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Il n'était pas un de ces fameux 'tireurs solitaires'.
Même s'ils étaient loin de lui, il avait une tendre épouse et un fils qui l'attendaient. Parfois, il se demandait honnêtement s'il ne devait pas se laver les mains de tout ce travail meurtrier pour profiter d'une vie joyeuse et paisible avec sa famille. Mais il avait toujours du mal à y croire ; il avait tué bien trop de gens au cours de sa vie.
'Je n'ai aucun droit à mener une vie ordinaire et paisible.
Mais au moins, je tiens à ce que ma femme et mon fils soient heureux.'
Cet homme hypocrite, bien entendu, avait tué d'innombrables personnes. La moitié de ces meurtres avaient eu lieu soit pour se défendre, soit pour se venger des ennemis qui avaient blessé ceux qui lui étaient chers. L'autre moitié avaient été exécutés sur ordre du Boss à qui il devait tant, ou pour protéger le Boss. Les tirs qu'il réalisait étaient si précis qu'ils semblaient attirés par leurs cibles ; il était devenu un monstre craint, parfois comparé à un requin mangeur d'hommes capable de traquer ses proies à l'odeur de leur sang.
Au début, toutefois, il n'était qu'un tireur ordinaire comme on en trouve dans tous les endroits où les lois passent après la survie. Cet homme – Angelo – était devenu un excellent 'chien de chasse', mais autrefois, il était le genre de personnes qui risquait quotidiennement de finir dans un tas de cadavres.
Il n'avait pas survécu aussi longtemps parce qu'il possédait un talent spécial. Au contraire, il était devenu fort parce qu'il avait survécu aussi longtemps. Il n'aurait même jamais mis les mains sur une arme à feu si la police avait 'nettoyé' correctement cette allée, à l'époque où il était encore un gamin des rues. Si, dans sa première fusillade, son adversaire n'avait pas trébuché sur le corps d'un allié, cet adversaire aurait pu vivre pour devenir aussi doué qu'Angelo l'était maintenant. La compétence d'Angelo ne venait pas d'un talent inné, mais simplement de 'l'expérience'.
Le meurtre amena d'autres meurtres, les balles amenèrent d'autres balles, et la vengeance amena plus de vengeance. Ayant passé ses jours à mener une vie qu'on ne pouvait plus qualifier de normale, Angelo en était au point où il utilisait plus de munitions pour son travail que la plupart des soldats se battant sur le front en pleine guerre.
Et ce n'était rien de moins qu'un miracle qu'il ait trouvé le temps d'une trêve pour se constituer une famille. Angelo avait rejeté la femme qui était tombée amoureuse de lui, persuadé qu'il n'avait pas le droit de chercher le bonheur – mais cette femme était bien plus formidable qu'il n'aurait pu l'imaginer.
Peu importe les circonstances, Angelo s'était trouvé une famille – il avait fait enregistrer son nom dans la ville natale de sa femme en Espagne, et était parti travailler comme garde du corps en Amérique du Sud.
Et un jour – les Mask Makers avaient fait irruption dans sa vie.
Plusieurs jours avant le départ de l'Entrance--
[Yo, boss Angelo. Comment qu'ça va ?]
Venant d'entendre le talkie-walkie à sa ceinture émettre un crissement en signe de vie, le gangster nommé Angelo le rapprocha de son visage pour répondre. Le restaurant derrière lui était submergé par les flammes, à cause du camion qui s'était écrasé à l'intérieur.
"C'est réglé. Notre objectif principal est accompli."
[C'te truc de les expulser hors du resto ? Bref, le Boss veut t'causer.]
Le rire gras du Demolisher s'effaça peu à peu--
Et depuis le talkie-walkie, retentit la voix terrifiée et désespérée d'une jeune fille.
[Ah... euh... um... Angelo... T-tout s'est bien passé...?]
"L'ennemi s'est échappé. Vous n'avez pas à vous inquiéter, Boss."
La personne qui employait ce tireur, connu comme le 'chien de chasse', n'était nulle autre que le Boss du cartel de drogue en charge de ce quartier.
Enfin, jusqu'à il y a encore quelques jours.
Il semblait qu'un espion ait été infiltré parmi eux, et le Boss avait été tué lors d'une fusillade contre un groupe rival. Angelo avait abattu tous leurs ennemis, mais le Boss s'était fait tirer dans le dos. C'était probablement l'espion qui l'avait éliminé, mais son identité était encore incertaine. La seule héritière du Boss était sa fille, qui venait tout juste d'avoir douze ans. La situation était très trouble, avec tous ceux qui luttaient pour devenir son bras droit, et ainsi plus ou moins diriger l'organisation.
Mais le Boss avait demandé à Angelo, dans son dernier souffle : "Prends soin de ma fille."
'Tu parles d'une mission...'
Au départ, il avait prévu d'emmener la fille dans sa famille, en Espagne. La colère de sa femme, lorsqu'il était reparti en Amérique du Sud gagner sa vie, s'était sûrement assagie depuis le temps. Cela dit, s'il revenait soudainement avec cette fille, il risquait de se retrouver avec un couteau de cuisine planté dans la nuque avant de pouvoir s'expliquer. Il avait pour règle de ne jamais tuer de femmes, et la question se posait d'autant moins qu'il s'agissait de son épouse adorée ; il était donc sans défense.
'Elle manie le couteau de cuisine avec une telle maestria, impossible de lui résister sans se battre sérieusement.'
Il ne pouvait pas se mettre à fuir aussitôt après être rentré chez lui. Le plus simple aurait été d'ignorer les ordres du Boss et de retourner seul en Espagne, mais--
'Je ne peux tout de même pas l'abandonner.'
Angelo avait une dette absolue envers le Boss. Il ne pouvait pas revenir dessus.
Il ne tuait pas les femmes et les enfants ; son Boss avait accepté cette règle personnelle qu'il s'imposait, et lui avait donné une place dans son organisation. Et la fille de ce Boss - qui était désormais le nouveau Boss - lui demandait d'un ton urgent :
[Et toi, Angelo ? Tu n'es pas blessé, j'espère ?]
"Je vais bien."
[Et... les autres...]
"Ne vous inquiétez pas pour eux, Boss."
Il lui mentait ; la vie et la mort de ses subordonnés, les subordonnés qui constituaient le noyau de son organisation, relevait définitivement des sujets dont le Boss devait se préoccuper. Mais Angelo avait choisi de la traiter comme une jeune fille, pas comme le Boss.
Après la réponse tranquille d'Angelo, la fille reprit sa respiration--
Avant de continuer, retenant ses émotions débordantes.
[Et... Ceux qui nous ont attaqués...?]
"On s'est occupé d'eux. Je vais aller poursuivre les rescapés maintenant--"
[Attends...! Je t'en prie, arrête ! Je ne peux pas te faire courir encore plus de danger, Angelo...!]
"..."
Même si Angelo trouvait la fille trop naïve, il réalisa qu'elle s'inquiétait vraiment pour lui. Angelo soupira, sans montrer s'il était d'accord ou non avec elle.
"Je ne peux pas les laisser vous menacer, Boss. Je vais juste aller les voir et les convaincre de s'assurer qu'ils ne s'en prendront plus jamais à vous. Ne vous en faites pas pour moi, je vous en prie."
La fille commença à lui répondre, mais la voix sur le talkie-walkie fut vite remplacée par une voix masculine bien plus vulgaire.
[Hahaha ! Comme c'est mignon, mon gars ! D'abord elle découvre que son vieux est un parrain de la drogue l'jour même où il casse sa pipe ; elle a l'privilège de devenir le nouveau Boss sitôt l'vieux fraîchement enterré dans son costard en bois, et maintenant un tas de tueurs s'ramènent pour la buter en piaffant d'impatience ! T'crois que notre Boss miniature a envie d'y passer, en fait ?]
"Ferme ta gueule, ou je t'arrache les dents et la langue avec."
Angelo ressentait un intense mépris pour cet homme qui riait de telle façon juste à côté du Boss, mais il se calma pour réfléchir à son prochain mouvement.
'Leur timing m'inquiète... est-ce qu'ils ignorent que la petite Carnea est notre nouvelle Boss ? Ou est-ce qu'ils s'en moquent carrément...?'
Impossible de résoudre la situation tant qu'il n'aurait pas la réponse à ces questions.
"Hé, Demolisher. J'ai un service à te demander."
[T'veux que j'fouille un peu sur eux, pas vrai ? J'm'en charge. J'vais même m'renseigner sur leurs putain de tatouages s'il faut.]
Le Demolisher.
Comme ce surnom le laissait entendre, c'était un homme spécialisé dans la démolition et les explosifs. Il travaillait également dans la recherche et la revente d'informations. Même s'il était très loin d'avoir le niveau du fameux journal américain Daily Days, sa rapidité était incroyable pour quelqu'un comme Angelo.
[Ouais, pigé. T'inquiètes donc pas, boss. Ton humble serviteur va nettoyer tout c'bordel.]
"...Pas de bavardages inutiles."
Angelo crut entendre dans le talkie-walkie la fille dire quelque chose derrière le Demolisher, mais il décida de l'ignorer.
'Elle va peut-être finir par me haïr, mais je n'ai pas le choix. Quand j'aurais les infos, je la laisserai dans un endroit sûr... Oui. Le bar de Pietro devrait faire l'affaire. Après, le Demolisher et moi, on s'occupera de ces salopards.'
De retour au présent.
Le plan d'Angelo consistait à cerner les Mask Makers sur ce navire, avec l'aide du Demolisher, mais il avait négligé plusieurs détails cruciaux.
L'un d'eux étant que les Mask Makers n'étaient pas ici pour des vacances : ils avaient apporté des armes à bord du vaisseau.
Un autre était qu'une série de coïncidences malencontreuses avait déclenché une fusillade.
Un détail supplémentaire était les explosifs que le Demolisher avait installé dans tout le navire.
Et la touche finale--
"Je suis tellement soulagée... Je suis tellement heureuse que tu ailles bien, Angelo !"
"Comment..."
Les yeux d'Angelo s'écarquillèrent sous ses lunettes de soleil.
"Comment est-ce que vous êtes arrivée là, Boss ?!"
"H-hé.. vous voulez dire que cette petite est la personne dont vous m'avez parlé...?" demanda Firo, abasourdi.
"Hm. En effet," acquiesça Angelo. "Dans notre organisation... Bien sûr, nous ne sommes plus que trois membres désormais..."
Angelo soupira, baissa la tête, et observa la jeune fille silencieuse. Il se mit ensuite à rire d'un ton amer, qui ne lui correspondait guère.
"Enfin, je vous présente le Boss de notre organisation : Carnea Kaufman."
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Le navire de croisière Entrance.
Pendant que l'Exit plongeait dans le chaos, son vaisseau sœur Entrance était, telle son reflet, submergée par la confusion.
Firo avait décidé de localiser une bande de mercenaires connus comme les "Mask Makers", avec l'aide d'un gangster d'Amérique du Sud. Il s'était préparé à causer une certaine agitation, mais il n'avait jamais imaginé se retrouver pris dans une fusillade au milieu de tous les passagers ordinaires. Et après avoir réalisé que le Boss de ce gangster était monté à bord, d'une façon ou d'une autre, et se trouvait dans le requin animatronique, le jeune homme en lune de miel fut pris d'un instant d'incertitude.
A bien y réfléchir, il se doutait depuis le début que les choses risquaient de mal tourner. Même si son instinct avait été quelque peu étouffé par la perspective enthousiasmante de sa lune de miel, il s'était senti mal à l'aise depuis qu'il était à bord.
Il avait probablement remarqué cette sensation lors de sa première rencontre avec Angelo. Firo l'avait réalisé inconsciemment en voyant ce gangster, qui était clairement un criminel.
'Ah. Ce navire est dangereux.
Si un homme vivant de l'autre côté de la loi se trouve là, c'est que quelque chose ne va pas ici.'
Mais il avait désespérément essayé d'ignorer son inquiétude. Après tout, il ne voulait pas ruiner ce voyage ; sa lune de miel, et leurs premières vacances en famille. Bien entendu, ce maigre espoir avait aussitôt volé en éclats.
"...Incroyable. Qu'est-ce que c'est que ça ?"
C'était durant la première nuit de la croisière, dans la cabine d'Angelo.
Firo, qui s'était retrouvé sous la menace d'un pistolet, tenta de s'emparer de l'arme sans hésiter. Il avait envisagé de discuter pour résoudre la situation pacifiquement, mais conclu qu'il serait plus rapide de stopper son adversaire par la force. Il était sûr de lui. Il avait juste à abaisser le canon avant que l'autre puisse presser la détente, et empêcher le coup de partir. Il avait élaboré ce plan en se basant sur l'aperçu des compétences d'Angelo auquel il avait pu assister au casino. Firo était sûr de sa victoire.
Mais il échoua.
'...Alors il était plus doué qu'il n'en avait l'air au casino, hein.'
Voilà comment l'affaire se termina.
Un coup de feu étouffé par le silencieux éclata dans la pièce, et Firo se retrouva avec une balle dans chaque épaule et chaque jambe. Il fut projeté en arrière par l'impact, et ses lunettes tombèrent au sol, avant que lui-même ne s'effondre dessus, avec sa chaise.
Crack. Il entendit les verres se briser.
"Je crois bien vous avoir dit de ne pas bouger," dit Angelo, secouant la tête d'un air navré, "...Non. Mes excuses. Je ne l'avais pas dit. Mais vous auriez peut-être dû faire un effort pour percevoir l'étendue de votre situation."
Angelo s'apprêtait à commencer son interrogatoire, quand il remarqua quelque chose d'étrange.
Le sang qui s'échappait du corps de Firo était en train de rebrousser chemin. Il tremblait comme une créature vivante, comme une nuée d'insectes écarlates se précipitant vers le nid.
"Un tour de magie... ou pas."
Alors qu'il aurait été normal de paniquer face à une telle vue, Angelo se contenta de froncer les sourcils, comme s'il assistait à un spectacle à peine inhabituel.
"Qu'est-ce que vous êtes vraiment...?"
"Gah... Bon sang... Deuxième fois que ça m'arrive cette année... Agh... Et maintenant vous allez... aah... peut-être... bien vouloir m'écouter ?"
Angelo resta silencieux en voyant Firo sourire avec assurance malgré la douleur.
"Je comptais vous écouter depuis le début... Je n'ai tiré que parce que vous avez soudainement tenté de m'arracher mon arme."
"...Dit de cette façon, on dirait presque que c'est moi le fautif. Je voulais juste vous faire savoir que je ne suis pas un de ces 'Mask Makers' et associés."
"Je ne peux pas dire que ce soit vraiment une preuve , mais... je vais vous écouter pour l'instant."
Angelo abaissa son arme, tout en restant sur ses gardes.
'Bon sang, ça fait un mal de chien. Quel abruti je fais, je commence vraiment à perdre l'habitude..."
Tandis que ses blessures finissaient de se refermer, Firo se posa dans le canapé et sourit d'un air pénible.
"Avant de commencer, j'ai une faveur à vous demander."
"De quoi s'agit-il ?"
"En fait, je suis en lune de miel avec ma femme et... un jeune garçon qui est comme un frère pour nous. Ça vous embêterait de leur dire que... ah... que je me suis fait tirer dessus alors que je me battais vaillamment dans une terrible bagarre ?"
"..."
Angelo ne décela aucune trace d'anxiété dans la voix de Firo. Il attendit.
"Ah, ça va être dur de leur cacher que je me suis fait tirer dessus. Mes vêtements ne se régénèrent pas, eux, vous savez."
Angelo réalisa que les yeux de Firo étaient parfaitement sérieux ; il soupira et répondit d'un ton agacé.
"...Je comprends. Je ne sais pas si vous êtes un humain ou un vampire, mais je vais vous faire confiance pour l'instant."
"Merci."
Angelo fut surpris par l'expression rayonnante de Firo, et s'adressa à la forme de vie mystérieuse devant lui.
"Afin de me faire pardonner de vous avoir tiré dessus, je dirai à votre famille que vous êtes un combattant courageux et redoutable."
<==>
A l'instant présent.
Ils se réfugiaient dans un café et faisaient le point sur leur situation, en surveillant attentivement la galerie à l'extérieur.
A l'intérieur du café se trouvaient Firo, Ennis, Angelo et la petite fille qui était son Boss. Parmi eux se tenait également un garçon portant le costume de rouages de Charon, mais il était ignoré pour l'instant, considéré comme inoffensif vu la situation présente.
"Quand vous m'avez dit que vous travailliez pour un chef jeune et inexpérimenté, je ne pensais pas que vous parliez de quelqu'un d'aussi jeune," commenta Firo, l'air incrédule.
Angelo lui répondit d'un air imperturbable, "Non. Je n'estimais pas nécessaire de vous dévoiler autant d'informations. Mais franchement, Boss -- comment êtes-vous arrivée ici...?"
Firo réalisa en voyant Angelo pris de sueurs froides, que celui-ci était infiniment plus choqué que lorsqu'il avait assisté à la guérison instantanée de Firo. Mais il décida de garder le silence et d'observer cette réunion dramatique. La fille nommée Carnea semblait être bouleversée de soulagement. Elle répondit aux questions anxieuses d'Angelo avec les larmes aux yeux.
"Mais... J'avais... j'avais peur que toi ou d'autres soient encore plus blessés à cause de moi..."
Ce n'était pas le genre de mots qu'on s'attendait à entendre sortir de la bouche du chef d'un cartel de drogue, mais Carnea avait hérité de la position contre sa volonté. Ça ne faisait que quelques dizaines de jours de cela, et elle ignorait probablement toute l'étendue des affaires de son père.
Firo sympathisait avec sa situation et jugea que Carnea devait avoir agi ainsi parce qu'elle s'inquiétait pour Angelo. Peut-être qu'ils se connaissaient depuis longtemps, et qu'Angelo était comme un frère ou un père pour elle.
"C'est de la folie... Et pourquoi sur ce navire...?!"
"J'ai embarqué clandestinement."
"De tous les...! Comment avez-vous découvert pour ce navire ? Et d'ailleurs, comment avez-vous pu pénétrer aux États-Unis...?"
"Ah... M. le Demolisher s'est occupé de tous les détails... Il a dit que si j'étais là, tu ne déclencherais pas de fusillade à bord, Angelo..."
Carnea répondit, l'air coupable. Au moment où elle prononça le nom "Demolisher", une veine furieuse apparut sur la tempe d'Angelo.
"Ce. Foutu. Salopard."
La furie silencieuse d'Angelo était telle que non seulement Carnea, mais même Firo et Ennis furent alarmés. Le garçon dans le costume de l'Engrenage trembla avec un cri léger et fit un pas en arrière. Le cri capta l'attention de Firo qui se retourna vers le garçon, tout en restant attentif à d'éventuels tirs de l'extérieur.
"En fait, je me demandais...
Qui es-tu ?"
<==>
Dans les couloirs du navire.
"Non... nooon... noooooooooooooonnn..."
