompli de kidnapping ou d'actes similaires ; ils donnaient l'impression d'être plus inoffensifs que des jeunes jouant aux satanistes.
Les informations que Silis avait reçue de son patron ne contenaient aucun renseignement sur les activités récentes du groupe. Ils ne semblaient pas vivre en communauté fermée, ni même poser des restrictions sur l'emplacement et la date de leurs assemblées.
'C'est presque une espèce de club scolaire.'
Silis, qui avait pris contact avec ce groupe à moitié incrédule, avait malheureusement manqué certains détails.
L'un de ces détails étant que les informations que son patron lui avaient fournies étaient correctes, mais provenaient toutes d'un informateur professionnel. Cet informateur appartenait à un groupe qui mettait les mains sur toutes sortes de données, même les plus confidentielles ; il s'agissait d'un de ces dossiers spéciaux.
Un autre détail important était que, comme ce culte se rassemblait dans des conditions ordinaires et n'était pas recherché par la police, elle eut l'impression qu'il était connu par un peu tout le monde.
Une rapide recherche sur Internet lui aurait prouvé le contraire ; que ce soit les civils ou la police, très peu de gens avaient connaissance de ce groupe. Même le client - les parents du jeune homme disparu - ignorait le passé et les origines de ce groupe.
Et tous ces renseignements détaillés lui firent baisser sa garde. Ces informations n'étaient pas de celles qui étaient divulguées au premier curieux venu.
En d'autres termes, l'informateur avec qui travaillait son agence était bien trop doué.
Et un autre détail, sans rapport avec Silis.
Son patron n'avait pas correctement rémunéré l'informateur. En conséquence de quoi l'informateur avait gardé pour lui ses renseignements plus spécifiques--notamment une information de la plus grande importance.
"Ce groupe est extrêmement dangereux. Ne vous mêlez pas de leurs affaires si vous tenez à la vie."
Une information qui aurait pu drastiquement changer le destin de Silis.
Et sans avoir connaissance de ce fait, Silis jouait le rôle de Rucott, en soupirant intérieurement.
'Est-ce que c'est vraiment un groupe ordinaire ?'
Contacter ce groupe avait été d'une simplicité étonnante, et la seule question qu'on lui avait posée était, "Qui vous a référé auprès de nous ?"
Cela faisait à peine trois jours. Et aujourd'hui elle avait été autorisée à rencontrer le chef.
'Ma foi, tout se déroule tellement bien, c'est presque louche. Un groupe aussi facile ne devrait pas me poser de problèmes.'
Tout en se moquant d'eux dans sa tête, Silis répondit poliment au jeune homme devant elle.
"Merci... Je suis très heureuse de vous rejoindre pour pouvoir partager votre foi."
"Ah, détendez-vous, je vous en prie ! Pas besoin d'être nerveuse ici. Nous sommes entre amis !" Le jeune homme aux lunettes rit timidement.
Cet homme semblait être en charge du groupe, mais il ressemblait plus à un assistant de laboratoire maladroit qu'à un chef charismatique. Sa blouse rouge et noir donnait vraiment l'impression qu'il en faisait trop.
'Ce type ne peut pas vraiment être le chef... Ça doit être un secrétaire.'
Même si l'homme entouré de bandages et l'homme-gorille à l'air exagérément massif l'intriguaient, leur excentricité ne l'inquiétait pas plus que ça.
'Ils ne sont probablement pas très différents de ces bandes qui jouent aux satanistes.'
Bien que de tels groupes puissent se montrer terrifiants avec le mélange approprié d'insanité et de ferveur, l'homme aux lunettes avait complètement brisé l'atmosphère sérieuse de la salle.
'Sans blague. On se croirait presque dans un club scolaire. Mais avec tous les petits enfants et les vieux dans ce groupe, ça ne colle pas vraiment...'
Faisant fi de l'impression tenace qui la préoccupait, le jeune homme aux lunettes détourna les yeux et se mit à parler avec assurance.
"On m'a dit que Miss Rucott avait grandi en Angleterre, et qu'elle avait l'habitude de faire des cookies dans son temps libre ! J'aimerais bien y goûter un jour ! Haha !"
Malgré ses essais pour chauffer l'audience, personne ne le regardait avec attention et sa plaisanterie fit long feu.
"Ah, je sais faire des cookies, moi aussi ! Mais vous voyez, c'est, euh... J'hésite un peu à les faire goûter à d'autres gens. Qu'est-ce que je vais faire s'ils sont ratés ? Ah, enfin... euh, ce que je voulais dire, c'est, ... Ah oui ! Je dois présenter Miss Rucott à tout le monde."
Il émit un rire forcé, mais l'ambiance resta toujours aussi glaciale.
'Quel idiot.'
Bien que Silis se moque de lui intérieurement, elle prenait soin de n'en rien laisser paraître.
"Haha... ha... ahem. Enfin, ce que j'essaie de dire, eh bien. Rucott est--"
Ce serait une mission facile. Silis rapporterait qu'il n'y avait rien à craindre de ce groupe, et elle se procurerait de quoi les faire chanter, juste au cas où.
Silis réprima un sourire, mais--
La seconde d'après, elle sentit son expression se figer sous le choc.
"Rucott est, eh bien... C'est ça ! Rucott a étudié à l'université de Hillroam ! C'est une école réputée. Pour ma part, je viens d'une université quelconque ; je suis plutôt jaloux."
'...Quoi ?'
Elle retrouva ses esprits et repassa ce qui venait de se passer dans sa tête.
'...Qu'est-ce qu'il vient de dire ?'
Se rappeler les paroles du jeune homme ne changea rien à sa stupéfaction.
Rucott Diaz n'avait pas étudiée à l'université de Hillroam.
C'est Silis elle-même qui avait étudiée là-bas.
"Après avoir reçu son diplôme, elle a tout de suite décroché un poste à l'agence St. Crystelle. Elle a gagné la confiance de ses employeurs, qui lui confient des missions aussi bien légales qu'illégales. Incroyable ! On ne peut pas acheter une telle confiance, ça c'est sûr."
Son cœur battait à toute allure.
Son cœur battait à toute allure, comme un tambour.
Son cœur se soulevait dans sa poitrine, au bord de l'explosion.
L'agence St. Crystelle était le nom de l'agence d'enquête privée où elle travaillait.
Pourtant elle s'était créée une fausse identité, avec un faux nom et les faux papiers nécessaires.
'Ils... m'ont démasquée ?'
Ça semblait absurde. Elle ne voulait pas y croire. Silis était fière de ses compétences de professionnelle, même dans ce qui touchait à la zone grise de la légalité.
Elle n'aurait jamais dû être démasquée par un groupe aussi minable.
Silis se sentait malade. La sueur s'évaporait sur sa peau, rafraîchissant sa température. Elle réalisa brusquement qu'elle était en train de trembler.
Mais elle maintint son expression. Ils devaient être en train de la tester. Ce vain espoir la fit tenir, malgré sa position précaire.
"Je ne vois pas de quoi vous par--"
Sa tentative de changer calmement de sujet échoua complètement. L'homme aux lunettes avait cessé--ou plutôt, n'avait jamais commencé à écouter ce qu'elle disait, et continua de l'ignorer.
"Non seulement ça ! Mais elle est aussi sous couverture, toute seule, pour une mission parmi nous ! Quelle âme courageuse, plongeant sans crainte dans l'inconnu ! Applaudissons-la ! Une salve d'applaudissements pour accueillir Miss Rucott !"
Pendant un moment, Silis, confuse, fut submergée de compliments et d'applaudissements enthousiastes.
'Hein ?'
Elle ne comprenait pas.
Que se passait-il ? Pourquoi applaudissaient-ils ? Tout ça n'avait aucun sens.
Les gens l'entouraient de toute part et l'applaudissaient.
"Ah..."
Elle laissa échapper une exclamation sans le vouloir, mais elle ne savait même pas ce qu'elle aurait pu dire.
'Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie ?'
Elle commençait à avoir l'impression que le monde entier était devenu une vaste blague.
Peut-être, comme Alice, était-elle tombée dans un Pays des Merveilles.
Elle avait l'impression d'avoir été invitée à une fête privée par un total inconnu ; elle ne pouvait que rester immobile sous le choc.
"Ah, oui ! Je vous ai dit que je vous présenterai à notre chef aujourd'hui. Et je m'apprête à le faire ! Enfin, en réalité, c'est moi le chef."