Une silhouette accroupie se tenait dans un coin désert du hall, en se tenant la tête à deux mains. Elle portait une robe de goth loli, noire et jaune. Des larmes coulaient sur les poches qui ornaient ses yeux maladifs. La fille respirait profondément, en hurlant de terreur.
"AAAAAAAAAAHHHHHH! Ah…! AAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHH!"
Mais ses cris auraient aussi bien pu tomber dans l'oreille d'un sourd.
Actuellement, l'Entrance tout entier résonnait de hurlements.
Des coups de feu éclataient.
Les canots de secours avaient été détruits.
Les bandits avaient détourné le navire en exhibant leur pouvoir incroyable.
Certains des passagers affolés hurlaient encore plus fort que la fille en pleurs. Le sens de leurs larmes était différent, mais aucun des passagers n'avait un instant d'attention à accorder aux cris de cette fille étrange.
Et--
La première personne à s'adresser à elle tandis qu'elle baignait dans ses pleurs interminables--
"Qu'est-ce que tu fais, Illness ?"
"Aaaaah... aah... aaah. sniff... Ah... L-Life..."
La fille appelée Illness ravala désespérément ses larmes en regardant l'homme qui venait de surgir devant elle. Ce n'était pas un des passagers, mais Illness le connaissait bien. C'était un des responsables de l'incident actuel, l'homme qui avait amené à bord toute une quantité d'armes au milieu de la croisière.
L'homme en tenue de combat soupira.
"Cesse de pleurer. Ce n'est pas le moment. Prends une arme et va les couvrir, je te prie."
Cet homme, qui parlait d'un ton tranquille, était Life ; l'un des Supplices des Mask Makers. Sa combinaison déchirée montrait qu'il avait participé à plusieurs combats jusqu'ici.
"Aaaah... Ah... Life... Je, je..."
Illness tremblait en fixant le téléphone portable qu'elle avait jeté par terre un peu plus tôt. L'appel semblait s'être terminé. L'écran, toujours intact par miracle, montrait la photographie qu'Illness avait mise en fond d'écran pas plus tard que la veille.
C'était une photo qu'elle avait prise avec la jeune actrice aux cheveux roux devant le requin animatronique.
"Ah... Ah. Oui... Je... Je dois aller... aider Claudia..."
Illness trébucha en ramassant le téléphone par terre.
"Je ne sais pas qui est cette 'Claudia', mais je te rappelle que notre mission passe avant tout," soupira Life en lui rappelant ses obligations.
"...Non... Je, je ne veux pas. Mais. Ils ont dit... que je n'avais rien à faire tant que la police n'était pas là. Alors, je..."
"Illness."
"..."
Life s'exprimait calmement, mais ses paroles renfermaient une pesanteur qui la stoppa net. Illness agrippa son téléphone portable sans un mot, en respirant profondément.
Une fois de plus, les mots de Life lui transpercèrent le cœur.
"...Si tu ne souhaites plus coopérer, très bien. Ça veut simplement dire que tu ne feras plus partie de nos membres. J'espère que tu mèneras une vie heureuse, toute seule."
"..."
"Ou tu comptes peut-être retourner dans ce groupe religieux dont tu faisais partie ? Ah, excuse-moi, j'avais oublié ; ils sont tous morts. Mais c'est vrai, c'est notre compagnie qui les a tous exterminés, y compris tes parents."
Life parlait d'un ton tranquille, mais ses mots frappaient Illness avec une puissance redoutable. Ils forcèrent Illness à reprendre ses esprits, et dans le même temps, ils ravivaient dans sa tête le souvenir de la voix sortant du téléphone, la plongeant dans une terreur effroyable.
'Pas possible.
Ce n'est pas possible. Non. Nonnonnonnonnon. Non.
C'est impossible qu'il s'agisse de cette prière.'
Illness reprit calmement sa respiration et décida de prétendre que l'appel avait été une simple hallucination.
Le groupe religieux auquel Illness avait autrefois appartenu.
Les parents et amis qui avaient fait de sa vie passée un enfer sur terre.
Et -- les humains 'anormaux' qui auraient dû tous être exterminés par les Mask Makers.
Leur prière, qu'elle venait d'entendre à travers son téléphone portable, ne pouvait être qu'une hallucination.
Voilà ce qu'elle voulait croire tandis qu'elle agrippait son téléphone, mais l'écran affichait clairement un appel reçu d'un numéro inconnu. La preuve que cet appel existait en dehors de son imagination ne fit que renforcer sa panique.
'Qu'est-ce que je peux faire ?
Non. Je. Je ne veux pas retourner là-bas.
L'histoire est terminée.
Elle ne peut pas recommencer.'
Illness tremblait, aussi bien physiquement que mentalement.
'Non. Je ne veux pas être abandonnée.
S'ils me flanquent dehors, je ne pourrais pas survivre.
Non. Ça va aller. Ça va aller, pour l'instant. Je ne veux pas mourir, mais je vais bien pour l'instant. Mais... Mais...'
"...veux pas."
"...? Mais encore ?"
Réalisant qu'elle marmonnait quelque chose, Life interrompit son sermon pour écouter ce qu'elle avait à dire.
"Je... je ne veux pas y retourner. Je ne veux pas retourner là-bas !"
"..."
"Alors... Alors, je vous en prie. Je vous implore. Ne me laissez pas. Ne m'abandonnez pas, s'il vous plaît. Je ferais partie des Mask Makers pour toujours ! Je resterai toujours Illness !"
La fille s'exclamait avec les larmes aux yeux, laissant son traumatisme s'exprimer. Bien que Life n'ait pas l'autorité requise pour décider de telles choses, vu l'état dans lequel elle se trouvait, Illness aurait déclaré la même chose à n'importe qui, que ce soit le président de l'organisation ou un quelconque larbin.
Life soupira profondément, observant Illness et son air implorant, avant de lui répondre en conservant un calme imperturbable.
"Déjà, va t'équiper dans ta cabine et rejoins vite la passerelle. Tu recevras tes ordres là-bas. Pour ma part, je vais chercher ces explosifs."
"...Des explosifs ?" demanda Illness, l'air curieuse. Life soupira encore plus fort--
"On dirait que quelqu'un ne faisant pas partie de notre organisation a installé une quantité massive d'explosifs sur ce navire."
Il croisa les mains sur ses épaules, couvertes par sa tenue en piteux état, et murmura d'un ton épuisé--
"J'ai failli me faire avoir par cette explosion tout à l'heure."
<==>
Sur la passerelle de l'Entrance.
"Qu'est-ce qui se passe...? Bon sang."
Les Mask Makers qui avaient pris le contrôle de la passerelle s'observaient mutuellement, l'air inquiet. Bien entendu, étant donné qu'ils portaient tous des masques, il était impossible de voir la réaction de chacun.
D'une certaine façon, les comptes-rendus d'Aging sur la situation à bord de l'Exit étaient encore plus choquants que les événements inattendus se produisant de leur côté.
"Qu'est-ce que tu veux dire, 'Exterminés'...? Zombies et Jasons...? Qu'est-ce qui se passe, bon dieu...?!"
La peur commença à saisir les membres d'équipage pris en otages qui voyaient le Mask Maker se mettre à grincer des dents.
Même s'ils avaient bel et bien quelques soucis de leur côté, ils ne faisaient face qu'à un gangster isolé. Et même si l'explosion d'un peu plus tôt les avait surpris, ils s'étaient dit que Life devait avoir fait sauter une grenade par accident ou une autre méprise de la sorte. Le Mask Maker faisait de son mieux pour ignorer ses inquiétudes, quand il réalisa soudainement que quelqu'un essayait de le contacter via la radio accrochée à sa ceinture.
"Oui, c'est moi."
[Qui c'est ça, 'moi' ? Normalement on s'présente avant d'causer à un type qu'on rencontre pour la première fois.]
"...? Quoi ? Qui êtes-vous, espèce de connard ?"
[Hm... Quelle question d'merde. Est-ce que j'devrais cracher le morceau ? En fait, j'viens d'emprunter cette radio à un d'vos p'tits copains inconscients.]
En tout cas, cet homme ne semblait pas être un de leurs alliés. Un rire vulgaire retentit dans la radio. L'anxiété allait croissant parmi les Mask Makers.
[Ah ben, vous pouvez m'appeler le Demolisher. Qui j'suis...? Hé, vous avez aimé le p'tit cadeau qu'je vous avais envoyé au resto, y'a un mois d'ça ?]
"...Un 'cadeau' ?"
[V'voyez, transformer c'te camion en joujou explosif télécommandé, c'était vraiment infernal, vous savez ? Gyahahahaha !]
Ces paroles firent remonter un certain souvenir. La mission qu'ils avaient échouée juste avant d'embarquer pour celle-ci. C'était un massacre qui avait eu lieu alors qu'ils tentaient d'éliminer le chef d'un cartel de drogue sud-américain. Un incident détestable durant lequel Death et plusieurs autres camarades avaient été éliminés par un gangster inconnu. Le camion bourré d'explosifs qui avait fait exploser le restaurant juste après avait fait de nombreuses victimes supplémentaires parmi eux.
"Espèce de petit salopard... vous travaillez avec ce gangster, pas vrai ?"
[C'est triste à dire, mais il n'a pas l'air d'accord. Je m'sentais seul, j'me suis dit que pouvais aussi bien r'joindre votre bande de connards ! Alors j'vous ai apporté un p'tit queq'chose !]
"C'est-à-dire...?"
[Ah, v'savez ! Vot' mignon p'tit feu d'artifice avec les canots d'sauvetage à l'instant ! En fait, ça m'a carrément ému ! Et que s'rait un Demolisher sans une p'tite tendance à avoir la gâchette facile ?]
Les Mask Makers se demandaient où voulait en venir le Demolisher, mais ils restaient silencieux et l'écoutaient attentivement.
[Alors je m'disais ! Pourquoi pas juste faire sauter tout l'putain d'bateau ?]
"...Quoi ?" répondit le Mask Maker, abasourdi ; il avait l'impression de s'adresser à un parfait abruti.
"Qu'est-ce que tu dégoises, pauvre crétin ? C'est nous qui contrôlons ce navire--"
Mais l'homme n'eut pas le temps de finir sa phrase.
Le pont avant était visible depuis la passerelle ; ce pont, actuellement désert, se mit soudain à émettre un flash lumineux intense en explosant.
"Non...!"
Le rugissement de l'explosion retentit violemment, se propageant sur la mer. Les vitres de la passerelle tremblèrent dans leurs cadres, démontrant la force redoutable de l'explosion.
"Sale petite ordure... Qu'est-ce que vous foutez ?!"
Même si le choc était loin d'avoir suffi à stopper le navire, les dégâts causés sur tout le pont prouvaient clairement sa puissance. Les Mask Makes retinrent leur respiration, tandis que les membres d'équipage fixaient le pont recouvert de fumée du regard, pris de confusion.
"Hé... Vous. Ne me dites pas que dans tout le vaisseau--"
[Bingo.]
Le Demolisher répondit à la question enragée du Mask Maker.
[J'crois bien que j'en ai mis une p'tite centaine à bord. J'les ai balancé un peu partout, comme ça, et un peu d'tous les modèles aussi. Doit y en avoir une ou deux qui pourraient bien couler tout l'bateau, si l'envie m'prenait.]
"Espèce de fils de pute, vous êtes complètement taré...!"
[Hé, c'est vous qui allez tout faire péter à partir d'maintenant.]
"Quoi ?" dit le Mask Maker, interloqué.
Le Demolisher répondit d'une voix extatique.
[J'aurais pas pu l'faire sans vous et vot' super feu d'artifice ! Pas'que maintenant, tout ce qui s'passe sur c'bateau est d'votre faute ! Ah, mais oui ! Z'avez trafiqué avec la ventilation, hein ? Merde, j'suis tombé sur un d'vos machins pendant que j'installais mon matos ! Bon, j'passe l'éponge pour cette fois.]
"...Quel salopard..."
[J'sais pas à quoi vous jouez, mais j'respecte, j'suis vraiment fan, v'savez ? On pourrait faire des super poteaux ! Alors, qu'est-ce que vous en dites ? Ça vous rend ptê't pas jouasse, mais on a chacun not'vie entre les mains. Mais bon, c'est vous qui allez finir avec le joker ! Gyahahaha !]
L'un des Mask Makers écoutant cet homme se disait--
'Ce type est sérieux. Il n'est pas comme l'autre gangster. Cette enflure... il trouve ça amusant.'
Ce 'Demolisher' auto-proclamé pouvait tout faire sauter d'un coup s'il en avait besoin. Il risquait même de déclencher l'explosion sans raison particulière. Il n'était pas comme l'autre gangster, qui travaillait pour l'argent ; cet homme provoquait la destruction pour son simple amusement. On aurait dit qu'il se moquait de couler le navire, malgré qu'il se trouve lui-même à bord.
'Je pensais que c'était nous les tarés dans ce vaisseau...'
Tandis que le Mask Maker était accaparé par ses pensées négatives, le cinglé aux explosifs se mit à rire dans la radio.
[D't'façon, c'est pas moi qui vais vous interroger. Amusez-vous bien 'vec mon pote !]
"..."
Les choses ne pouvaient pas plus mal tourner.
Même si on ignorait le gangster, dont ils connaissaient au moins le visage, ils n'avaient aucune idée de l'apparence de cet homme qui disait être le Demolisher ; ils venaient seulement d'apprendre son existence. Les Mask Makers réalisèrent que les menaces qu'ils avaient employées contre le capitaine avaient été retournées contre eux ; ils se mirent à serrer les dents, l'air féroce.
Le Demolisher semblait avoir perçu l'ambiance dans la pièce ; sa voix, encore plus réjouie, résonna dans la radio.
[V'savez ce qu'on dit sur ceux qu'ont besoin d'amis pour partir en voyage, hein ? Si vous t'nez pas à m'accompagner sur ce chemin, vous feriez bien d'rester calmes. Perdez pas les pédales !
Allez, j'vous souhaite une bonne croisière ! Un putain de bon voyage !]
<==>
Á bord de l'Exit.
Le groupe appelé SAMPLE était moins un culte religieux qu'une sorte de virus contagieux.
De nombreuses théories couraient sur les origines de ce groupe, et l'une d'entre elles affirmait qu'il avait existé dans plusieurs parties de l'Europe, à l'époque des chasses aux sorcières. Bien entendu, le nom 'SAMPLE' n'avait été choisi que récemment. Ils avaient porté d'autres noms par le passé, aujourd'hui effacés des mémoires.
Leur groupe était issu de la séparation avec une autre branche, elle-même séparée en diverses sous-branches par la suite. Aujourd'hui, plein d'autres groupes similaires existaient peut-être, aux noms différents mais partageant une origine commune. Ils ne possédaient aucun réseau de communications pour partager leur foi à grande échelle ; ils étaient comparables à ces virus provenant d'une même source, mais ayant muté différemment.
Ensemble, ils représentaient un culte dangereux, sans pour autant former une organisation unie et solidaire : ils étaient plus comme des grains de sable éparpillés de par le monde. On ignorait s'il y avait une connexion entre les diverses branches, et leurs pratiques et doctrines différaient selon l'endroit où elles s'étaient formées.
Sauf certaines doctrines communes, partagées par toutes les branches.
Dieu n'existe pas.
Telle était la base de leur foi.
Il n'existait pas de dieu, pas de puissance supérieure, aucune espèce de destin. Seule la coïncidence présidait à leurs destinées. Il n'y avait rien qui les attende après la mort. Les saints comme les démons mourraient pour disparaître dans l'oubli, tous sans exception.
Ce genre de croyances étaient partagées par de nombreuses personnes et groupes ordinaires, et parfaitement sains d'esprit ; mais on ne pouvait pas en dire autant de la doctrine suivante, la source de leur réputation de secte malfaisante.
Dieu n'existe pas. Voilà pourquoi l'on doit faire, fabriquer, créer son propre dieu.
Ils souhaitaient plus que tout atteindre la sérénité absolue, une base sur laquelle ils pourraient bâtir leurs croyances. Même ceux qui ne se reconnaissent d'aucune croyance se forgent leur propre moralité et trouvent des valeurs directrices à leur vie à travers des communautés comme la famille, le foyer ou la nation. La différence majeure était que ce groupe essayait activement de bâtir ces fondations par lui-même.
La souffrance est la base sur laquelle les gens peuvent établir leur humanité.
Aucun texte sacré ne relevait comment ils avaient abouti à cette conclusion. Mais cela expliquait pourquoi ils leur fallait un simulacre de dieu : quelque chose qui puisse endurer toute leur souffrance à leur place.
Ce culte faisait des recherches depuis longtemps sur diverses drogues qui éliminaient la souffrance intérieure et les rendaient heureux. Pendant des siècles, ils avaient tenté toutes sortes de méthodes, végétales, animales, minérales, gazeuses, voire même physiques.
Et afin de conserver leur humanité après avoir réussi à se débarrasser de la souffrance, ils préparèrent un dieu. Pour se débarrasser de la souffrance qu'ils ressentaient, il fallait bien l'envoyer quelque part. Quand bien même ils auraient réussi à annihiler la souffrance physique, ils ne pouvaient rien contre les différences individuelles ; des différences qui tournent au conflit et finissent par diffuser anxiété et chagrin dans le groupe entier.
Voilà pourquoi ces gens qui reniaient Dieu avaient besoin d'un dieu.
Leur livre saint, chaque jour un peu plus épais, disait ceci :
Afin de se préserver du chagrin, l'on doit se créer un dieu intérieur en soi-même que l'on doit prier et remercier.
En d'autres termes, il s'agissait de leur propre bonheur. Ils voulaient atteindre l'exaltation grâce à rien de moins qu'un sacrifice humain.
Un substitut torturé qui endurera malheur et souffrance absolues.
Voilà le sacrifice qu'ils désiraient--
Qui était en même temps le dieu auquel ils adressaient leurs prières.
Ceux qui servaient de 'dieu de souffrance' devaient être submergés de douleur dès leur naissance. Ils devaient vivre dans une souffrance permanente. Les opinions différaient, si un enfant mourant de faim dans un pays sous-développé sans même connaître une seule trace d'espoir souffrait plus ou moins que leur dieu.
Bien qu'ils préservent leur vie, cela n'apportait aucun espoir de salut à leur dieu de souffrance. Tout était permis tant qu'ils survivaient. Et pour ruiner tout espoir secret qu'ils auraient pu entretenir, ils étaient destinés à être tués l'année de leurs dix ans.
Dix ans de souffrance pure.
Les enfants recevaient des prières ; pas des vociférations haineuses, des prières de remerciement et d'exaltation. On leur dissimulait soigneusement le concept de suicide, et même s'ils le découvraient, ils n'étaient que des outils au service du plus grand bien ; ils n'était pas question de les laisser disposer de leurs vies.
Leurs blessures étaient généralement concentrées sur leur torse et leurs organes internes, afin de laisser leurs bras et jambes plus ou moins intacts. Il fallait que les blessures soient les moins voyantes possibles afin qu'on puisse montrer aux fidèles que celui qui souffrait n'était pas différent d'eux ; c'était quelqu'un que vous auriez très bien pu croiser au coin de la rue.
Des enfants qui n'avaient rien de particulier subissaient une souffrance inouïe. C'était comme envoyer un escargot faire la course contre un lion ou un tigre. Ils exposaient une personne infiniment misérable, pour conforter tous ces gens ordinaires. Dans un sens, c'était similaire au système de castes employé par certains gouvernements et religions, mais les actions de ce groupe n'étaient motivées par aucune stance politique ou 'volonté divine'. Parce que c'était leur dieu qui était victime de la plus intense des souffrances imaginables.
"Et ainsi, c'est un bonheur pour nous que de chercher à satisfaire nos désirs humains."
Ça se passait juste un peu plus tôt ; juste avant que le Rookie se fasse pourchasser.
La passerelle était devenue un enfer sur terre. Les murs d'un blanc éclatant avaient été repeints en rouge et noir par tout le sang oxydé, et dans cette mare sanglante reposaient les corps des hommes masqués et des membres d'équipage.
Et au cœur de cet enchevêtrement de sang et de cadavres--
Un homme continuait tranquillement à se présenter, lui et ses compagnons. Il portait une blouse de laboratoire rouge et noire, qui le camouflait presque dans le chaos ambiant. Cet homme - Bride - se mit à sourire d'un sourire angélique et continua à donner des explications à l'homme se tenant devant lui.
"Pourquoi le monde est-il accablé de conflits ? Pourquoi tout le monde, peu importe l'âge ou le sexe, profite-t-il des faibles pour les exploiter ? Pourquoi tant de discrimination ? Pourquoi toutes ces choses existent-elles, malgré les leçons de morale prêchées dans les écoles et les églises qui les interdisent explicitement ?"
"..."
L'homme à qui Bride s'adressait portait un masque. C'était le dernier des Mask Makers qui respirait encore dans la salle. Le sang gouttait le long de ses bras brisés.
"La raison est simple. C'est parce que les humains prennent grand plaisir à mépriser leurs semblables. Les gens tentent de le nier, mais si c'était aussi trivial, ça ne continuerait pas à se produire alors même que tout le monde s'en défend."
"..."
"Nous ne renions pas cet instinct naturel. C'est notre mission et le moyen d'atteindre l'apaisement que de succomber à nos désirs."
"Alors vous ne faites rien, mais vous voulez quand même vous sentir tranquilles et sûrs ? Ça me paraît parfait pour la porcherie que vous appelez une église," cracha le dernier Mask Maker d'un ton sarcastique, luttant désespérément pour ignorer la douleur dans ses bras.
Mais Bride répliqua à l'insulte en riant.
"Tant que les cochons dans la porcherie sont heureux, de grasses créatures qu'on ne viendra jamais dépecer, ça nous va. Je souhaite vraiment que le jour où quelqu'un désire les manger n'arrive jamais."
"...Avec un taré pareil à sa tête, l'humanité courrait à sa perte."
"N'est-ce pas. Les gens qui ne recherchent que leur plaisir personnel, rejetant le dur labeur et la souffrance, finiraient par oublier comment survivre, et s'éteindraient."
On aurait dit que Bride rejetait sa propre foi avec un sourire, mais il fit un brusque pas en avant et ôta ses lunettes.
"L'humanité disparaîtrait... et où est le problème ?"
"..."
"Vous rappelez-vous ? Nous ne croyons pas aux dieux, au Nirvana, au paradis ou à l'enfer. Nous ne possédons aucune de ces morales basées sur la famille ou la nation. Souvenez-vous, ce sont nos principes fondamentaux, ceux qui gouvernent notre fonctionnement."
Clop
Bride fit un autre pas en avant et se tint juste à côté du Mask Maker.
"S'ils désirent toujours laisser des descendants derrière eux, nous ne leur refuserons pas ce plaisir. Mais s'ils ne le souhaitent pas, il n'y aucun sens à leur imposer la survie de l'espèce humaine. Bien sûr, nombreux sont ceux qui souhaitent laisser une trace de leur existence avant de disparaître ; en toute honnêteté, je ne saurais affirmer ce qui se passera avec certitude."
Clop
Se tenant dans le dos de l'homme masqué, Bride murmura comme s'il parlait tout seul.
"Nous tenons à ce que chacun ait droit à sa quête du bonheur. Les seules exceptions sont notre dieu de souffrance."
Clop
Clop
Splack
Après s'être arrêté dans une flaque de sang, Bride observa les alentours.
Le silence.
Le ciel était sombre de l'autre côté de la vitre. La salle était pleine de sang, illuminé par la lumière fluorescente. Profitant du silence assourdissant qui lui perçait les tympans, Bride observa les fidèles silencieux qui se tenaient dans la pièce. Ils tenaient dans leurs mains les armes à feu qui avaient encore récemment appartenu aux Mask Makers décédés--et elles étaient toutes pointées vers le seul survivant.
Bien qu'ils restent complètement silencieux, ils affichaient tous un sourire d'une joie intense.
"Quelle bande de monstres..."
"Eh bien, nous vous serions reconnaissants si vous pouviez nous dire qui est votre chef, et pourquoi vous êtes là."
"...Vous croyez que je vais cracher le morceau aussi facilement ?"
Le Mask Maker avait envisagé la possibilité de prendre l'homme devant lui en otage, mais il n'arrivait pas à trouver de faille ou d'ouverture dans les déplacements de Bride ; alors même qu'il ne faisait que parler.
Un être vraiment mystérieux. Bride se contentait de parler en marchant posément, et pourtant le Mask Maker avait l'impression de se trouver sous une épée de Damoclès. Cependant, malgré sa peur, il commença à préparer dans sa tête des faux renseignements à livrer lorsqu'il serait interrogé ou torturé--
"Mais oui ! En ce moment, on travaille sur de nouvelles méthodes pour infliger de la souffrance ; celles qui ne laissent pas de marques, même pas sur le torse !"
"...?"
"Vous voyez, les décharges électriques et compagnie, ce n'est qu'un début. Ils disent qu'un coup de taser juste au dessus des reins fait se cabrer de souffrance le corps tout entier."
Bride murmura tranquillement, soupira, et revint se positionner juste devant le Mask Maker, abaissant son visage au niveau du sien.
"Normalement, ça serait plus efficace de vous donner une petite dose de cris avec un casque, mais on manque un peu de temps pour ça, alors je vais devoir vous délivrer une souffrance un peu plus directe."
"Vous ne me faites pas peur, sale fils de pute."
Bride ignora complètement l'insulte et saisit la mallette que lui tendait un des fidèles. Il en sortit une seringue.
"Réjouissez-vous, je vous en prie. Ce n'est peut-être que pour un modeste instant, mais vous allez devenir l'objet de notre foi. Et s'il vous plaît, essayez de nous accorder un hurlement convenable. Nous ne sommes pas des sadiques, mais... ah, disons-le comme ça. Nous sourions tous parce que nous pensons, 'Ah, je suis si heureux de ne pas être à sa place'."
"Bande de malades..."
Pendant que le Mask Maker marmonnait--
Bride plongea la seringue qu'il tenait dans le cou de l'homme.
"Gah."
Il y eut un léger cri de douleur. Bride avait complètement ignoré l'emplacement des vaisseaux sanguins, et le liquide de la seringue avait été injecté dans le tissu hypodermique. L'espace d'un instant, le dernier des Mask Makers ressentit avec certitude que son cou venait d'exploser.
"GAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHH !"
Il hurla comme électrocuté de la tête aux pieds, en se tordant et en se convulsant au sol au point de se rompre la colonne vertébrale, évoquant une crevette prise dans un filet.
En vérité, rien ne lui était arrivé. Il y avait tout juste une marque de piqûre sur son cou ; pas d'explosion, pas de sang qui coule.
Douleur.
Douleur.
Douleur.
C'était un état impossible, et pourtant, cette souffrance d'une intensité insoutenable mais éphémère persistait. La sensation qu'on lui ouvrait le cou au cutter, la secousse qui secouait tout son corps, la douleur déchirante et les hurlements de ses cellules au supplice commencèrent à anéantir son esprit.
Agonie.
Agonie.
Agonie.
Des palpitations se mirent à saisir son crâne dans une étreinte étouffante.
Crrrrrraakk
j'étouffe
Tcchhhrrrrrrr
ma peau lacérée
ça brûle
ma tête
ça pique
Frrrsshhhhhh
ça fait mal
j'ai tellement mal
Les formes de souffrance se succédaient sans répit, avant de se faire plus discrètes jusqu'à disparaître. Ayant épuisé les moyens usuels pour exprimer une agonie aussi intense, le cerveau de l'homme dut recourir à des hallucinations.
D'innombrables insectes se mirent à sortir des pores de sa peau et à excréter du magma pur, carbonisant sa peau en charbon.
"-----!! ------------!!!!"
L'homme, prisonnier de l'illusion de sa propre chair en train de fondre et de pourrir, se débattait sur le sol couvert de sang avec des cris muets ; et Bride, en l'observant, ne pouvait cacher sa jouissance.
"Ah, je suis vraiment ravi de ne pas être là à souffrir comme vous. Vous avez toute ma gratitude."
Son sourire était rempli de miséricorde, et son regard de reconnaissance sincère. Les autres fidèles, qui pointaient toujours leurs armes sur le Mask Maker, affichaient également des sourires paisibles tout en adressant des prières silencieuses dans leur cœur à l'homme qui se débattait au sol.
C'était un spectacle révoltant. Mais pour ces gens, il était parfaitement ordinaire. L'homme convulsant sur le sol s'accrochait désespérément à sa conscience et se mit à parler.
"AAAAAHHH ! GAAAAAAAHHHHHHHH ! Salopard...! Esp-aaaAAAAHHH!"
"Ah, ne vous inquiétez pas. Ce n'était pas du poison ni même de la drogue."
Bride répondit doucement, en fixant la seringue--pas complètement vide.
"Ce n'est que... de la solution saline."
"Aaaaaagggghhhhquoooooooooooi…"
"Elle est à 3% de sodium. C'est plus concentré que du sérum physiologique, mais ça reste une simple solution saline. Les tests médicaux sur la souffrance fixent la limite à 2% ; les humains sont vraiment intrigants, vous ne trouvez pas ? Leurs corps sont faits d'eau et de sel, pourtant il suffit d'injecter une solution à peine plus concentrée et le cerveau se tord de douleur."
Bride s'exprimait tranquillement, comme un professeur expliquant quelque chose à un étudiant.
"Puisque la leçon est finie, passons à la partie questions-réponses. Bien sûr, c'est moi qui vais poser toutes les questions."
"--! AAAAAHHHH !!"
Le Mask Maker ne pouvait pas cesser de crier, mais Bride commença calmement son interrogatoire.
"Tout ce que nous voulons savoir, c'est ceci... Quelle est votre mission, et qui est votre chef ?"
"Aha, je vois. Ce garçon, alors ? On dirait que vous ne mentez pas."
Bride plissa les yeux, en étudiant le dépliant informatif destiné aux passagers qui traînait sur une étagère. La photo sur la page représentait un jeune magicien aux cheveux d'un blond remarquable, presque platine.
"Qui aurait pensé que d'autres gens comptaient s'en prendre aux immortels..."
Bride ferma les yeux, laissant le Mask Maker se débattre dans la douleur.
"Est-ce que Viralesque a la moindre idée de ce qui se passe...? Même si la seule cible à bord de l'Entrance est Czeslaw Meyer... peut-être était-ce trop imprudent d'envoyer seulement Viralesque à bord."
Bride inspira profondément, fit un pas en avant et fixa l'homme au sol dont les yeux roulaient follement dans leurs orbites. Les nombreuses marques de piqûres sur son cou témoignaient de l'agonie incommensurable que son corps ressentait.
"Même si vous n'êtes pas un de nos croyants, je vous souhaite une mort aussi indolore que possible."
Bride leva lentement son pied--
Et piétina violemment le cou de l'homme, comme un marteau-pilon.
Crack.
Un son retentit, comme si quelque chose venait de se disloquer, et les mouvements désordonnés de l'homme cessèrent instantanément. Bride, possédé par la même force surhumaine que les autres fidèles, avait brisé la colonne vertébrale et les vaisseaux sanguins sans difficulté. Il traça ensuite un symbole sur sa poitrine, qui n'avait rien à voir avec un crucifix--et exprima toute sa gratitude à l'homme désormais soulagé de ses souffrances.
"Bien qu'il n'ait pas partagé notre foi, il est temporairement devenu notre dieu."
Bride commença à pontifier devant ses fidèles, écartant grand les bras, d'une voix tremblante d'émotion.
"Remercions notre seigneur. Craignons la souffrance qui nous a épargnée. Remercions le dieu qui l'a endossée pour nous !"
Ses larmes se mirent à couler. Bride se mit bel et bien à pleurer, tel un homme de foi qui venait d'assister à un miracle. Et les autres fidèles se mirent à pleurer aussi, de ces larmes contagieuses--
Mais ils souriaient tous à travers leurs sanglots.
Leurs visages exprimaient une joie intense. Ils continuaient à s'épandre en pleurs, affichant les sourires des membres éloignés d'une famille se retrouvant enfin pour la réunion annuelle. De leurs yeux s'écoulaient ces larmes ; une solution saline à 0,9%.
<==>
Grâce aux renseignements extraits de force au Mask Maker - pas par la torture, mais par l'annihilation de son esprit - le Rookie était devenu, en l'espace de quelques minutes, la cible numéro un dans l'espace limité que recouvrait l'Exit.
Il était désormais soutenu par son alliée de confiance, Aging, mais le fait demeurait qu'ils se trouvaient à un fort désavantage. Cela parce qu'ils n'avaient aucune idée du nombre de leurs ennemis, qui pouvaient même passer pour des passagers ordinaires s'ils enlevaient leurs habits rouge et noir.
"On dirait que le vaisseau remue plus qu'avant."
" 'Sais pas pourquoi, mais on a dû accélérer."
"Bon sang... Qu'est-ce qu'ils fabriquent...?"
Aging et le Rookie s'aventurèrent prudemment hors de la zone de stockage et se mirent à courir dans les couloirs. Ils avaient fouillé la zone à la recherche de quelque chose qui puisse leur être utile, mais ne dégotèrent rien d'autre que la mitraillette de leur poursuivant. Le Rookie avait demandé à Aging de la prendre, mais--
"Ah, ce truc devrait me suffire. Même toi tu sais te servir d'un flingue comme ça, hein patron ?" Aging refusa et s'empara d'un câble avec un crochet attaché au bout, qui servait à déplacer la cargaison. Les yeux du Rookie s'agrandirent comme des soucoupes quand il la vit ramasser la bobine de câble, qui devait bien faire plus de vingt kilos. Il lui demanda ce qu'elle comptait en faire, mais elle lui répondit seulement, "Ah, toutes sortes de choses. Tu ne savais pas ? Les messieurs comme les dames doivent toujours en avoir un sur eux."
Le Rookie lui posa une autre question tandis qu'ils descendaient un couloir à toute allure.
"...Ton équipement personnel est dans ta cabine, c'est ça ?"
"Ouais. Mais j'ai rien que tu puisses utiliser, par contre. Ah, quoique ! Ça pourrait être marrant de voir notre fragile petit patron se faire emporter par le poids d'un kukri."
"..."
Le Rookie avait envie de s'arracher les cheveux en entendant le ton plaisantin d'Aging, mais pour l'instant, il ne pouvait compter sur personne d'autre. Enfin, ils n'avaient qu'à récupérer les armes et à se planquer quelque part.
"Je sais bien que ça fait un moment que je pose la question, mais... à quoi jouent ces types...?"
"Qui sait ? J'en ai éclaté un paquet en venant te sauver, patron. Certains se sont relevés, même après que j'leur ai brisé le cou."
"..."
"Les derniers Mask Makers que j'ai entendu ont crié, 'Il n'y a pas que les zombies ! Ils ont des Jasons et des Freddies avec eux, aussi !' Ça veut dire qu'on a des immortels et des morts-vivants à bord ? Ça c'est mortel ! Hein, patron ?"
On aurait dit un cauchemar affligeant, mais Aging n'était pas stupide au point d'exagérer dans une situation pareille. Le Rookie devint encore plus déprimé, réalisant l'étendue de la situation, ce qui n'empêchait pas Aging d'éclater de rire.
"Bref, je me battais à mains nues, et je n'avais pas le temps d'affronter un tas de zombies de rien du tout, alors je me suis ramenée le plus vite possible."
"Pourquoi es-tu aussi peu vêtue ? Tu ne portes même pas de veste par dessus ton T-shirt. Il s'est passé quelque chose ?"
"Tu vois, je me suis dit que j'allais faire un tour au salon de beauté, juste pour essayer. Eh ben la fille dans la cabine d'à côté, c'était la poupée aux cheveux argentés : notre cible."
Aging répondit sans hésitation. Le président fronça les sourcils.
"...Un salon de beauté ?"
"Ouais. Et alors ? Est-ce que c'est ma peau si douce et brillante qui t'excite comme ça ?"
"...Ah, comme si."
Le président détourna le regard et continua à descendre le couloir en courant. Aging se mit à rire et le rattrapa.
"Gahaha ! Ne sois pas timide ! Après tout, les humains en danger finissent toujours par se faire emporter par leurs instincts."
"Tu présumes un peu trop de ton attrait."
"Ah ? Hé, n'oublie pas qui est-ce qui vient de te sauver la vie ici, patron !"
Le sourire enjoué d'Aging était dépourvu de colère ; elle prenait simplement un plaisir exagéré à faire tourner en bourrique le jeune garçon.
"Ah, regardez ce qu'on a là ! Nous devrions saluer nos invités, patron !"
Il y avait cinq ou six hommes qui montaient la garde dans le couloir menant à la cabine d'Aging. Ils semblaient avoir remarqué Aging et Luchino en même temps qu'eux les avaient repérés ; ils affirmèrent leur prise sur leurs armes, se préparant à tirer.
"A--AAAAHHHHHHHHHHHH !"
Le Rookie se mit instinctivement à crier et fit feu avec sa mitraillette. Bien que sa voix soit remplie de peur, son corps agit en pilote automatique. Il avança son pied gauche, appuya la mitraillette contre son épaule droite, et se pencha à moitié ; il n'était pas suffisamment calme pour viser correctement ses ennemis. Il pressa l'arme contre son visage, déplaça son poids en avant, et enfonça la détente de toutes ses forces.
Il fut très vite submergé par le bruit et le recul, détournant son torse - et son arme - vers le plafond.
"Gah..."
Il lutta désespérément contre le recul pour rétablir sa visée en observant où avaient atterri ses tirs précédents, mais la nuée de balles avait déjà frappé les hommes et femmes en rouge et noir ; plusieurs d'entre eux saignaient.
"...!"