"...Pardon ?"
"Wouah ! 'Pardon ?', dit-elle ! Terrifiant. Comme je le pensais, les humains sont les chose les plus effrayantes de ce monde ! S'adresser à un inconnu avec 'Pardon ?'... Enfin, que vous me croyiez ou non, je suis Bride, le quarante-troisième dirigeant de SAMPLE. C'est un plaisir de faire votre connaissance."
"..."
Le masque de sérénité de Silis vola en pièces tandis qu'elle regarda l'homme qui venait de se désigner comme Bride. Elle l'observa avec des yeux remplis de peur et de doute, mais cet homme ne ressemblait pas à grand chose de plus qu'à un assistant de laboratoire vaguement mélancolique. Son apparence n'avait rien du chef charismatique.
"J'imagine que 'quarante-troisième dirigeant' est un peu vague. Disons que je suis en charge de nos enseignements. Nous ne vénérons aucun individu spécifique ; même si le dirigeant change, nous poursuivons dans notre foi tirant nos racines de notre livre saint. En parlant de ça, notre livre saint est toujours incomplet. En d'autres termes, le chef doit continuer à compléter notre philosophie, peu importe le changement de dirigeant. Laissez-moi vous montrer--"
Bride murmura silencieusement, et ouvrit le classeur qu'il avait posé sur l'autel.
A l'intérieur se trouvaient d'innombrables mots inscrits d'une écriture minuscule. A mi-chemin, les pages devenaient vierges. A y regarder de plus près, les pages les plus anciennes étaient faites de parchemin. Les pages plus récentes étaient en papier moderne.
"J'imagine qu'on pourrait dire que ce livre saint est l'objet de notre vénération. Ces derniers temps, j'entends des gens suggérer de transférer les pages sur ordinateur pour que ce soit plus simple à transporter. Qu'en pensez-vous ? Nous sommes un groupe qui remonte à plus de trois siècles, mais qu'on ne vienne pas nous dire que nous ne sommes pas à la page ! Bien sûr, certaines des religions majeures plus anciennes ont commencé depuis longtemps à avoir recours à la technologie moderne. Je les admire."
L'homme continuait sa tirade, mais Silis ne comprenait pas un traître mot de ce qu'il racontait.
'Ce classeur est leur livre saint ? La moitié est encore vierge ?
Non, peu importe tout ça... Est-ce que cet abruti leur sert vraiment de chef ?'
Silis essaya de former une question dans sa tête malgré sa confusion, mais elle n'arrivait pas à rassembler ses pensées--trop d'interrogations tournaient dans son esprit. Elle n'arrivait pas à trouver par quoi commencer.
Et comme s'il avait perçu sa confusion, Bride eut un rictus et tapa des mains.
"Eh bien, il est temps que je prenne temporairement ma place de chef !"
"...?"
"Remercions les progrès de la science."
Bride parla, en fixant le plafond du regard. Il étendit lentement ses bras. Les jeunes femmes à ses côtés prirent chacune un objet et le posèrent dans ses mains.
'Des seringues ?!'
Il s'agissait de seringues ordinaires, du modèle utilisé pour des vaccins. A l'intérieur se trouvait un liquide clair ; combiné, il y avait peut-être autant de liquide dans les deux seringues que dans une petite bouteille de boisson énergisante.
L'homme expulsa les bulles d'air des seringues sans hésiter--
Et planta une seringue de chaque côté de son cou d'un seul geste.
"--!"
Silis laissa échapper un cri sourd.
Mais l'homme aux lunettes continuait l'injection d'un air détendu.
"Ah, ne vous inquiétez pas. Ce n'est que de la dextrose." Il laissa échapper un sourire indolent, "Je crains de ne pas pouvoir endosser le rôle de chef sans surcharger mon cerveau de sucres auparavant."
Les muscles de son cou se contractaient pendant qu'il parlait, ce qui faisait légèrement trembler les seringues.
L'injection se termina avant même que Silis ait pris conscience du danger de l'opération ; Bride retira les seringues et les rendit aux femmes à ses côtés.
"..."
Ensuite, il se retourna en silence et marcha jusqu'à l'autel.
En regardant l'homme lui tourner le dos et retirer ses lunettes, Silis réalisa que l'atmosphère de la pièce avait drastiquement changée.