'Je les ai tués.'
Au moment où il réalisa ce qu'il venait de faire, le garçon fut pris d'une nausée bien plus puissante que d'habitude. Il n'avait pas eu le temps de s'y préparer. Il les avait tués sans même essayer de savoir qui ils étaient. Particulièrement choqué, il n'arrivait plus à penser clairement. La vague de nausée qui secouait son estomac le privait de sa réflexion.
'Je les ai tués.
Je les ai tués. J'ai fini par les assassiner.
Non, cette fois c'était de la légitime défense...'
Mais le garçon n'eut même pas le temps de se trouver une justification ; les gens en rouge et noir, couverts d'impacts de balle---
S'étaient relevés comme si de rien n'était et s'approchaient de lui en tortillant, avec un grand sourire sur le visage.
"...Hah...?"
Plusieurs d'entre eux étaient encore au sol. Ils avaient été directement frappés par les projectiles de la mitraillette. Ce n'était pas comme si les balles traversaient simplement la chair ; on aurait plutôt dit des bombes miniatures qui explosaient à l'intérieur du corps. Après avoir été touché aux genoux, n'importe qui serait incapable de se relever.
Mais ces gens en rouge et noir s'appuyèrent l'un sur l'autre et se remirent debout, toujours munis d'un sourire imperturbable.
"Qui... sont-ils...?"
S'ils étaient vraiment des zombies, ils n'auraient pas pu sourire ; les zombies étaient des cadavres dépourvus d'émotions et de raison, par définition. Mais ces gens souriaient. Avec un sourire sur le visage qui prouvait leur capacité émotionnelle, ils se relevèrent lentement et commencèrent à s'approcher du garçon.
Le Rookie sentit son cœur se figer face à ce spectacle--
Avant de saisir ce qui se passait et de se mettre à s'invectiver lui-même.
'Qu'est-ce que je fous...?
Quand ces gens--non, quand mes ennemis se sont relevés...
Au lieu d'avoir peur, j'étais soulagé...
Non !'
Le Rookie serra les dents et pointa de nouveau son arme vers les monstres souriants en rouge et noir, couverts de sang. Mais Aging l'interrompit en soupirant, une main sur le menton.
"Bien, bien. Bonne position de tir pour un amateur. Ne me dis pas que tu t'entraînes en secret ?" lança-t-elle d'un ton détendu. Le Rookie lui répondit avec frustration.
"J'ai appris ça de Death ! Bon sang... Qu'est-ce qui leur faut, ces salopards ?! Est-ce que je dois leur tirer dans la tête--"
Alors que le Rookie s'apprêtait à ouvrir de nouveau le feu, Aging saisit son bras comme un aigle s'emparant d'une proie.
"Hé. Juste pour prévenir, patron."
"?!"
"Prépare-toi pour un petit tour de manège !"
"...Quoi ?"
En un instant, le Rookie fut soulevé en l'air. La maigre carrure du garçon tomba dans les bras d'Aging.
"Qu'est-ce que tu--"
"On ferme la bouche, sinon tu vas te couper la langue !"
Aging ouvrit la bouche pour inspirer profondément, avant de décoller d'un bond.
L'instant d'après, le Rookie eut l'impression que le bateau entier s'était mis à trembler. Son corps fut secoué par l'impact, et le paysage devant lui se mit à tourner.
Le poids de son corps disparut.
La gravité s'évanouit de son monde.
Le Rookie fut frappé par plusieurs ondes de choc tandis que ses yeux voyaient le monde tourner autour de lui en accéléré. Et quelques secondes plus tard, ses yeux parvinrent à se fixer sur une unique scène. Devant lui s'étendait une abysse obscure, et d'innombrables vagues brillantes reflétaient les lumières provenant du navire et de la lune.
'...Hein ?'
Le garçon réalisa ce qui se passait avant même de pouvoir laisser un cri s'échapper.
Pour quitter le couloir--
Il avait suffi de quelques secondes pour qu'Aging et lui sortent du navire et jaillissent au-dessus des mers.
"Gahahaha ! Alors, on s'amuse, le Rookie ?"
Aging riait comme si elle appréciait en cet instant l'idéal platonique même de l'excitation ; et alors qu'il restait bien serré dans l'étreinte de son bras, le Rookie murmura tout seul.
"...Pas moyen."
<==>
Au même moment, dans les cuisines de l'Exit.
Cette gigantesque cuisine était bien deux ou trois fois plus grande que celles de la plupart des restaurants cinq étoiles en métropole. Une douzaine de cuisiniers travaillaient dur sur le porc et le bœuf qui pendait du plafond. Leur course contre la montre pour préparer le repas de la fête de ce soir avait laissé place à une angoisse confuse au fur et à mesure que le vaisseau succombait à ces incidents étranges.
Ce vaisseau colossal renfermait tout un petit monde qui flottait sur l'océan. Les petites échauffourées qui avaient éclatées ici et là dans le navire s'était répandues dans tout le bâtiment comme un incendie. Au début, ils n'avaient entendu que les coups de feu. Mais les choses étaient devenues plus bruyantes, et le vaisseau s'était mis mit à trembler ; tout le monde voyait qu'ils étaient en train d'accélérer.
Les cuisiniers ne savaient pas comment réagir : certains arrêtèrent leur travail pour aller voir ce qui se passait dehors, d'autres continuèrent à préparer leurs plats. Finalement, l'un des cuisiniers revint annoncer qu'une fusillade avait éclaté ; l'angoisse diffuse se changea en panique désordonnée. Ils commencèrent par essayer de contacter la passerelle, mais les lignes internes comme les communications sans fil étaient hors d'état.
Alors que l'horreur de la situation leur apparaissait, ils s'interrogeaient sur ce qu'ils pouvaient bien faire quand--
"Mes excuses."
L'un des représentants de la confusion ambiante franchit la porte sans hésiter.
"Je l'affirme. Quelque chose de louche se trame à bord de ce navire..."
L'homme qui s'exprimait ainsi était un passager à la peau sombre, portant un masque étrange. Il fouilla la cuisine du regard. Sa tenue exotique aurait davantage convenu sur une scène que dans une cuisine ; il semblait presque effrayant.
"Toutes mes excuses, mais je vous emprunte ceci."
L'homme masqué s'était emparé d'un énorme couteau de boucher, d'habitude utilisé pour trancher la viande et les os. En tenant fermement ce couteau de trente centimètres dans sa main, il commença à sortir de la cuisine comme si de rien n'était--
"A-attendez !"
Le chef en charge de la cuisine avait crié instinctivement. Les autres le fixèrent du regard pour lui reprocher son effusion et se firent le plus discrets possible. L'homme masqué, lui, s'arrêta net et pencha la tête comme si on l'avait interrogé--
"Hm. Je l'affirme. Je suis sincèrement navré d'employer un ustensile de cuisine comme arme, même pour ma légitime défense, mais c'est une situation d'urgence. Il me faut une arme familière."
La voix derrière le masque était lourde d'autorité, en parfait désaccord avec sa façon de pencher la tête.
"Je l'affirme. Si la situation tournait de telle sorte que je ne puisse vous le rendre, je vous rembourserai. Alors, hm. P-pardonnez-moi."
L'homme quitta la cuisine sur cette excuse soudaine. Le chef cuisinier referma la bouche, incapable de trouver les mots. Il ne se remit à parler que lorsque l'homme eut disparu de la cuisine.
"...On dirait que ce soir, c'est légumes et fruits de mer pour tout le monde.
...Ce n'est qu'un pressentiment, mais j'ai l'impression que beaucoup de passagers ne voudront pas manger de viande avant un moment..."
<==>
Dans une cabine de seconde classe.
"...Il semble qu'il y ait de l'agitation dehors..."
Cela faisait quelques minutes que Denkuro avait prononcé ces mots.
Elmer avait coupé sa console de jeu, et Denkuro avait fait de même avec la télévision et le lecteur DVD, afin de pouvoir se concentrer sur les sons qui résonnaient à l'extérieur.
Denkuro avait été le premier à percevoir les coups de feu, peu après que Nile ait quitté la chambre. Peut-être que Nile avait déjà réalisé que quelque chose n'allait pas quand il était sorti. Regrettant de ne pas avoir demandé de précisions un peu plus tôt, Denkuro fit de son mieux pour comprendre ce qui se passait dehors.
"Hm... Celui-ci craint pour la sécurité de Sylvie. Ces sons ne pouvaient guère être que des coups de feu."
"T'as raison. Je vais aller la chercher. Quand à Nile, bah, je parie qu'il s'en sortirait même au cœur d'une fusillade."
"Maître Nile ne mourrait pas si aisément, même privé de son immortalité..."
"Tu sais quoi ? Je m'occupe d'aller trouver Nile. Tu devrais aller chercher Sylvie, Denkuro," suggéra Elmer.
Denkuro s'apprêtait à répliquer, mais Elmer l'interrompit.
"Tu devrais essayer de montrer ton côté cool à Sylvie de temps en temps."
"Que--!"
Denkuro devint nerveux, face à Elmer qui lui souriait franchement.
"Haha ! Qu'est-ce qui ne va pas ?"
"Elmer ! Le moment est mal choisi pour les plaisanteries inconsidérées--"
Denkuro commença à protester, le visage rouge, avant d'être de nouveau interrompu--
Par la télévision, qui venait de se rallumer soudainement, affichant un écran bleu. Au même moment, le système de haut-parleurs du navire se mit à émettre.
[Bonjour, c'est un plaisir de vous rencontrer. Nous sommes les Mask Makers, et ce navire est désormais sous notre contrôle.]
<==>
La voix retentit dans tout le navire, des cales de stockage jusqu'aux sanitaires.
[Actuellement, ce navire se dirige vers l'Entrance à une vitesse déjà supérieure à la vitesse maximale ; une vraie course effrénée. Comme vous l'avez déjà sûrement deviné, notre objectif est de relier l'Entrance et l'Exit... si vous voyez ce que je veux dire.]
Silis réalisa quelque chose alors qu'elle parcourait les couloirs à toute allure. La voix dans les haut-parleurs n'appartenait pas à ces gens qui se nommaient les 'Mask Makers'--
"..C'est la voix de ce monstre...!"
C'était la voix de Bride, le chef religieux de SAMPLE.
[Je suis sûr que vous avez déjà remarqué les événements qui se produisent à bord... Vous voyez, nous sommes parmi vous. Votre voisin peut à tout moment se retourner soudainement, couvert d'un masque et pointant son arme vers vous. Envisagez la situation ainsi, je vous prie--étant donné que nous comptons couler ce navire en fonçant droit dans l'Entrance, nous ne nous préoccupons guère d'une ou deux vies perdues. En parlant de ça, nous avons le plaisir de vous informer que le capitaine n'est déjà plus de ce monde ; nous vous remercions de votre compréhension.]
Nile plissa les yeux sous son masque en écoutant la voix tranquille qui sortait des haut-parleurs. L'homme masqué avec son couteau de boucher soupira en marmonnant.
"Les Mask Makers... vous dites...?"
Il réalisa que son apparence correspondait à la description--
"Je le demande. Est-il possible qu'on puisse me confondre avec l'un d'entre eux ?"
Nile pointa du doigt son propre masque et répéta sa question.
"Alors ? Qu'en pensez-vous ?"
Il s'adressait aux gens qui étaient éparpillés au sol devant lui. Ils étaient tous vêtus en rouge et noir, et tous tenaient des armes à feu. Nile avait pris soin de les immobiliser en disloquant leurs articulations.
En arrivant au centre commercial, Nile l'avait trouvé totalement désert, peut-être à cause d'une fusillade précédente - avant de se faire attaquer sans prévenir par ces gens.
"Enfin bref, qu'est-ce que c'est que ce menu fretin ? Je n'ai même pas eu besoin de mon couteau," murmura Nile d'un ton las, en fixant son couperet.
Cependant, les gens - malgré leurs membres disloqués - continuaient à se tortiller au sol en souriant.
"... Écœurant... Cela dit, je suis sûr qu'Elmer serait heureux de voir des gens pareils."
Nile rit amèrement en se rappelant du Smile Junkie, et retourna son attention à l'annonce qui était diffusée. Mais--
Le sourire s'effaça de son visage au moment où il aperçut les images diffusées sur les écrans de télévision.
[Nous tenons à ce que vous sachiez que nous ne sommes pas là pour causer des morts dépourvues de sens. Nous avons pris contrôle du navire dans un but bien précis ; et une fois que notre objectif aura été atteint, nous vous promettons de vous amener à bon port, en toute sécurité.]
Sur ces mots, tous les écrans du navire se mirent à afficher une certaine vidéo sur la ligne d'émission d'urgence. Les images qui venaient de remplacer les écrans bleus montraient une série de photographies prises à une certaine distance.
[Ceux que nous recherchons sont des créatures monstrueuses se cachant sous forme humaine. Si vous nous aidez à les retrouver durant les... quinze prochaines heures ? Avant que nous heurtions l'Entrance de plein fouet, nous pouvons vous garantir la sécurité de ce vaisseau.]
Quatre photographies étaient affichées à l'écran.
La première représentait un homme portant un masque tribal.
La suivante une beauté aux cheveux argentés.
La troisième, un asiatique aux cheveux courts.
Bien sûr, il va sans dire que la dernière montrait un jeune homme au sourire sincère.
<==>
Dans la cabine de seconde classe.
"Maître Elmer."
Denkuro fronça les sourcils et s'adressa à Elmer, tout en fixant les photographies diffusées à l'écran.
"...Croyez-vous que ceci soit l'œuvre de Maître Huey ?"
Étonnamment, Elmer effaça son sourire pour répondre à l'expression sévère de Denkuro, et prit le temps de réfléchir avant de parler.
"Non... Huey se moquerait de moi s'il entendait ça, mais je peux l'affirmer avec certitude. Ce n'est que mon instinct qui parle, mais tout ça ne vient pas de Huey. Le nom 'Mask Maker' peut faire penser que Huey est impliqué là-dedans, mais... ce n'est pas ça. On dirait plus--"
Avant qu'Elmer puisse énoncer sa théorie de vive voix, la voix de l'homme qui affirmait être un Mask Maker retentit de nouveau dans les haut-parleurs.
[Nous nous cachons sous des masques. Craignez vos camarades. Soupçonnez vos voisins. Vous ne savez peut-être pas qui sont vos alliés, mais nous vous avons fourni un point de repère. Ces quatre personnes à l'écran sont définitivement vos ennemis !]
"Hm... Je suppose qu'il est trop risqué de rester planqué dans la cabine. Hé ?"
Elmer retrouva le sourire tout en ramassant son téléphone portable.
"C'est peut-être trop demander que d'espérer un scénario où les passagers coopèrent tous ensemble pour se débarrasser des terroristes ?"
Denkuro s'était déjà mis en route ; son oreille était plaquée contre la porte. Après s'être assuré que le couloir extérieur soit désert, il ouvrit la porte et rugit d'une voix sonore.
"Mettons-nous en route, Elmer. D'abord, partons en quête de Dame Sylvie."
Denkuro donnait l'impression d'être entouré d'un tourbillon de courants d'air, froids et tranchants comme des lames de rasoir. Elmer pénétra joyeusement dans cette atmosphère orageuse qui l'entourait et commença à remonter le couloir.
"Ouais... Moi aussi, je me suis trouvé un objectif, Denkuro."
"..."
"Je veux faire tout mon possible pour apporter le sourire à tout le monde sur ce navire."
Un étranger aurait pu croire que ces mots n'étaient que des paroles en l'air. Mais ce qu'Elmer ajouta acheva de convaincre Denkuro de la folie de son camarade.
"Je veux tous les faire sourire autant les uns que les autres ; les passagers, et ces gens qui s'appellent les 'Mask Makers'."
"..."
Denkuro décida de ne pas insister sur ce sujet. Il continua à remonter le couloir en toute hâte et interrogea Elmer sur quelque chose qui l'intriguait depuis un moment.
"Quoi qu'il en soit... Celui-ci a bien cru comprendre que ces 'Mask Makers' ne vous étaient pas tout à fait étrangers, Maître Elmer..."
"Hm ? Ah, j'imagine que je ne vous en ai jamais parlé."
Elmer répondit calmement, mais en penchant légèrement la tête, comme embarrassé.
"Ah, je ne sais pas si c'est la même... mais Huey et moi avons déjà appartenu à une organisation criminelle qui s'appelait les 'Mask Makers'."
"Quoi...?"
Alors que Denkuro continuait à courir, en respirant profondément, Elmer posa sa main sur son épaule tout en replongeant dans ses pensées.
"Ouais... Maintenant que j'y pense, je n'ai jamais quitté officiellement l'organisation. Alors on ne peut pas dire que j'étais membre des Mask Makers...
Je suppose que j'en fais toujours partie ?"
<==>
Quelques minutes plus tôt.
"AAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHH!"
Il venait de réaliser il y a moins d'une seconde qu'il se trouvait en plein air, plusieurs douzaines de mètres au-dessus de la mer. Un cri s'échappa de ses lèvres, et il laissa échapper la mitraillette qu'il tenait. Le morceau de métal chuta, avant d'émettre un splash en perçant la surface de l'océan. Mais il allait sans dire que le Rookie n'avait ni l'aplomb ni le temps nécessaire pour observer cette chute.
Il ressentit un choc en sentant la gravité changer de sens, et très vite le Rookie réalisa qu'il était en train de fendre l'air horizontalement.
Juste avant, Aging avait saisi le Rookie dans un bras et s'était lancée dans un sprint foudroyant ; elle avait arraché la première porte visible, traversé la pièce à toute allure, et arrivée à la fenêtre, suspendu le crochet attaché à la corde qu'elle transportait.
Avant de décoller.
Tout simplement.
Tandis qu'elle se tenait à la corde rapportée de la zone de stockage, Aging tira dessus et se propulsa sur la coque du navire. D'abord, elle se balança vers la poupe du navire--et utilisa aussitôt son accélération pour courir vers la proue. Aging se déplaçait sur la coque comme un énorme lézard, ou une araignée tissant sa toile, en ajustant la longueur de la corde durant sa course.
Elle courait.
Fonçait.
Sprintait.
Galopait.
Volait.
Si quelqu'un avait pu l'entendre détaler le long de la coque à la vitesse d'un coureur olympique, il aurait immédiatement pensé à un ninja.
Le Rookie ne pouvait rien faire si ce n'est lutter contre la force du vent, entraîné au côté d'Aging--
"...Ouais ! Ça doit être ça !"
La déclaration soudaine d'Aging lui fit brusquement réaliser que ses pieds reposaient de nouveau sur la terre ferme.
"Aaaaahhh... Haaahh..."
Le Rookie laissa échapper ce qui devait être une longue expiration, ou bien un cri étouffé, soulagé de se trouver encore en vie.
"On-on est..."
"Pas d'erreur ! C'est ma cabine !"
"?!"
Aging ouvrit la porte du balcon, serrant toujours fermement le Rookie, secoué par le voyage.
"H-hé ! Lâche-moi !" demanda le Rookie au visage rouge de honte, après avoir finalement retrouvé ses esprits.
"Hm ? Ah, désolé si j'te gêne. T'es si léger que j'avais presque oublié que t'étais dans mes bras ! Gahaha !"
Aging déposa le Rookie à terre avec un éclat de rire.
Dans sa cabine se trouvait le container de transport qui servait aux missions des Mask Makers ; preuve qu'ils avaient atteint le bon endroit.
"...Je n'arrive pas à y croire."
"Hm ? Non, non, patron ! Allons, j'comprends que tu refuses de croire que nous puissions nous trouver dans une situation aussi dangereuse, mais c'est pas le moment de se dégonfler ! T'as pris ta décision il y a à peine quelques secondes !"
Aging faisait la leçon au Rookie en riant. Il mit les mains derrière la tête, se reprenant pour lui répondre vigoureusement.
"Ne sois pas stupide ! Je veux dire que je n'arrive pas à croire que nous ayons atteint ta cabine de façon aussi... effarante !"
"Effarante, hein ? Tu crois pas que t'en fais un peu trop ? Ah, tu t'es pas cogné la tête, au moins ? On a juste traversé la coque en courant, c'est tout."
"...Désolé. Peu importe."
Même si le Rookie avait envie de s'arracher les cheveux en l'écoutant, il devait admettre qu'ils venaient finalement d'arriver dans un endroit sûr. Et à l'instant où il s'assit sur le canapé, pour réfléchir à la suite des événements--
L'écran de télévision s'alluma en clignotant, avant de commencer à diffuser l'annonce du détournement des auto-proclamés 'Mask Makers'.
"..."
Au moment où il entendit les mots 'Mask Makers' prononcés dans les haut-parleurs, le garçon sentit son cœur s'arrêter.
'Ce n'est pas possible. Je sais que je les ai autorisé à procéder au détournement complet du navire si les circonstances l'imposaient, mais...'
De plus, la voix qui résonnait dans la pièce appartenait à un inconnu ; le Rookie réalisa que quelqu'un d'autre était derrière ce message, et son esprit commença à sombrer dans le désespoir.
'Non...
Qui... qui est-ce...?'
Et quand les photos des immortels - des photos différentes de celles que les Mask Makers avaient préparées - se mirent à apparaître à l'écran, la confusion vint s'ajouter au désespoir.
'Quoi...?
Quoi... Pourquoi y a-t'-il un autre groupe... un autre groupe à la poursuite des immortels...?"
Á la fin de l'annonce, le Rookie était silencieux. Le cœur pris dans la tourmente--
Quand le téléphone portable à la ceinture d'Aging se mit à sonner.
"Hé, ça boume ?"
Elle répondit à l'appel sans la moindre hésitation, et salua son interlocuteur avec enthousiasme. Elle semblait s'adresser à l'un des Mask Makers à bord de l'Entrance ; ce qui sortit le Rookie de sa torpeur.
"Ravie de l'entendre ! Je suis presque folle d'excitation tellement on s'éclate par ici !
Ouaip, le patron est toujours vivant ! Tous les autres sont morts !
Y'a plus que moi et le patron par ici ! Est-ce que c'est pas franchement bidonnant ?"
Il pouvait vaguement entendre une voix paniquée à l'autre bout de la ligne.
"Oh, c'est bien plus amusant que ça, vieux chacal. Ptét' bien que Death a juste eu envie d'un peu de compagnie ! Gahahahaha !"
Il n'arrivait pas à suivre le déroulement de la conversation. Mais pour une raison quelconque, il se sentait plus tranqille en observant Aging converser avec le sourire, malgré leur situation.
'Je me demande pourquoi ?
Elle est en train de rire, alors que tant de nos amis sont morts. Je devrais me fâcher.'
D'un côté, il était stupéfait par le rire détendu d'Aging ; mais de l'autre côté, il devait lutter pour réprimer cette sensation de soulagement qu'il éprouvait.
"Ouais, je vous rappelle. Le plan est à l'eau, alors faites ce que vous pouvez de votre côté."
Aging raccrocha. Le président se releva silencieusement.
"...Comment est-ce qu'ils s'en sortent ?"
"On dirait que le gangster qui a abattu Death s'est montré là-bas. Apparemment ils ont eu une petite fusillade sympa comme tout."
"...!"
Une fois de plus, le garçon sentit son cœur sur le point d'exploser. C'était la même sensation que lorsqu'il avait appris que Death avait été tué : comme s'il avait été trahi. Pas par ses propres plans, mais par ce monde en lequel il croyait. Si les choses s'étaient bien déroulées de leur côté, il aurait pu réussir à élaborer calmement une contre-attaque ; mais au point où il en était, il pouvait à peine encaisser un choc après l'autre.
Il réfléchit un moment, et tout ce qu'il trouva à dire fut--
"Quel genre de fusillade est 'sympa'...?"
Il s'exprimait comme s'il essayait désespérément de fuir la réalité.
"Hm ? Gahaha ! C'est vrai, c'est vrai ! Seul le fond du fond, les créatures les plus pitoyables, sont capables d'apprécier un carnage pareil. Alors quoi, ce serait plus normal d'être triste pendant une fusillade ? Ou bien juste tirer mécaniquement, comme si on ne ressentait rien ?"
"Tais-toi un peu..." marmonna-t-il, en repassant la situation dans sa tête ; il laissa échapper une remarque silencieuse, si discrète qu'elle semblait être adressée à lui-même.
"...les Mask Makers... ont été salis."
"Hm ?"
"Notre nom a été repris par ces bandits inconnus qui nous rabaissent au niveau de vulgaires terroristes."
"Qu'est-ce que tu racontes ? Le plan qu'ils ont annoncé correspond exactement à ce qu'on avait prévu, si les choses tournaient mal. Et c'est justement ce qui se passe sur l'Entrance, tu sais ?"
Aging rit d'un air étonné. Mais le garçon nia d'un signe de tête.
"Non. Ce n'est pas ça. ...Depuis le début, je m'étais préparé à ce que notre organisation touche le fond. Les Mask Makers n'ont jamais reculé face à leur perte."
"Qu'est-ce qui t'embête, alors ?"
"Mais si nous devons tomber, je... c'est à moi d'en assumer la responsabilité ! Je ne peux pas laisser ces cinglés s'emparer du nom des Mask Makers ! C'est hors de question !"
"Ah. Je vois. Je ne peux pas dire que tu aies tort."
Aging semblait se montrer étonnamment compréhensive ; pourtant le Rookie la dévisageait avec colère.
"Tu 'ne peux pas dire que j'aie tort' ? Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'es qu'une tueuse accro aux combats ; comment pourrais-tu savoir ?! Mon destin était décidé depuis ma naissance : qu'est-ce que tu croies savoir sur le vœu tacite des Mask Makers ?!"
Tout en criant sa révolte, le Rookie fut pris d'un accès de dégoût envers lui-même. Il savait la vérité : celui qui tenait vraiment à renier et à rejeter les Mask Makers, c'était lui. Et pourtant il reportait sa colère sur Aging ; sa protectrice et son dernier soutien face à l'adversité.
'Je suis vraiment ignoble... Quel abruti ! Qu'est-ce... qu'est-ce que je fabrique...?'
Et comme si elle lisait à travers lui--
"Hm. Si tu veux la jouer comme ça--"
Aging cessa de sourire et parla d'un ton parfaitement sérieux.
'Je t'en prie, ne dis rien. Je sais ce que tu vas me dire.'
"Pourquoi tu ne m'expliquerais pas ce que tu penses des Mask Makers ?"
'Je sais. Je sais. Je sais que je ne sais rien sur ce qu'ils représentent vraiment.
Je ne sais pas ce qu'ils représentent pour moi, ni ce que je dois faire avec eux.'
Il ravala désespérément ses larmes et s'apprêtait à asséner à Aging de se taire, mais--
Elle souriait à nouveau. On aurait dit que son sourire exprimait un pardon inconditionnel, ou peut-être une simple insouciance envers de menus détails ; et avec ce sourire, Aging poursuivit.
"Franchement... Ne sois pas têtu ! Ne rejette pas tes envies alors que tu ne sais même pas ce que tu veux !"
C'était le sourire d'un gamin couvert de boue rentrant chez lui après avoir passé la journée à jouer dehors ; mais en même temps, c'était aussi le sourire de sa mère ébahie mais indulgente qui l'accueillait à la maison. Et avec cette expression, Aging ébouriffa les cheveux du Rookie.
"T'en fais pas ! Même si tu ne sais pas ce que tu veux, tout va s'arranger ! Il n'y a qu'à trouver comment ! T'as besoin que d'ça pour profiter de la vie ! Gahahaha !"
"...C'est censé vouloir dire quelque chose ?"
Le Rookie secoua la tête, littéralement incapable de saisir le sens des paroles d'Aging. Mais il ressentait tout de même une force chaleureuse dans sa remarque. Le Rookie effaça toute amertume de son esprit.
"...Je suis désolé, Aging. D'abord, essayons de fixer notre plan d'action."
Le Rookie inclina la tête en signe de reconnaissance et repassa encore une fois la situation dans son esprit.
"Si seulement... Si seulement j'avais une arme..."
Il se sentit brièvement pris de nausée en se rappelant le moment où il avait tiré sur les gens en rouge et noir, mais il se reprit et jeta un œil dans la caisse posée dans la cabine d'Aging. Á l'intérieur se trouvaient un kukri d'un mètre de long et un minigun hors du commun, spécialement personnalisé. Il était évident qu'aucun de deux ne représentait une option envisageable pour lui.
En retournant les coins et recoins de la caisse, il repéra un éclat luisant.
"Ah, j'ai failli oublier."
Aging claqua des mains, plongea un bras dans le container et en ressortit un objet brillant.
"Mais c'est..."
"Ton arme préférée, hein, patron ? Je me disais qu'on risquait d'en avoir besoin."
Et elle tendit au garçon un fourreau décoré, contenant un unique stylet.
Saisissant l'arme dans sa main, le garçon réaffirma sa résolution. Et en dégainant la lame ancestrale, il fit une promesse.
'C'est juste. Je ne peux pas mourir ici.
Je ne peux pas laisser la lignée des Mask Makers s'éteindre.
Peu importe les abysses dans lesquels nous sombrons, peu importe à quel point on nous traîne dans la boue pour nous humilier...
Pas avant que j'ai pu exercer ma vengeance contre mon ancêtre - l'ennemi de mon ancêtre... Huey Laforet.'
Le garçon remit silencieusement l'arme dans son fourreau, les yeux remplis d'une détermination nouvelle--
"Allons-y, Aging.
Même s'il fallait me servir de toi et des autres comme boucliers humains, coûte que coûte, je survivrai--et je sauverai les Mask Makers."
<==>
Dans une certaine suite de l'Entrance.
'Qu'est-ce que je vais faire ?'
Bobby s'installa dans un sofa d'un confort incroyable, et se prit la tête à deux mains, toujours couverte du masque de L'Engrenage. Il avait décidé de rester dans le costume, improvisant une excuse : "Je suis le cascadeur de Charon". Mais--
"Pourquoi un cascadeur aurait-il son propre cascadeur ?"
Il se fit démasquer en un éclair. Heureusement Carnea vint à sa rescousse, affirmant "Il m'a sauvé quand ces gens masqués me poursuivaient !" ; sans compter le fait qu'ils manquaient de temps pour un interrogatoire--
"Allons dans ma cabine. C'est dangereux de rester ici."
Et au final, Bobby avait été traîné jusqu'ici.
'Bon sang ! Je suis ici venu pour prendre ma revanche sur ces salopards de Martillo !
Et maintenant quoi ?! C'est le larbin des Martillo qui me sauve les fesses !'
Firo, Ennis et Angelo déroulaient leur plan d'action, ignorant le garçon qui s'était installé dans un coin de la pièce. Carnea semblait complètement épuisée : elle avait perdu connaissance sitôt arrivée dans la cabine, et se reposait sur le lit.
'Je suppose que c'est tant mieux pour moi s'ils m'ont oublié ; comme ça, ils n'essaient pas de me soutirer plus d'infos.'
"...oui... ...je pense qu'il faut, avant... ...trouver Czes d'abord..."
Au moment où Bobby entendit ce nom, il réalisa qu'il s'agissait du garçon qu'ils avaient pris pour le frère de Firo--et se rappela quelque chose de très important.
'J'avais complètement oublié...
Est-ce que les autres sont en sécurité ?'
<==>
Dans les couloirs du navire.
"On a dû faire un détour, mais ma cabine est droit devant," dit Czes, en avançant prudemment. Derrière lui, Tall, Troy et Humpty suivaient.
"Purée. Bobby a intérêt à s'en tirer."
"Il a toujours été le malchanceux du groupe, mais je suis sûr qu'il va s'en sortir. Pour l'instant, nous devrions plutôt nous inquiéter du reste du vaisseau."
"Eh, j'ai faim."
Tandis que le trio d'irrécupérables bavardait derrière lui, Czes redoublait d'attention. Il était en train de les amener directement à la cabine de Firo, quand il avait vu un groupe de gens armés et masqués traverser le hall - peu après que les canots de sauvetage aient explosé. Voilà pourquoi il avait essayé de s'en tenir à des couloirs déserts pour atteindre la cabine, mais il n'avait toujours aucune garantie que leur détour soit plus sûr.
'Bon sang. Je n'arrive pas à croire que mon mauvais pressentiment se soit réalisé,' marmonna Czes en serrant les dents. 'Je n'ai vraiment pas de chances avec les voyages.'
Il poursuivit plus avant, se remémorant la tragédie de l'Advenna Avis et à la terreur qu'il avait vécue sur le Flying Pussyfoot--Clang
Le son d'une trappe qui s'ouvrait retentit, et une silhouette se laissa tomber du plafond depuis le conduit de ventilation.
"...Hein ?"
"..."
La silhouette qui faisait face à Czes était vêtue de noir. L'homme, recouvert d'une tenue de combat complètement noire, venait de sauter du conduit de ventilation comme si de rien n'était. Il semblait observer Czes, mais les lunettes spéciales sur ses yeux et le masque qui cachait son visage dissimulaient son apparence. Cela dit, il était clair qu'il faisait partie des terroristes.
"..."
L'homme restait silencieux, mais quelque chose chez lui suggérait qu'il était surpris par le tour soudain qu'avait pris la situation. Il observa les enfants en silence un moment--
Avant de presser sans hésitation la détente de son arme.
Ratatatat. Le bruit sec de la rafale résonna dans tout le couloir, et le fusil de gros calibre envoya ses projectiles s'écraser au sol juste à côté de Czes et des autres.
"..."
"AAAAAAAHHHHHHHH !"
Les passagers clandestins se mirent à fuir en hurlant. Czes hésita un instant sur la démarche à adopter, et décida que la rafale devait être un simple avertissement ; il se mit à crier et à courir après les autres gamins.
'J'imagine que même eux ne tueraient pas des enfants sans raison,' conclut Czes, en descendant le couloir à toute vitesse, le sourire aux lèvres. 'Ça me rassure que ce type ne nous ait pas attaqué. Mais maintenant que j'y pense, il... on aurait dit qu'il était surpris de nous voir, l'espace d'un instant...'
<==>
Sur la passerelle de l'Entrance.
[Bonté divine, vous avez la moindre idée du choc que j'ai eu en tombant sur ces garnements se baladant dans les couloirs ? Est-ce que quelqu'un a seulement prêté la moindre attention à nos menaces ?]
Entendant la voix de Life grésiller dans la radio, l'un des Mask Makers lui répondit en criant d'un ton nerveux.
"La ferme ! Nous n'avons pas le temps pour ces bêtises, laisse tomber ces morveux !"
[Quel est le problème, au juste ? J'ai entendu dire qu'il y avait eu quelques soucis à bord de l'autre vaisseau.]
"Merde... Je viens de vérifier le GPS du bateau... l'Exit se ramène droit sur nous à une allure de dingue... Sérieusement : ils dépassent les 50 km/h !"
L'homme marmonnait en serrant les dents, pris de sueurs froides, les lèvres tordues dans un rictus d'angoisse.
"...Bon sang, je n'aurais jamais cru que ce serions nous qui nous nous ferions rentrer dedans."
Le capitaine, toujours ligoté, s'exprima avec nervosité.
"Les moteurs du navire sont d'un modèle spécial. Si on met de côté le confort des passagers, ils peuvent atteindre une vitesse dépassant celle de n'importe quel vaisseau de croisière au monde. ...Je ne sais pas ce qui se passe, mais si vous tenez à éviter la collision, vous feriez mieux de vous rendre et de contacter tout de suite les garde-côtes."
"...Vous vous montrez tellement raisonnable, bon dieu, ça m'énerve."
Tandis que les Mask Makers oscillaient entre l'inquiétude et la colère, la porte s'ouvrit et Illness entra, vêtue de sa tenue de combat.
"..."
Elle portait les lunettes de vision nocturne, et sa tenue dissimulait complètement sa frêle carrure. Normalement elle se serait mise à se plaindre et à piquer une crise comme à son habitude, mais là elle se montrait étonnamment réservée.
"Quoi, tu te montres enfin, Illness ?"
"...Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?"
Elle semblait calme. Les Mask Maker s'entre-regardèrent, interloqué par son attitude d'un professionnalisme inhabituel, mais manquant du temps nécessaire pour une investigation plus poussée, ils lui donnèrent un ordre rapide.
"C'est simple. Encore plus simple que de faire danser un chimpanzé."
Ils allèrent droit au but.
"...Occupe-toi de ce gangster. Fais comme ça t'arrange. Tue-le, séduis-le, peu importe ; avec un peu de chance il s'intéresse aux minettes de ton âge. Bref, on a quelque chose de plus préoccupant à gérer."
"De quoi vous parlez ?"
Illness pencha la tête, ignorant encore tout ce qui s'était passé. Les Mask Makers grincèrent des dents avant de la mettre au courant.
"On dirait... que le patron a des problèmes."
"Ah... Luchino ?"
"T'façon, nous les employés, on est guère mieux lotis."
Le Mask Maker sembla se rappeler quelque chose. Il se retourna lentement en direction du capitaine attaché.
"C'est pour ça qu'il faut qu'on retrouve le patron de toute urgence... et vous avez dit un truc intéressant y'a un moment, hein ?
Vous disiez, si on laisse tomber le confort des passagers... on peut aller encore plus vite ?"
<==>
Couloirs du navire.
"...Hein ?"
Firo parcourait les couloirs à la recherche de Czes, quand il ressentit soudain quelque chose d'étrange et se figea sur place.
"On dirait que ça vibre plus fort..."
Firo se concentra, et réalisa que le bateau avançait plus vite qu'avant--non, il était encore en train d'accélérer.
"...Hé, qu'est-ce qu'ils fabriquent là-bas ?"
Malgré son incertitude, Firo serra les poings et continua de courir, mettant la sécurité de Czes en priorité.
<==>
Quelque part dans la zone de stockage du navire.