"Oh... Ohhhhhhhh.."
Bride s'étira en arrière en laissant échapper une respiration douloureuse. Silis pouvait entendre ses os craquer.
"Oooooohhhhhhhhhhaaaaaaaahhhhhhhhhh..."
Les gémissements de douleur cessèrent.
Silis eut soudain l'impression que le temps lui-même venait de se mettre en pause. Il faisait froid. L'ambiance de la pièce était étrangement froide et terrifiante.
La température n'avait pas changée. Ce n'était pas l'air conditionné. Silis n'était pas en train de frissonner.
L'atmosphère était simplement devenue parfaitement glaciale.
Quand elle regarda autour d'elle, elle vit que les autres gens ne souriaient plus. Ils ne semblaient pas inquiets, mais ils affichaient un regard froid et mystérieux, les adultes comme les enfants.
'Quelle erreur.'
Elle réalisa finalement son erreur.
'J'avais tort. Je n'aurais jamais dû venir ici !'
Elle réalisa qu'elle avait mis les pieds dans ce qu'elle n'aurait pas dû. Les gens qui l'entouraient n'étaient définitivement pas là pour une stupide réunion entre amis. Il y avait quelque chose de pas net chez eux qui les démarquait clairement du reste du monde.
Le chef, désormais sans lunettes, se retourna lentement.
"Ma chère... Permettez-moi de me présenter à nouveau."
Il affichait un sourire ravageur. Mais ses yeux dépourvus d'émotion donnait l'impression qu'on avait dessiné deux cercles sombres sur son visage.
"Aah..."
Silis laissa échapper un faible cri. Elle commençait à perdre ses repères.
L'homme qui lui faisait face était le même jeune homme timide ; il avait simplement ôté ses lunettes.
Et pourtant il n'était plus la même personne.
On aurait presque dit qu'il avait une double personnalité, et pourtant il s'était juste injecté du sucre dans le cerveau.
"Bienvenue, toi qui était autrefois Silis Artia, revenue parmi nous sous le nom de Rucott Diaz."
Mais il était désormais quelqu'un d'autre. Elle voulait croire qu'il était quelqu'un d'autre.
Les gens peuvent parfois changer l'espace d'un moment. Ou ils peuvent perdre l'esprit. Cet homme faisait certainement partie de la seconde catégorie.
Le jeune homme au sourire indolent avait volé en mille morceaux, les éclats se rassemblant sous une forme différente. C'était un tel changement qu'il était presque impossible de croire qu'il avait juste ôté ses lunettes.
C'était l'impression que dégageait un Rubik's Cube mélangé qui se résolvait tout seul en un instant. Un changement instantané, comme si on avait enclenché un bouton.
Il était devenu complet avec deux seringues de dextrose. Ou plutôt, le monde semblait avoir changé autour de lui.
Silis se trouva assaillie, non par la peur, mais par l'angoisse. L'angoisse d'avoir été transportée dans un monde complètement différent. Elle ressentit le genre de gêne qui lui donnait l'impression d'être rejetée de tous.
Mais le monde continuait à exister autour d'elle, ignorant son désespoir.
"Bien... A présent, chantons."
Bride, se tenant avec les bras grand ouverts, venait de fermer les yeux.
Ses mots calmes et concis - incomparables avec son attitude d'un peu plus tôt - lui donnèrent la chair de poule.
Toute chaleur avait disparu des autres croyants dans la salle. Leur visages affichaient une expression tendue ; pas par la peur ou par l'angoisse, mais par le respect.
'Que... se passe-t-il ?'
L'homme ignora complètement Silis, étrangère à leur monde, et agita les bras comme un chef d'orchestre. Et à cet instant--
[ Que la réponse dans nos cœurs redoute la mort ]
Un choeur sans mélodie commença à résonner dans l'église.
[ Que la chair dans leur corps redoute la vie ]
Ces voix ne provenaient pas des autres croyants qui entouraient Silis.
[ Craignez la mort, craignez la mort
Craignez la vie, craignez la vie ]
Elles appartenaient aux enfants qui étaient rentrés en même temps que Bride ; les enfants qui s'étaient alignés contre le mur du fond.