Même au milieu de l'atmosphère de désespoir installée par la tempête de coups de feu et l'explosion des canots de sauvetage, le garçon conservait un visage stoïque.
Charon Walken. Le cœur du jeune cascadeur était toujours d'un calme inébranlable, mais il savait très bien quel danger courait le navire.
Tout se passait bien il y a encore un instant ; il était parvenu à dissimuler le garçon et la fille qui étaient poursuivis par un groupe de personnes étranges. Mais le réalisateur et l'équipe de tournage était arrivés juste après, et étaient repartis en emmenant le garçon dans le costume et la fille cachée dans le requin. Si Charon se montrait et reprenait son costume sur scène, le garçon et la fille seraient repérés et capturés par ces gens inquiétants ; pour éviter ça, il valait mieux tout expliquer à Claudia et John après la fin de la cérémonie.
Voilà ce qui avait convaincu le garçon de rester dans l'ombre pour observer le déroulement de la situation--
Quand la fusillade éclata. Puis les explosions retentirent.
Á cause de ces incidents, le vaisseau au grand complet était devenu le théâtre d'un spectacle qui n'en finissait plus.
"...Claudia."
Il décida que sa sœur devait être en sécurité, comme elle avait été évacuée immédiatement. Il avait aussi pris soin de s'assurer que le garçon et la fille avait été emmenés par Firo et les autres. Charon resta tranquille, observant les événements qui se déroulaient devant lui--
Et après avoir appris par les haut-parleurs que les canots de sauvetage avaient été détruits, il se mit silencieusement en route afin de retrouver sa sœur.
Il se lança dans l'action comme il l'aurait fait durant un tournage, s'aventurant sur un champ de bataille hanté par la mort. Bien sûr, ce n'était qu'une journée de travail ordinaire pour lui, le garçon qui risquait quotidiennement sa vie en tant que cascadeur.
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Salle de cinéma de l'Entrance.
La salle était en train de se remplir de spectateurs ; pourtant, rien n'annonçait que le prochain film allait démarrer avant un moment. Le réalisateur, John Drox, observait Claudia et les membres de l'équipe de tournage rassemblés autour de lui, se mettant presque à danser d'excitation.
"Eh, eh ! Nous avons réussi à nous mettre à couvert ici, mais je me demande vraiment ce qui se passe là-dehors ? Quoi qu'il en soit, le tournage passe avant tout ! Filmez tout ce qui se passe, les gars ! Restez en alerte ! Seul moi et les caméramans doivent s'occuper de l'action, les autres, prenez garde de rester en vie pour pouvoir rentrer chez vous, c'est bien compris ?!"
(Hein ? Je dois continuer à tourner jusqu'à la mort ?)
Le caméraman secoua la tête, dépité, mais n'émit aucune plainte ; il tenait à s'assurer que sa voix ne soit surtout pas enregistrée par la caméra. Dans un sens, le fanatisme cinématographique de John avait déteint sur lui.
"Hm... Ce n'est pas très sensible de dire une chose pareille, mais je n'arrive pas à contenir mon excitation, même dans cette panique générale ! Dans le meilleur des cas, ce détournement prendra fin sans faire de victimes, et nous aurons tout enregistré ! ...C'est comme ça que je le vois, mais qu'est-ce que tu en penses, Claudia ?"
La fille rousse, soudainement sollicitée, secoua la tête avec ahurissement et soupira.
"Tu es horrible, John. Comment peux-tu encore te focaliser sur le film dans un moment pareil ?"
Mais elle se releva en souriant.
"Mais j'aime ton idée ! Surtout le fait qu'il n'y ait aucune victime !"
Alors que Claudia souriait franchement, insensible au chaos ambiant, le réalisateur leva le pouce en signe d'approbation en déclamant, "Parfait !"
'Ah, c'est fini pour nous.'
Les autres membres de l'équipe de tournage soupirèrent de concert, et décidèrent de se concentrer sur comment ils allaient faire pour s'en sortir. Cependant, personne ne pouvait rien faire pour le moment ; il ignoraient tout de l'identité de ces gens armés, et de leur nombre. Un soupir encore plus profond s'échappa de leurs lèvres--
Mais soudain les portes s'ouvrirent et un groupe d'enfants pénétrèrent dans la salle.
"Désolé, mais nous voudrions nous réfugier ici--ah !"
Le garçon à la tête du groupe regarda les gens à l'intérieur ; il aperçut la caméra qui tournait et se figea.
"Ah, c-ce n'est pas la p--"
Le garçon s'apprêtait à se retourner et à sortir, mais--
"Hé, ne t'enfuies pas comme ça !"
La jeune fille rousse se jeta sur lui comme un boulet de canon et atterrit en lui plaçant un flying cross chop à la tête.
"Gah !"
La jeune actrice grimpa sur Czes, projeté au sol par l'impact, en le sermonnant.
"Franchement, Czes ! C'est très malpoli de s'enfuir lorsqu'on reconnaît une amie ! Mais bref, je suis ravie qu'on aie quelqu'un d'aussi expérimenté que toi avec nous ! Alors..."
Tandis que le visage du garçon prenait un air désespéré, la rouquine sourit énergiquement avant de parler.
"Rassemblons nos forces pour trouver un moyen de reprendre le contrôle de ce navire !"
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Plusieurs heures plus tard, sur la passerelle de l'Exit.
"Voilà qui est incongru."
L'homme-gorille, le second, et les autres membres d'équipage en charge de la passerelle remarquèrent un changement sur le radar du vaisseau. L'Exit se déplaçait à grande vitesse, comme prévu dans leur plans ; le problème était que l'Entrance était bien plus proche de leur position qu'ils ne l'avaient prévu.
"Ne me dites pas... qu'ils accélèrent eux aussi."
S'ils continuaient à cette allure, la collision n'aurait pas lieu le lendemain au soir, mais vers midi. Réalisant ce changement inattendu, l'homme-gorille envoya une transmission à la femme en charge du bureau des communications.
"C'est moi... on dirait qu'on va arriver plus tôt que prévu. Il faut que le bateau parte six heures plus tôt, histoire de coller au nouveau timing. Et..."
Il fronça légèrement les sourcils avant de livrer l'ordre suivant.
"...Dis leur de ramener autant de matériel de premiers soins que possible."
Les yeux de l'homme étaient fixés sur les moniteurs affichant des vidéos des caméras de sécurité du vaisseau.
"On dirait que nous ne sommes pas les seuls monstres à bord de ce navire."
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Cale de marchandises de l'Exit.
Aging et le Rookie s'étaient frayés un chemin jusqu'à une cale remplie de marchandises quelconques. Le Rookie se dissimulait dans l'ombre des caisses de transport en surveillant la zone, tandis qu'Aging se concentrait sur les sons résonnant à travers le navire, à la recherche d'une ouverture susceptible à une contre-attaque.
Aging rompit soudainement le silence en écarquillant les yeux et en tordant ses lèvres dans un rictus cruel.
"Ah ? On dirait..."
"Qu'est-ce qu'il y a, Aging ?"
"Si je ne me trompe pas, on dirait bien qu'il y a quelqu'un à bord capable de rendre à ces connards en rouge et noir la monnaie de leur pièce."
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Salle de cinéma de l'Exit.
Contrairement à la salle de cinéma de l'Entrance, devenue une sorte de refuge, celle de l'Exit avait été changée en champ de bataille. Un homme masqué et un groupe de gens en rouge et noir dansaient sur la scène, pris dans un affrontement.
Les fidèles de SAMPLE pouvaient clairement voir que cet homme n'était pas un des Mask Makers, son masque étant différent. Le gigantesque hachoir dans sa main étincela dans la lumière, et l'homme qui pointait un pistolet vers lui vit son poignet tranché décoller dans l'air. Le sang éclaboussa les tenues rouges et noires, laissant des taches invisibles sur la victime. Cependant, l'attaquant s'écarta d'un pas de ses adversaires, bondit sur la scène d'un mouvement fluide, et secoua la tête.
"Je l'affirme... tu vivras si tu vas te faire soigner immédiatement. Tout immortel que je sois, je ne te laisserais pas la vie si tu continues à me tirer dessus--hm ?"
Nile interrompit sa déclaration, observant l'homme dont il venait de trancher le poignet. Cet homme avait simplement ramassé son arme dans son autre main, et la pointait désormais vers Nile avec un sourire. Un sourire d'une joie intense.
"...Je vois. Il semblerait que tu ne sois pas un passager venu me capturer, craignant pour sa propre sécurité... Et ces vêtements rouges et noirs ne me semblent pas correspondre aux tendances actuelles."
Nile fronça les sourcils en observant ces gens souriants, qui lui rappelaient étrangement Elmer--et eut envie de cracher sur le sol en signe de dégoût.
"...Je l'affirme. Vos sourires sont répugnants. Je ne veux pas vous le reprocher, mais..."
Une rafale de balles déferla dans sa direction avant qu'il puisse terminer. Nile sauta gracieusement sur le côté, comme un surfer chevauchant la vague.
"Je ne veux pas vous le reprocher, mais... Je l'affirme à nouveau ! Vous êtes répugnants !"
Puis Nile se jeta dans le nuage de projectiles. Il sauta au cœur du groupe de ses agresseurs, ignorant les balles qui transperçaient sa peau ; il exploita son inertie pour les charger directement. Bien sûr, le gigantesque hachoir dans sa main suivit--
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Au même moment, à la fontaine du centre commercial du navire.
"Vous semblez différents de ceux croisés un peu plus tôt... Celui-ci se doit de demander. Pourquoi donc êtes vous résolu à s'en prendre à celui-ci ?"
Denkuro s'exprimait doucement, entouré de tous les côtés.
Contrairement à la sensation de puissance lourde et écrasante que Nile dégageait, Denkuro inspirait une pression bien plus tranquille, qui donnait la sensation de s'élever du sol même sur lequel ils se tenaient. Et malgré la question de Denkuro - qui évoquait le fameux 'calme avant la tempête' - les gens qui l'entouraient restaient silencieux.
Ils pouvaient entendre les coups de feu furieux s'échappant de la salle de cinéma non loin.
'Serait-ce Maître Nile, par hasard ?'
Denkuro était en train de chercher Sylvie avec l'aide d'Elmer, avant qu'ils soient brusquement séparés lorsqu'un groupe de gens en rouge et noir les attaqua subitement. Mais les gens qui l'entouraient en ce moment étaient de simples passagers, habillés normalement. On pouvait facilement le constater sur leurs visages, qui irradiaient la peur, l'angoisse et le désespoir. Très vite, des voix s'élevèrent dans la foule pour répondre à Denkuro.
"L-la ferme ! On va mourir à cause de vous, tout ça parce qu'on se trouve sur le même bateau !"
"O-on sait que ce n'est pas de votre faute, m-mais rendez-vous, d'accord ?"
"Je ne sais pas q-qui vous êtes, mais vous devez vous rendre, pour qu'on survive tous."
Ces gens défendaient leurs actes, proclamant de leurs bonnes intentions. Pour eux, Denkuro et les autres n'étaient rien de plus que des cibles recherchées qui n'avaient rien à voir avec eux. L'annonce avait affirmé qu'ils n'étaient pas humains, mais personne ne pouvait sérieusement y croire.
"...Croyez-vous vraiment que ces brigands vont honorer leur promesse ?"
"Ugh..."
Les passagers n'osaient pas se jeter en masse sur Denkuro, effrayés par cette force tranquille qui émanait de sa personne.
"...Hm. Celui-ci comprend que vous soyez désespérés de vouloir vous protéger, vous et vos familles. Et si celui-ci voyageait en solitaire, il n'hésiterait pas à se rendre, mais..."
Denkuro tomba dans un silence pensif, fit un pas de recul, et s'adressa aux passagers qui lui faisaient face.
"Cependant, même si vous deviez capturer celui-ci, rien ne serait aussi aisément résolu."
"Qu-quoi ?"
Tandis que les passagers se regardaient mutuellement, Denkuro réalisa que la fusillade dans le cinéma avait pris fin et laissa échapper un faible soupir.
"Si celui-ci se retrouvait capturé, plus personne ne serait à même de calmer son camarade."
Une ombre surgit de la direction que Denkuro fixait du regard.
Á première vue, cette silhouette, couverte de rouge, de noir et de blanc, semblait être un des fidèles ayant détourné le navire. Mais un regard plus attentif montrait qu'il portait des vêtements aux teintes claires, et que leur couleur actuelle n'était due qu'à la quantité massive de sang qui les imprégnait.
Un homme masqué couvert de sang.
Tenant dans sa main un énorme hachoir.
Cette fois, les passagers furent pris de panique ; ils hurlèrent et s'empressèrent de déguerpir dans leurs cabines.
"Maître Nile..."
"Je l'affirme. Je n'ai pas posé un doigt sur l'un des passagers ordinaires. Même moi je connais mes limites."
"Mais cependant--"
"...Ils m'inquiètent un peu."
Nile fendit l'air d'un geste vif avec son hachoir pour ôter le sang qui le recouvrait, et s'adressa à Denkuro.
"Leurs expressions... Je suis sûr que toi aussi tu as réalisé de quoi je parle, Denkuro."
"...En effet."
"La façon qu'ils ont d'ignorer la souffrance, et leurs sourires joyeux... et le fait qu'ils conservent leur raison--on dirait presque la drogue qui circulait dans cette ville, il y a trois cent ans."
Qu'il ait ou non réalisé les implications que recouvrait ses mots, Denkuro inspira silencieusement et prononça le nom d'un certain alchimiste.
"Mais, Maître Begg est..."
"Je sais. ...D'ailleurs, cette drogue n'était qu'une copie de mauvaise qualité d'une de ses créations obsolètes--une de celles qu'il considérait comme prohibées. Mais tu penses vraiment qu'il s'agit d'une simple coïncidence ? Ce ne serait pas plutôt un piège de Huey ?"
"Que non, quand à s'agir de cette drogue, même Maître Huey--hm ?"
Les yeux de Denkuro furent attirés par une silhouette qui s'avançait lentement dans leur direction. C'était une femme habillée en rouge et noir. En concluant qu'elle appartenait donc bien au groupe de fidèles, Nile se jeta vers elle sans hésitation.
"Alors, malgré tous ceux que j'ai vaincus, il en restait encore. Tant que vous continuez à venir m'affronter, je ne ferai montre d'aucune pitié, même si vous êtes une femme."
"Ah..."
Nile abattit son hachoir sur la femme avant qu'elle puisse parler. Mais le hachoir fut stoppé net, à un cheveu de sa cible. Denkuro avait saisi Nile par le bras avant qu'il ne frappe.
"Reprenez votre calme, Maître Nile. Ne laissez pas cette rage meurtrière vous gouverner."
"..."
"Cette dame est peut-être vêtue à leur façon, mais son expression diffère de la leur."
C'était comme il venait de le dire : contrairement aux autres gens en rouge et noir, le visage de cette femme était rempli par la peur et le désespoir. Elle réalisa, avec un temps de retard, que Nile avait tenté de l'attaquer et s'effondra au sol, à bout de force.
"Ah... aaaahhhhhh..."
Denkuro s'interposa entre la femme terrifiée et Nile, en lui tendant un mouchoir.
"Mes excuses. Le camarade de celui-ci semble avoir cédé à un moment d'égarement. La dame serait-elle assez aimable pour nous confier où elle s'est procurée une telle tenue ?"
Pendant ce temps, Nile serrait son masque à pleine main, l'air consterné--
Et, quelques secondes plus tard, trancha son propre poignet d'un coup de hachoir.
"Je l'affirme. Veuillez m'excuser. Je vais tâcher de me calmer."
Le sang qui refroidissait en giclant dans l'air revint bien vite dans le corps de Nile. Ayant assisté à un geste aussi terrifiant et au spectacle choquant qui avait suivi, la femme eut un geste de recul--
Mais elle se reprit rapidement et finit par s'exprimer.
"Euh... Votre amie... la femme aux cheveux argentés..."
"Hm ? Vous parlez de Sylvie ? Celui-ci oserait-il vous demander la raison pour laquelle vous souhaitez la voir ?"
Il y avait toutes sortes de questions qu'il aurait voulu lui poser, mais soudain la femme s'affaissa, perdant connaissance.
Tandis que Denkuro la portait dans ses bras pour l'amener jusqu'à sa cabine, il repassa dans son esprit les derniers mots qu'elle avait prononcés avant de s'évanouir.
"Il en veulent à... cette femme... dépêchez... ils la cherchent..."
Ayant entendu cela, Denkuro réfléchit une seconde avant de se mordre les lèvres, frustré, et de ramener la femme inconsciente dans leur cabine, songeant que Sylvie avait probablement dû y retourner elle aussi.
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Au même moment, dans une cabine de seconde classe.
"Ah, au final, il serait peut-être plus sûr de rester dehors..."
Sylvie avait, après bien des difficultés, fini par atteindre leur cabine ; mais la pièce était déserte. Les téléphones ne fonctionnaient plus, et le bateau était rempli d'ennemis.
"...Est-ce vraiment Huey qui est derrière tout ça ...?"
Dans une situation pareille, avec presque tout le navire qui se tournait contre elle, Sylvie hésitait entre rester ou sortir de la cabine--
"Bonsoir."
Quand une voix surgie de nulle part derrière elle l'empêcha de poursuivre sa pensée plus avant.
"Qui est là ?!"
Sylvie se retourna en hâte, et vit un jeune homme chaussé d'une paire de lunettes, portant une blouse de laboratoire rouge et noire.
"J'imagine que je dois dire... que c'est un plaisir de vous rencontrer enfin. Je me présente, Bride."
"...Vraiment... M. Bride...? Que faites vous dans cette cabine ?"
Sylvie envisagea que cet homme soit un des passagers des cabines voisines venu la capturer, mais rejeta vite cette hypothèse. Il y avait quelque chose de terriblement perturbant chez cet homme.
"...Comment êtes-vous entré ici ?"
"Veuillez me pardonner. Je me suis permis d'entrer en votre absence. Je possède la clé principale, vous voyez."
Sylvie fut horriblement frappée par la ressemblance entre la scène présente et la terreur qu'elle avait ressenti à bord de l'Advenna Avis, quand Szilard avait posé sa main droite sur sa tête. L'homme en face d'elle exsudait une atmosphère de danger, comme Szilard à l'époque.
"Je vais vous le demander une fois de plus. Qu'est-ce que vous faites ici ?"
L'homme répondit calmement, sans hésiter.
"Bien entendu, je suis venu demander ma future épouse en mariage."
"...Quoi ?"
Sylvie se figea. Elle s'apprêtait à l'interroger, mais l'homme l'interrompit.
"Pour faire simple... S'il vous plaît, épousez-moi. Je suis follement épris de vous depuis que j'ai vu cette photographie. Je n'éprouve aucun amour pour vous, mais j'ai été enchanté par votre beauté. S'il vous plaît, épousez-moi ; et méprisez-moi. Et maudissez ce monde dans lequel vous vivez."
"...Qu'est-ce que vous racontez ?"
Les paroles de Bride n'avaient aucun sens pour Sylvie. Elle décida de prendre ça pour une blague, et tenta de comprendre où il voulait en venir en jouant le jeu.
"...Malheureusement, je suis déjà engagée avec quelqu'un."
Mais la réponse de Bride la fit tomber des nues.
"Ah, vous parlez de Gretto Avaro, c'est ça ?"
"----?!"
Sylvie perdit contenance un instant, l'esprit encore sous le choc--et à cet instant précis, elle se fit asperger de gaz soporifique. Sa conscience commençait à sombrer, et elle avait du mal à percevoir la voix de l'homme.
"Alors les gaz soporifiques et autres conservent leur efficacité, même contre des immortels."
Très vite, elle perdit totalement connaissance.
"Le livre saint avait donc raison... je suis heureux qu'il ait été prouvé juste."
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Une heure plus tard ; dans la zone de stockage de l'Entrance.
Charon avait parcouru tout le navire dans un silence absolu, à la recherche de sa sœur.
Grâce à son arrière-grand-mère qui lui avait appris toutes les astuces pour se déplacer discrètement, et à l'entraînement personnel qu'il pratiquait pour ses cascades, Charon parvenait à se déplacer dans le navire en passant inaperçu, cherchant après Claudia et son équipe. Il ne lui vint jamais à l'esprit que l'arbre aurait pu se cacher dans la forêt ; et que la star d'Hollywood avait pu se réfugier dans un cinéma.
Charon chercha en long et en large autour de sa cabine et de la scène, regrettant de ne pas avoir de portable. Mais ce qui l'inquiétait davantage, c'était de n'être tombé sur absolument personne ; et encore moins Claudia. Les passagers étaient probablement retournés dans leurs cabines, et les membres d'équipage devaient se terrer à leur poste de travail. Charon n'avait aucun moyen de savoir combien de personnes comptait le groupe qui avait détourné le navire.
En filant silencieusement à travers la zone de stockage, il repéra soudain une voix humaine pas très loin. Il crut d'abord qu'il s'agissait de quelqu'un qui parlait tout seul, mais il réalisa qu'il s'agissait en fait d'un appel téléphonique. Le garçon se fit encore plus discret et s'approcha, tendant l'oreille pour écouter la conversation.
En conséquence de quoi, Charon Walken se retrouva dans une position plus dangereuse que n'importe qui à bord de l'Entrance.
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La galerie commerciale de l'Entrance.
Alors que le soleil commençait à virer à l'orangé dans le ciel derrière la poupe, les gens à l'intérieur du vaisseau perdaient peu à peu la notion du temps. La plupart des passagers restaient docilement planqués dans leurs cabines.
Une silhouette solitaire traversait la galerie encore partiellement éclairée. Ce tireur étrange, qui portait toujours ses lunettes de soleil malgré la pénombre, s'arrêta devant la fontaine du niveau inférieur. Il dégaina son pistolet d'un geste fluide et visa sur le côté.
"Arrêtez ça."
Le gangster livra son avertissement, et l'ombre sur laquelle il pointait son arme se révéla. La fille, qui se tenait accrochée au plafond du deuxième étage sans raison particulière, pencha la tête d'un air étonné.
"...Comment vous saviez que j'étais là ?"
"Une intuition."
Le gangster répondit nonchalamment. Illness fit la moue, l'air de douter de ses paroles.
"...Mais vous ne tuez pas les femmes et les enfants, pas vrai ?"
"C'est juste."
"Alors si je vous tire dessus là maintenant, vous allez mourir, pas vrai, monsieur ?"
La fille avec sa mitraillette observait le gangster à travers ses lunettes de vision nocturne, et ricana. Mais Angelo se mit lui aussi à rire calmement.
"Ah, peut-être, si je n'ai pas de chance."
"...Hé, monsieur. Pourquoi vous ne tirez pas sur les femmes et les enfants ?"
"Quand j'étais jeune, j'étais un orphelin ; je vivais dans la rue."
La tranquillité avec laquelle il s'exprimait surprenait Illness.
"Ces putains de villageois avaient parlé de 'nettoyer les rues'. Ils ont vidé leurs chargeurs dans les allées et les ruelles, sans aucune pitié pour les femmes et les enfants... Quand ils sont arrivés à mon petit coin dans l'allée, ils ont été obligés de partir parce qu'ils avaient épuisé toutes leurs munitions. C'est comme ça que j'ai survécu."
"...Pourquoi ces enfants devaient-ils mourir ?"
"Je vous l'ai dit, ils nettoyaient les rues. Plus précisément, c'étaient des mercenaires engagés par le village. Si je me rappelle bien, ils disaient que ça 'nuisait à l'esthétique de la ville'."
L'homme confiait calmement les détails de cet incident, qui devait l'avoir profondément traumatisé. Peut-être son coeur était-il devenu si froid que ça ne lui faisait plus rien, ou peut-être qu'il avait fait une croix sur son passé ; ou bien l'incident était si profondément enfoui dans son coeur qu'il pouvait se permettre d'en parler avec une certaine distance.
"La raison pour laquelle je ne tue pas les femmes et les enfants... ce n'est pas une revanche personnelle, pas vraiment un truc comme ça. ...C'est juste ma résolution, ma fierté en tant que gangster."
"...Et vous ne voulez même pas vous venger ?"
"Je me suis vengé."
"Ah."
Illness ne pouvait dissimuler sa surprise. Angelo reprit un ton impassible en s'expliquant.
"Figurez-vous que... Vingt ans plus tard, toute la population de cette ville s'est fait exterminer - sauf les femmes et les enfants - et la ville complètement raser. Bien sûr, nous étions une bande de pillards et de meurtriers, alors je n'appellerais pas ça une juste rétribution... mais j'ai mis fin à ce cycle de vengeance."
"Ne dites pas ça... ne rendez pas les choses si difficiles..."
L'arme commençait à trembler dans la main d'Illness. Qu'il s'en soit rendu compte ou non, Angelo continua à parler sans la regarder ; seul son pistolet pointé dans sa direction montrait qu'il s'adressait à Illness.
"Je n'ai nullement l'intention de me lamenter sur mon sort. Je suis sûr que vous avez votre propre croix à porter. Que mes petites misères soient pire que les vôtres ou non, peu importe de telles futilités. Certaines personnes dans ce monde meurent de la famine avant même de pouvoir profiter de leur première gorgée d'eau. D'autres mènent des vies malheureuses bien qu'ils ne manquent pas de nourriture, de confort ni d'une famille. Le bonheur, le malheur ; l'un dans l'autre, ce n'est pas ça qui vous aidera à survivre dans un bain de sang."
"..."
"Tout ce qui compte en cet instant, c'est que vous et moi soyons ici et là, nos armes à la main."
'Il--a raison.'
Ses mains cessèrent de trembler. Illness retrouva de la force grâce aux paroles d'Angelo et s'était décidé à presser la détente, quand soudain--
Une voix surgie de l'ombre la fit s'arrêter net.
"Ah... Excusez-moi. Vous venez de dire que vous ne tuez pas les enfants, non ? Je suis un gamin, alors ne tirez pas, s'il vous plaît."
Et de l'obscurité sortit--
"Franchement... Claudia est complètement folle d'envoyer un gamin en reconnaissance dehors ; et tous les membres d'équipage n'ont rien dit. J'imagine que la star est vraiment reine à Hollywood."
Un garçon levant les mains en l'air ; un garçon qu'Illness avait rencontré il n'y a pas très longtemps.
"C-Czes !"
Illness se mit à crier, en apercevant le garçon s'approcher depuis la direction du cinéma.
"Ah, fais gaffe ! Ce type est un tireur redoutable--"
"Attends. Tu t'appelles... 'Czes'...?"
Czes fut interloqué de voir l'homme interrompre Illness pour s'adresser à lui, mais les mots qui suivirent dissipèrent aussitôt son inquiétude.
"Ne me dis pas... que tu es le jeune frère de Firo ?"
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Pendant ce temps, Firo se déplaçait seul dans le navire, courant à la recherche de Czes.
'Où est-ce qu'il a bien pu passer ? Et qui était cette personne avec lui hier ?'
"Hein...?"
Juste au moment où Firo envisageait de retourner à sa cabine, plutôt que de courir n'importe où aveuglément--
Il entendit des coups de feu résonner pas loin.
'Ce bruit... c'est le fusil d'assaut du type en tenue de combat !'
Alors que Firo dévalait les couloirs en direction de la fusillade, il vit un garçon qui courait sur le mur droit vers lui.
"Ch-Charon ?! H-hé ! Attends !"
"...Cachez-vous," murmura Charon, en passant à côté de Firo. C'était un spectacle plutôt incongru que de voir quelqu'un se déplacer dans les couloirs en sautant sur les murs et le plafond, mais Firo savait ce qui suivait immanquablement quand c'était Claire qui se mettait à bondir ainsi.
'Il se jetterait sur un type armé pour l'étriper en moins de deux--'
Soudain, le bruit de la fusillade retentit au fond du couloir, et Firo vit une nuée de projectiles filant dans sa direction.
"Aaaagh ?!"
Firo fit comme Charon et se projeta sur le côté, esquivant les balles... ou plutôt, il eut de la chance et s'en sortit intact.
"Bon dieu ! Alors c'est vous !"
Firo dirigea son regard vers le fond du couloir, et vit l'homme en tenue de combat, toujours muni de son fusil d'assaut. Il semblait avoir remarqué Firo lui-aussi ; Firo se prépara à l'attaque qui allait suivre, mais--
Étrangement, l'homme masqué se retourna brusquement et disparut dans un couloir.
"? Qu'est-ce qu'il fabrique ?"
"...Ça va ?" lui demanda Charon, derrière lui. Firo se releva lentement.
"Ouais. Pourquoi ce type te poursuivait ?"
"..."
Le garçon haussa les épaules. Firo soupira silencieusement.
"Bon, qu'est-ce que tu fais là ? Où est Claudia ?"
"Je... la cherche."
Firo s'apprêtait à soupirer de nouveau, quand son téléphone se mit à sonner. L'appel venait d'Angelo, ce qui voulait dire que le réseau était de retour, au moins sur le navire.
"Attends une minute. C'est une connaissance. ...Allô ? Ouais... Oui. Quoi ? Vraiment ?"
Après une brève conversation, Firo raccrocha et s'exprima avec soulagement.
"Je sais où est Claudia. Elle est avec Czes en ce moment."
En entendant ça, l'expression stoïque de robot habituelle de Charon s'adoucit très légèrement.
"Hé ben ça ?! On dirait que toi aussi ça te réjouit de retrouver Claudia !"
Firo soupira encore tandis que le sourire s'effaçait du visage de Charon. Charon se mit à murmurer dans un soupir, plus stoïque que jamais.
"...Bien sûr."
Firo ne put contenir son sourire réjoui.
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Deux heures plus tard.
Le parc d'attractions de l'Exit.
C'était un parc rempli de jeux et d'attractions pour les enfants, presque aussi grand que la plupart des parcs d'attractions. Il y avait plein de petites montagnes russes, et même un circuit de karts électriques. Le Rookie et Aging se frayaient un chemin à travers le parc, tout en observant un groupe d'enfants qui restaient immobiles à l'entrée.
"Que font des enfants ici à un moment pareil..."
Le Rookie essaya de s'approcher d'eux, mais Aging le retint brusquement.
"Une seconde, patron. Regarde mieux."
"Hein...?"
Un instant plus tard, le Rookie réalisa que la plupart des enfants étaient habillés en rouge et noir.
"Non..."
En regardant plus attentivement, il reconnut le petit gamin qu'il avait rencontré en embarquant à bord, accompagné de sa petite sœur.
'Ce n'est... pas possible...
Mais... ce ne sont que des enfants...'
Ils semblaient tous tenir des couteaux et d'autre objets tranchants, mais le Rookie refusait de croire qu'il puisse s'agir d'autre chose que de jouets.
"Alors ils ont fini par envoyer leur marmots. On dirait que même nos ennemis commencent à être à court de ressources."
Aging parlait avec la même exaltation que toujours, même face à une situation pareille. Le Rookie la dévisagea et se dissimula silencieusement derrière l'une des attractions. Peu après, Aging fit de même et s'accroupit à côté de lui.
"Et maintenant ?"
"...Quoi maintenant ?"
"Fais pas semblant. Je te demande si je peux buter ces mioches avant qu'ils décident de nous attaquer."
"...!"
Le Rookie prit la question comme un coup de poing à l'estomac.
"T'sais, y'a plein d'enfants soldats sur les vrais champs de bataille. Death se serait probablement occupé d'eux avant qu'on se fasse attraper... ou pendant qu'on discute tranquillou comme ça. Mais je ne suis pas une pro comme lui ; perso je m'en fiche. C'est toi qui vois, patron."
Les paroles d'Aging, mêlées de bâillements intempestifs, ressemblaient à un test pour le Rookie. Les deux solutions s'affrontaient dans son esprit. Devait-il les éliminer, en tant que président des Mask Makers ? Mais les Mask Makers n'avaient-ils pas commencé en sauvant des enfants maltraités comme eux ?
"Alors... tu veux dire qu'un pro peut tuer des gens comme ça, sans hésiter ?"
"Drôle de question, ça, patron. Ça dépend des gens : certains peuvent appuyer sur la détente sans se poser de questions, comme dans les films ; d'autres en sont incapables, comme dans ces autres films. Ça me paraît évident, non ? La question, c'est ce que tu veux faire, patron."
"Alors ne les tuez pas."
'Hein ?'
Cette réponse ne provenait pas du Rookie. Même Aging avait l'air étonnée ; elle avait les yeux écarquillés en observant la personne qui venait de parler. Celui qui avait répondu à la place du Rookie était leur cible principale : Elmer C. Albatross lui-même.
"Vous aviez l'air d'avoir du mal à vous décider, alors je vous dis ce que j'en pense."
"..."
Quand était-il arrivé ? Et pourquoi était-il là, d'ailleurs ?
"Comment... Que faites-vous là ?"
"Ah, désolé. Je ne voulais pas vous faire peur."
Elmer souriait, mais il parlait doucement afin qu'ils ne se fassent pas repérer. Et toujours avec le sourire, il révéla un fait surprenant.
"Je vous cherchais. C'est vous le chef actuel des Mask Makers, pas vrai ?"
"----!"
Le Rookie fut choqué d'avoir été démasqué. Aging, cependant, rit d'un ton amusé et lui répondit.
"Ah ? Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ?"
"Ah, vous voyez, j'ai vu l'annonce de ces gens qui ont détourné le navire et qui prétendent être les Mask Makers ; et ces gens en rouge et noir qui ont l'air de travailler avec eux... leurs expressions ressemblent exactement aux effets de cette drogue qui circulait dans cette ville autrefois. Et en plus, je croise un garçon de Lotto Valentino qui ressemble étrangement à Monica. Je pense que n'importe qui serait capable de deviner avec autant d'informations."
"Alors pourquoi êtes vous venu me trouver ?"
"J'allais me rendre paisiblement et suggérer que vous mettiez fin à toute cette histoire de collision et faire une super fête pour mettre tout le monde de bonne humeur ; mais on dirait que ça ne va pas être aussi simple, hein ?"
Elmer se mit à rigoler et parla comme pour tranquilliser le Rookie, ignorant complètement l'atmosphère qui régnait dans le parc.
"Je ferai tout mon possible pour faire revenir ce sourire que vous aviez durant le spectacle de magie, alors dites-moi ce que je dois faire. Techniquement, je fais toujours partie des Mask Makers, alors j'attends vos ordres, patron !"
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Plusieurs heures après, sur la scène du pont supérieur.
Le soleil s'était élevé au firmament, par delà l'horizon.
"...Qu'est-ce que...?"
Quand Sylvie reprit conscience, elle réalisa qu'elle portait une robe de mariée. Mais cette robe était teinte en rouge et noir : tout droit sortie des fétiches pervers d'un esprit malade.
"Ah, vous êtes réveillée. Comment vous sentez-vous ?"
Devant elle se tenait l'homme qui s'était présenté comme Bride dans la cabine - et autour de la scène, des douzaines de gens en rouge et noir les observaient, ainsi que des enfants vêtus de blanc, avec des bandeaux sur les yeux et les mains liées. Ayant tout de suite réalisé la situation dans laquelle elle se trouvait, Sylvie répondit en soupirant.
"Pour une surprise... Je n'aurais jamais pensé me faire enlever deux années d'affilée."
"Vraiment ? Bonté divine, j'envie celui qui vous a capturé l'année dernière, qui qu'il puisse être."
"Alors... Qui vous a parlé de Gretto ? C'était Huey ?"
Sylvie éleva la voix sans crainte, malgré sa situation épineuse. Elle avait déjà fait face à la plus grande peur de sa vie ; ayant accepté le fait que Gretto se soit fait dévorer, elle jeta sa question au visage de ses kidnappeurs, afin d'élaborer un plan d'action. Elle était sûre que ces gens avaient été manipulés par Huey, et que cette invitation était un piège tendu à leur encontre, mais--
"...'Huey' ? Qui est-ce donc ?"
Bride l'interrogea, l'air sincèrement surpris. Sylvie fronça les sourcils, confuse.
"...Alors qui vous l'a dit ?"
"Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous avons des amis partout. Par exemple, même à bord de l'Advenna Avis, ce lieu de souvenir tragique."
"...Bon, essayons autre chose. Qui êtes vous ?"
"Très bien. Laissez-moi commencer depuis le début."
Bride éleva silencieusement les mains en l'air. Á cet instant, les enfants attachés, malgré leurs yeux bandés, commencèrent à réciter le chant gravé dans leur esprit comme s'ils hurlaient de douleur. Il n'en fallut pas plus à Sylvie pour décider que, qui que soient ces gens, Bride n'arriverait certainement pas à la convaincre d'un quelconque arrangement.
Au bout de plusieurs minutes, Bride finit enfin d'expliquer les tenants et les aboutissants de sa foi. Ensuite, il saisit tranquillement les seringues sur l'estrade et les planta dans son propre cou. Après une espèce de cri torturé, Bride se retourna vers elle, l'air plus maniaque que jamais.
"Hé bien, mon éternelle et exaltée fiancée... comprenez-vous maintenant pourquoi vous devez m'épouser ?"
"Ce que vous dites, c'est qu'une fois qu'on aura atteint une sorte d'équilibre harmonieux entre vous, la personne insensible à la souffrance, et moi, la personne qui sera torturée, vous deviendrez un genre d'humain à part entière, ou un délire du même style."
"C'est un poil plus complexe que ça, mais je suppose qu'on pourrait résumer ainsi l'essence de notre philosophie."
Sylvie avait essayé de se montrer aussi condescendante que possible, mais Bride avait accepté l'insulte sans s'offusquer aucunement. Ces gens semblaient être insensibles à tout, même aux insultes.