[ La chair doit accueillir la mort
Le coeur doit désirer la mort
Mais la vie persister dans Son âme exaltée ]
En les regardant plus attentivement, on pouvait voir que tous les enfants avaient un casque sur les oreilles. Leurs yeux étaient masqués par un bandeau. Ces enfants étaient comme aveugles et sourds, devant se repérer dans leur environnement grâce au toucher et à l'odorat.
Et d'une voix claire, les garçons et les filles chantaient un refrain dépourvu de mélodie.
[ Que l'âme à dévorer soit apaisée
Que la souffrance soit vénérée
Notre Dieu n'existe pas
Mais nous nous devons de Le célébrer ]
Bien que Silis ne perçoive aucune émotion dans la voix des enfants, quelque chose dans leur façon de chanter lui évoquait une plainte désespérée--et elle réalisa quelque chose.
'C'est ça. Ils hurlent. Ces enfants sont en train de hurler.'
Quel genre de musique pouvait bien être diffusée dans leur casque ? Silis ne pouvait pas le savoir à cette distance.
Les enfants gardaient leurs mains derrière le dos. Leurs chevilles étaient attachées par de lourdes chaînes, et leurs mains étaient probablement restreintes de la même manière.
La vue de ces enfants perturbait profondément Silis, et elle comprit bien vite pourquoi.
Ils n'étaient pas habillés en rouge et noir comme les adultes. Ils portaient des vêtements d'un blanc pur et immaculé, comme s'ils étaient faits de plumes de cygne.
La coupe en était simple, mais leurs tenues leur donnaient un air festif. Elles évoquaient des anges, ou peut-être des créatures féériques tirées d'un conte pour enfants.
Mais la réalité était venue pervertir ces idées agréables.
Les enfants attachés se contentaient de continuer à chanter. Ils chantaient ce refrain dépourvu d'émotion dans un cri silencieux.
Et Bride agitait les mains avec élégance, comme le chef d'orchestre de ce chant macabre. Les enfants ne servaient que de haut-parleurs qui relayaient ses mots à sa place, maintenant qu'il avait coupé court à ses bavardages.
[ La mort est notre compagne redoutée
La vie une si terrifiante ennemie
Notre Dieu
Né de nos prières
S'en retourne au néant
L'angoisse épouse la lumière
La honte se joint à l'obscurité
Je me tiens humblement devant l'Exalté
Et porte cette modeste herbe à mes lèvres
Craignez Dieu
Craignons Nous
La pitié est le--]
'Non... arrêtez.'
La nuée de mots qui enveloppait Silis dans un brouillard sinueux commençait à l'étouffer.
'Qui sont ces salauds... Ça ne tourne pas rond chez eux !'
Leurs idéaux étaient clairs. Leur malveillance était évidente. Les 'fidèles', qui se tenaient entre Bride et les enfants, écoutaient ce chant avec un air euphorique.
Bride finit par baisser les bras, et les voix s'arrêtèrent sur le champ. Silis s'aperçut que le 'chef d'orchestre' affichait une expression de joie intense. Il n'y avait pas à s'y tromper. C'était un sourire d'exaltation à son apogée ; plus puissant que de la simple joie ou satisfaction.
Bride recouvrit lentement son visage de ses mains avant de baisser la tête, en ricanant. Silis le trouvait répugnant sous tous rapports ; le moindre geste ou parole de sa part la dégoûtait.
Et pourtant, elle comprenait. Elle avait compris que sa vie était désormais à la merci de ce monde détestable.
'Dites-moi que c'est une mauvaise blague.'
On ne lui avait infligée aucune souffrance.
Aucun de ses proches n'avait été pris en otage.
Elle n'avait assisté à aucune tragédie.
Mais le fait demeurait, inévitable, qu'elle avait découvert ce qu'elle aurait mieux fait d'ignorer.
Ses yeux se fixèrent sur 'quelque chose' qui avait soudainement décidé d'accorder la grâce de sa présence à cet endroit il y a tout juste un instant. Mais ce 'quelque chose' n'était ni dieu ni diable ; rien qu'un simple être humain.
Et c'est précisément pourquoi Silis était aussi effrayée par Bride. La terreur qu'elle ressentait dépassa le point de non-retour.
L'atmosphère inquiétante devint une silhouette informe, emplissant silencieusement la salle entière. Et tandis que cette angoisse sourde enveloppait la pièce, Bride sourit tranquillement et se rapprocha de Silis.
"Quand à notre verdict te concernant, Rucott..."
Silis se sentit trembler en entendant les paroles de cet homme, dont même la voix avait changée. Elle était paralysée par cette ambiance. Bride continua d'un ton pesant.
"Tu vas devoir m'épouser."
"Ah... ... ...?"
"Tu n'auras à tenir que pendant un petit moment. Nous serons divorcés lorsque ma véritable épouse aura été trouvée, puis tu seras libre de mourir d'une mort paisible."
"...?"
Une sensation de perte terrifiante la frappa telle un camion. Le mot 'épouser'--complètement inattendu dans de telles circonstances.
Et le mot 'mourir' qui avait immédiatement suivi.
Avant même que Silis puisse mettre de l'ordre dans ses pensées, les choses devinrent encore plus confuses qu'elle ne l'aurait cru possible.
Il y eut un bruit violent--un craquement sec, qui sortit Silis de sa torpeur. Les portes étroites de l'église s'ouvrirent toutes grandes, et un groupe d'hommes débarqua en courant à l'intérieur.
'Quoi ?! Que se passe-t-il encore ?!'
Les hommes semblaient d'origine asiatique, d'Asie du Sud-Est ou alors de l'Est, mais très bronzés. Ces hommes aux cheveux noirs et à la peau bronzée crièrent quelque chose d'une voix brusque dans une langue qu'elle ne connaissait pas.
Mais les armes dans leurs mains semblaient bien plus redoutables que leurs cris.
Au total, il devait y avoir sept ou huit de ces intrus. L'un d'entre eux tenait une gigantesque hache qui faisait la moitié de sa taille. La moitié des autres avaient des lames plus petites. Et les trois derniers tenaient chacun un pistolet sombre qui scintillait sous la lumière de la lune.
"Ah..."
Silis laissa échapper un cri silencieux et se recroquevilla dans un coin de la salle. Au contraire, le groupe de croyants--Bride inclus--restaient excessivement calmes. Ils se tenaient en silence, dirigeant leur attention vers les intrus.
Initialement, les hommes semblaient prêt à les couvrir d'injures. Mais quand ils virent que les gens présents conservaient tous le silence, ils baissèrent la voix et se regardèrent l'un l'autre. Cependant, ils ne semblaient pas prêt à ranger leurs armes pour autant. L'un des hommes tenant une arme à feu commença à chercher du regard une cible potentielle.
"Mais pourquoi... mon Dieu..."
"Ces gens ne sont pas nos alliés," expliqua Bride, se tenant près de Silis avec un sourire. "Nous avons eu des soucis avec eux par le passé. Tout comme eux, nous sommes des étrangers dans ce pays... J'avais espéré que nous puissions nous entendre. C'est bien dommage."
Secouant la tête d'un air désolé, Bride effaça le sourire de son visage. Et, en tant que chef, délivra un ordre aux adorateurs silencieux.
"Écoutez, tous. On dirait que si nous ne faisons rien, nous allons être tués. C'est terrifiant."
Il s'exprimait avec le sourire d'un saint ; un sourire dépourvu de malice et d'envie.
"Et comme nous ne souhaitons pas mourir, nous n'avons d'autre choix que--"
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Trente minutes plus tard.
La scène qui avait suivi avait été extrêmement bizarre et horrifiante.
Mais il faudrait bien encore un mois avant que Silis puisse véritablement faire défiler ces événements dans sa tête. Elle était actuellement réduite à une enveloppe tremblante sur le sol, comme un corps sans âme aux yeux vides.
Sans même s'en rendre compte, elle fut lentement transportée hors de l'église, avec l'aide de Bride.
Ayant perdu son attitude charismatique d'un peu plus tôt, Bride devait lutter pour la regarder droit dans les yeux alors qu'il l'entraînait avec lui en murmurant.
"Par 'mariage', on ne parle pas de la définition légale. Seulement d'après notre doctrine. Alors, euh, emm. Essayons de nous entendre."
"..."
Silis avait été réduite au silence, et il n'était même pas sûr qu'elle soit encore consciente. Mais Bride continua sa conversation à sens unique avec elle.
"Notre religion, vous voyez, n'interdit pas le plaisir," commença-t-il brusquement, avant de signaler aux deux femmes qui l'accompagnaient de sortir plusieurs photographies.
"Alors, ce que j'essaie de dire, c'est, euh... je veux obtenir tout ce que je désire. C'est ça, être humain, après tout. Ah, alors ce que je veux dire, en fait... Miss Rucott. Lorsque je trouverais ma véritable épouse, nous devrons, ah, divorcer et je devrais vous tuer pour m'assurer que vous gardiez le silence. Alors je me disais que peut-être vous pourriez mourir heureuse si vous saviez de quel genre de personne il s'agit. Haha."
Bride marmonna quelque chose qui aurait sûrement fait bondir Silis si elle n'avait pas été en état de choc, et lui montra les photos.
La première photo représentait une femme aux cheveux argentés qui irradiait une beauté surréelle.
"Voilà Miss Sylvie. Elle est sublime, n'est-ce pas ? Mon cœur s'emballe rien qu'en regardant cette photo. Probablement parce qu'elle est tellement, tellement, tellement plus âgée que moi."
La suivante montrait une jeune fille au teint maladif.
"La candidate suivante est plus jeune que moi... Apparemment elle s'appelle 'Illness'. Plutôt étrange comme nom, non ? J'ai entendu dire que c'était une prêtresse distinguée d'une autre branche, mais que sa branche avait été détruite. J'imagine que ce nom lui correspond assez bien, dans ce cas..."
Bride passa aux photos suivantes. C'étaient des hommes de races diverses.
Un asiatique aux yeux plissés.
Un homme à la peau sombre portant un masque étrange.
Un jeune homme au sourire sincère.
Un jeune homme aux cheveux noirs, aux yeux dorés et au regard perspicace. Un homme assez grand portant des lunettes, un homme émacié avec une barbe, et d'autres encore ; il y avait toutes sortes de gens.
"Comme ces gens sont des hommes, ce ne sont pas des candidats pour m'épouser. Mais nous devons les protéger, car ils sont considérés comme nos dieux actuels."
Il sélectionna l'une des photographies et commença un siffloter d'un air réjoui.
"Ah, oui. Celui-là. C'est ce garçon ! Cet enfant ! Dans un sens, il est encore plus important que ma future épouse."
"..."
"Je n'exagère même pas quand je dis qu'il satisfait tous les critères requis. Ce garçon serait un dieu parfait pour nous ! Il s'appelle... euh... oui ! Czeslaw ! Ils disent qu'il s'appelle Czeslaw Meyer !"
<==>
Bride déposa Silis, qui ne faisait toujours montre d'aucune réaction, sur le siège arrière de la voiture garée devant l'église.
Derrière Bride se trouvait l'homme couvert de bandages.
"Ah, vous nous quittez déjà ? Très bien. Je vous verrai à bord, dans ce cas."
L'homme couvert de bandages acquiesça aux mots étrangement amicaux de Bride, et s'installa sur le siège arrière d'une autre voiture.
Tandis que la voiture noire s'éloignait, le 'chef' regarda autour de lui en silence.
Les autres membres du groupe semblaient déjà avoir changé leur tenue. Ils portaient des habits ordinaires tandis qu'ils s'en retournaient dans leurs logements un par un.
Le jeune dirigeant du groupe tenta de se rassurer.
"Ah... Ça faisait un moment que nous n'avions pas eu une assemblée aussi importante. Ça me rend toujours nerveux d'endosser le rôle du chef, mais... C'est bon. Je peux le faire. Je peux--euh... Je dois avoir confiance dans le pouvoir de la dextrose."
Avec un rire acerbe, il prit place dans le siège arrière de la voiture et s'adressa à la femme dans le siège du conducteur.
"Commençons par aller voir Orihara, pour lui rendre la clé. Je voudrais le remercier personnellement, puisqu'on dirait qu'il va devoir se charger des corps pour nous en extra."
Il regarda le paysage par la vitre arrière, et se mit à rire en voyant le siège du gouvernement métropolitain de Tokyo.
"Quel pays incroyable. On y trouve des salles d'arcade partout.
J'espère que l'assemblée à bord du navire se déroulera aussi bien que ma dernière partie."