"Bien sûr, si vous refusez absolument notre offre, nous avons un autre candidat en vue. Mais tant que votre existence immortelle continuera et que notre foi persistera, vous finirez un jour par devoir accepter d'endosser votre rôle d'épouse... quelle tristesse."
"C'est bien vous qui dites que vous allez m'épouser, non ? Ça n'a pas l'air de vous intéresser plus que ça."
Ils continuaient la conversation, mais Sylvie avait très vite renoncé à communiquer avec cet homme. Celui qui l'avait enlevé l'an dernier était au moins une personne qu'elle pouvait comprendre dans une certaine mesure, mais ces gens agissaient et pensaient d'une façon complètement étrangère.
Sylvie leva la tête, comme pour reconnaître sa défaite, avant de se figer de stupeur pour une raison complètement différente.
"Attendez..."
'Ils avaient annoncé la nuit dernière... que la collision se produirait ce soir ?'
Le soleil n'avait pas encore atteint le zénith ; il devait rester à peu près deux heures avant qu'il soit midi. Et pourtant quelque chose avait capté son attention. Le paysage depuis la scène du pont supérieur était sublime : l'horizon d'un azur profond ne faisait que renforcer sa magnificence. Et c'est exactement pourquoi--
L'imposante silhouette blanche qui se profilait à l'horizon et se dirigeait droit vers eux avait retenu son attention ; elle sentit son estomac se contracter.
"Il est presque l'heure de la Rencontre... on dirait que l'autre vaisseau a lui aussi pressé la cadence."
"...Vous ne vous sortirez pas indemnes d'un choc pareil, vous savez."
"Bien sûr... Hé bien, redescendons à l'intérieur pour l'instant. Il ne serait guère convenable de tomber à l'eau, après tout."
Les gens qui l'entouraient, Bride y compris, étaient d'une tranquillité telle qu'on aurait dit qu'ils profitaient de l'essence même du bien-être. Et c'est exactement pour ça que Sylvie les trouvait repoussants. C'était presque comme se retrouver face à des copies médiocres d'Elmer.
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Et le destin s'abattit sur eux à cet instant.
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D'une vue d'oiseau, on aurait presque dit une éclipse. Deux gigantesques masses noire et blanche s'approchaient lentement l'une de l'autre. Elles commencèrent à freiner à l'unisson, comme si tout était prévu à l'avance--
Et pourtant elles ne s'arrêtèrent pas.
Lentement, lentement, lentement, lentement--
Mais le moment arriva.
Les deux vaisseaux, comme le soleil et la lune--
Petit à petit--
Avec élégance--
Se rapprochèrent dans une sorte de parade nuptiale maritime--
Et finalement, ne firent plus qu'un.
Bien sûr, c'était impossible.
Un craquement violent, puissant, à vous exploser les tympans retentit sur l'océan. Même si les deux navires n'avançaient plus qu'à une vitesse infime, le choc de l'impact résonna à travers les deux bâtiments ; un son d'une puissance telle qu'il aurait pu mettre en pièces le vaisseau à lui tout seul.
Les deux vaisseaux avaient évité la collision de plein fouet, et avaient fini par se retrouver coque contre coque, en raclant l'un contre l'autre. C'était comme une voiture dérapant contre le rail de sécurité : ils ne se heurtaient pas, mais ils se déchiraient mutuellement.
Les passagers des deux navires se mirent simultanément à crier. Bien entendu, les cabines à l'intérieur n'avaient pas échappé au choc de l'impact. Les passagers accroupis au sol valdinguèrent en tous sens sur le sol de travers. Malgré ça, les dommages restaient minimes pour une collision de cette ampleur.
Après le choc initial, tandis que les deux navires se frottaient l'un à l'autre, ils s'écartèrent en basculant légèrement. Ils ne penchèrent pas suffisamment pour se retourner complètement ; mais l'écart entre les deux vaisseaux s'agrandit jusqu'à atteindre une vingtaine de mètres. Une trentaine de secondes plus tard, les navires se balancèrent de nouveau l'un contre l'autre en secouant. Les navires penchèrent de nouveau, et répétèrent leurs mouvements de pendule - de moins en moins intenses - une douzaine de fois. Et environ cinq minutes après la collision initiale, les deux vaisseaux s'immobilisèrent enfin.
D'après les plans d'une certaine personne, l'Entrance exploserait ensuite en mille morceaux, et les membres de SAMPLE à bord de l'Exit commenceraient leur massacre--
Mais en fait, tout prit fin durant ces cinq dernières minutes.
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"...Chers fidèles. Une fois que le navire aura cessé de remuer, nous atteindrons enfin notre objectif : il sera temps de s'occuper de notre dieu sacrificiel."
Alors même qu'ils étaient secoués par l'impact, les membres de SAMPLE continuaient d'afficher un ravissement inébranlable sur leurs visages.
Tout en luttant désespérément pour garder l'équilibre malgré les secousses, Sylvie se demandait quel genre de drogue pouvait bien leur permettre de rester ainsi en toutes circonstances. Il y avait du sang éclaboussé partout sur les murs, et le sol était recouvert de ce qui devaient être des morceaux de cadavres ; mais les hommes et femmes présents semblaient n'y porter aucune attention. Bride continuait à parler calmement à côté de Sylvie, restant imperturbable malgré le sol qui penchait sous ses pieds.
"Il semblerait que ces soi-disants 'Mask Makers' se trouvent aussi à bord de l'autre navire, mais nous allons mettre fin à leur existence, leur épargnant toute souffrance--"
Cependant, le discours de Bride fut brusquement interrompu lorsqu'il laissa échapper une exclamation sortie de nulle part.
"Un requin...?"
Bride aperçut, alors qu'ils se dirigeaient du pont vers la passerelle--
Un énorme requin volant vers eux depuis l'Entrance.
Le requin tomba à bord et se mit à glisser sur le pont, comme un poisson frétillant sautant sur le bateau. Personne n'émit de cris, mais la petite centaine de fidèles qui se déplaçaient sur le pont et ceux à la passerelle se trouvèrent figés de surprise.
Et tandis que les navires continuaient à se balancer d'avant en arrière, deux silhouettes suivaient le requin dans son sillage.
L'une d'elles était un jeune homme immortel au visage enfantin.
L'autre était un homme portant une veste noire, un pistolet dans chaque main.
L'homme à la veste courait sans hésiter, malgré les secousses du bateau--
Et tira immédiatement dans les jambes des gens en rouge et noir qui gardaient l'accès de l'entrée principale aux ponts inférieurs. Ceux qui se tenaient derrière leurs camarades touchés identifièrent aussitôt l'homme en noir comme un ennemi ; la vague suivante de fidèles se prépara à attaquer.
Cependant, alors qu'ils s'apprêtaient à répliquer--
De multiples flashes lumineux scintillèrent sur le pont supérieur de l'Entrance, traçant un arc de fumée dans le ciel. Soudain, les obus de lance-roquettes explosèrent - chacun neutralisa une douzaine de personnes d'un seul coup.
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Les gens qui venaient de tirer ces missiles rechargeaient leur lance-roquettes en bavardant.
"Qui aurait pensé que la situation tournerait comme ça ?"
"J'imagine que les stars vivent vraiment dans un monde à part."
L'un des hommes avait dans sa poche un carnet avec l'autographe de Charon.
Quand à l'autre - c'est le masque qu'il portait sur son visage que Charon avait signé.
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Plusieurs heures plus tôt, Illness était apparue devant les Mask Makers en pleine panique, en disant, "J'ai apporté un otage !". Ils allaient l'envoyer paître en répliquant "Nous n'avons pas besoin de plus d'otages ! Va t'occuper de ce foutu gangster," mais ils changèrent vite d'avis après avoir vu le garçon et la fille qui suivaient Illness. Et l'otage auto-proclamé - la star d'Hollywood - s'exprima avec autorité, sans hésitation.
"Illness m'a raconté l'essentiel. Votre chef à bord de l'autre navire est en danger, c'est ça ? Alors nous devons allier nos forces pour le moment !"
Logiquement, c'était une suggestion impensable. Ils commencèrent par se montrer récalcitrants, mais une information cruciale que leur révéla Charon et une discussion avec Firo (qui avoua son immortalité) finit par les convaincre. Une alliance temporaire se forma.
"...Mais je ne pensais pas que ce gangster nous rejoindrait aussi..."
"Il ne va quand même pas essayer de buter le patron, hein ?"
"Nan, j'crois pas."
"Qu'est-ce qui te fait dire ça ?"
L'homme au masque autographié souleva le lance-roquettes et visa posément tout en répondant à son partenaire.
"C'est un de ces tireurs de la vieille école ; il ne tue pas les femmes et les enfants."
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Alors que la seconde volée de roquettes explosait, SAMPLE réalisa qu'ils étaient également traqués de l'intérieur. Ils commencèrent à recevoir des rapports signalant que les immortels avaient surgi dans le bureau des communications et dans la salle de contrôle, éliminant leurs membres un par un.
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Dans le bureau des communications ; un homme couvert de sang étouffait la secrétaire d'une seule main en marmonnant, "...Je l'affirme. Vous pouvez vous estimer heureux que j'ai retrouvé mon calme." Nile observait les fidèles éparpillés au sol, dont la vie ne tenait plus qu'à un fil. Il déposa la femme inconsciente au sol.
"...Quelle corvée."
Il marmonnait seul, en observant son estomac, qui avait été transpercé par la secrétaire, se soigner de lui-même.
"...Dès que cette alliance prendra fin, j'exige un combat contre cette espèce d'Amazone gigantesque."
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Pendant ce temps, un asiatique aux yeux plissés marmonnait de son côté, dans la salle de contrôle des machines.
"Bonté gracieuse. Elmer n'apprendra donc jamais à montrer un semblant de délicatesse envers ses semblables."
Contrairement à la scène qu'offrait le bureau des communications, ici les fidèles étaient tous miraculeusement indemnes ; ils avaient seulement perdu connaissance. Denkuro les attachait avec des cordes tout en secouant la tête.
"Et pourtant... peut-être est-ce celui-ci qui s'est montré trop faible, en étant incapable d'offrir son assistance afin de secourir Sylvie."
Denkuro inspira et finit de ligoter le dernier fidèle, luttant contre ses pensées vagabondes.
"Quoi qu'il en soit, que nous prépare Elmer ? Compte-t-il vraiment régler lui-même la situation avec les Mask Makers une fois cette alliance rompue...? Curieux..."
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C'était une solution évidente. Ils avaient fait cause commune. Voilà tout.
Étant donné que les communications téléphoniques étaient possibles entre les deux navires, les membres de SAMPLE s'étaient préparés à affronter les Mask Makers à bord de l'Entrance. Mais Bride et les autres n'avaient jamais envisagé la possibilité que tout le monde puisse s'unir face à eux.
Ils avaient cruellement manqué de chance lorsque, quand Elmer avait été trouver le Rookie, Aging avait reçu un appel de l'Entrance. Au final, chaque groupe avait pu partager leurs informations sur ce qui s'était déroulé à bord de chaque navire ; et ils aboutirent à la conclusion qu'il fallait en priorité s'occuper des types en rouge et noir.
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Un homme pénétra dans la passerelle d'un pas assuré. Cet homme observa Bride et la vingtaine de fidèles qui l'entouraient en souriant avant de s'adresser à eux.
"J'imagine que je devrais dire... Salut tout le monde !"
"Elmer !"
L'immortel détendu aperçut Sylvie, attachée à une chaise.
"Tout va bien, Sylvie ? Si le kidnapping est ta nouvelle passion, loin de moi l'idée de t'en empêcher ; mais je préférerais que tu souries un peu."
Ayant reçu un regard tueur en guise de réponse, Elmer décida de ne plus fixer Sylvie dans les yeux après ça. Pendant ce temps, Bride parlait à Elmer d'un ton joyeux, malgré que son plan tombe en morceaux.
"C'est un honneur de finalement vous rencontrer, ô jeune garçon qui étiez autrefois notre dieu sacrificiel."
Elmer plissa les yeux à ces mots, mais n'en garda pas moins le sourire en répondant.
"Ah... Je me disais bien que ça devait avoir un rapport avec toute cette histoire."
"Alors vous comprenez ce que nous voulons ?"
"Je vous comprends, mais je ne peux pas accepter ce que vous faites. Sylvie est une amie précieuse--"
Elmer essayait de saisir les intentions de Bride ; il observa les 'haut-parleurs' - les enfants attachés et aux yeux bandés - dans un coin de la salle, et sourit en silence.
"Et je tiens vraiment à voir ces enfants sourire, aussi. Alors, juste au cas où, est-ce que vous accepteriez de tout arrêter maintenant ?"
"...Quels mots étranges."
"Vous êtes tous drogués, et vous avez déjà l'air si heureux. Qu'est-ce qu'il vous faut de plus ?"
Dans un sens, sa question coupait court au bavardage pour aller droit à l'essentiel. Bride lui répondit stoïquement, "...la tranquillité d'esprit."
"...?"
"Nous désirons la tranquillité d'esprit. C'est ce que dit le livre saint."
"..."
"Nous avons besoin de ce qui soutient notre bonheur. Nous avons besoin du moyen de confirmer notre bonheur. Et nous avons besoin de la 'tranquillité d'esprit' : quelque chose qui exprime notre bonheur en tant qu'humains. Si nous ne possédons pas ces choses, ce n'est pas une joie sincère, mais une simple illusion que nous ressentons."
La tirade de Bride sonnait faux. Elmer soupira silencieusement, leur offrant un sourire gêné.
"Trois cent ans plus tôt, les citoyens de ma ville natale tuaient des enfants pour obtenir la tranquillité d'esprit."
"..."
"On dirait que les gens ne changent pas, même après trois siècles..."
Elmer évoquait son passé d'un ton nostalgique, et sourit.
"Mais c'est peut-être pour cette raison que je suis devenu un immortel, après tout."
Le sourire d'Elmer avait quelque chose de mélancolique ; on aurait presque dit qu'il faisait ses adieux à Bride.
"Alors que comptez-vous faire ? Que pouvez-vous faire, seul ?"
"...Je ne vais rien faire de particulier aujourd'hui. Je pourrais vous souhaiter tout le bonheur du monde, mais vous êtes déjà heureux."
"?"
"Vous avez l'air franchement heureux. Et même si vous deviez mourir, la drogue vous rendrait heureux jusqu'à la fin. C'est pour ça--même si vous mourrez maintenant, je sais que vous seriez heureux malgré tout. Alors je ne vais rien dire. Non..."
Elmer fit une pause, avant de se corriger.
"Je ne... peux rien dire."
Á cet instant--
Les fenêtres de la passerelle volèrent en éclats tandis qu'une silhouette gigantesque débarquait dans la pièce.
"Gahaha ! C'est bon, z'avez fini de bavarder ?"
La femme dont la musculature formait une armure à elle toute seule sourit d'un air enthousiaste - un sourire digne d'Elmer --
Et se mit à décharger son minigun, avant de se jeter dans la mêlée avec son Kukri.
<==>
Sur le pont de l'Exit.
Pendant qu'Angelo s'occupait de nettoyer les ponts inférieurs, Firo était resté pour se charger du reste de SAMPLE.
Il avait entendu parler de 'zombies' au téléphone, mais ces créatures dépassaient de loin ce à quoi il s'attendait. Même si Firo se battait à mains nues - sans même un simple couteau - il savait que ses coups leur infligeaient des blessures sérieuses. Pourtant, il voyait ces gens en rouge et noir se relever pour poursuivre leur assaut, insensibles à la douleur ; il décida de changer de stratégie et de les assommer l'un après l'autre.
Il visait le cou ou la tempe afin de frapper directement au cerveau. Á l'exception de leur résistance inhumaine, de leurs réflexes renforcés et de leur force monstrueuse, ces gens restaient des humains ordinaires. Firo arrivait à se battre malgré le surnombre grâce à sa méthode imparable pour les mettre hors de combat. Cependant, leur nombre ne cessait d'augmenter ; quand ils dépassèrent la centaine, Firo secoua la tête.
"Bon sang... Je suis vraiment censé neutraliser plus de cent personnes ? Si j'avais un couteau, au moins..."
Tandis que Firo continuait à déplorer sa situation, le nombre de membres de SAMPLE augmentait toujours. Certains d'entre eux avaient amené des mitraillettes et même leur propre lance-roquettes. Acculé contre la rambarde du pont, Firo se trouva pris de sueurs froides. Plissant les lèvres dans un rictus amer, il se résolut à donner le signal et leva le bras bien haut. Et à cet instant--
Un nuage de gaz incolore sortit de la gueule du requin animatronique qui s'était immobilisé sur le pont.
Pas plus de quelques secondes plus tard--
Les gens en rouge et noir qui avaient inhalé le gaz commencèrent à s'effondrer, pris de convulsions, comme un poisson dans un filet. Leurs expressions restaient paisibles, mais leur respiration était tellement hachée et interrompue de violentes quintes de toux qu'ils ne pouvaient plus résister. Firo se couvrit soigneusement la bouche avant de se frayer un chemin du bon côté du vent, impressionné par la puissance du gaz empoisonné.
'Fichus Mask Makers... dire qu'ils ont amené un truc aussi dangereux à bord...'
Firo eut la confirmation que, même s'ils étaient pour l'instant ses alliés, ces bandits ne devaient pas être sous-estimés ; puis il se jeta de nouveau dans l'affrontement contre les gens en rouge et noir.
'Ces gens en veulent aux immortels. C'est à dire, aux amis de Maiza.'
En repensant à eux, Firo vit leurs visages apparaître dans son esprit. Bien sûr, ils ne venaient pas de ses souvenirs personnels, mais de ceux de Szilard et des alchimistes qu'il avait dévoré.
'Quelle sensation étrange.'
Firo avait accepté de servir d'appât pour aider ces gens qu'il avait très bien connus, et pourtant jamais rencontrés.
"Pourquoi faites-vous ça, malgré le danger que vous courez ? Ne me dites pas que c'est à cause de votre immortalité ; après tout, si vous ne pouvez pas mourir, ça veut dire que vous pouvez ressentir une quantité de souffrance absolument inhumaine."
Quand Angelo l'avait interrogé, Firo avait ri d'un air embarrassé avant de répondre.
"Ah, tout ça, c'est juste pour ma satisfaction personnelle--
J'avais juste envie de faire ça. J'avais envie de me mettre un peu en valeur devant ma famille."
Firo rougit en se souvenant de ses paroles et secoua la tête. Il était prêt à affronter le monde entier pour une raison aussi bête. Peut-être tenait-il juste, au moins, à prouver sa résolution à Ennis. Il voulait lui prouver qu'il était son mari et qu'il l'aimait, envers et contre tout.
Et tandis que Firo risquait son âme pour sa famille--
Un garçon qui risquait sa vie pour un ancêtre depuis longtemps trépassé se mit en travers du chemin d'un certain homme.
"Hm...?"
Bride, ayant tout juste réussi à s'échapper de la passerelle en un seul morceau, se retrouva face à un garçon aux cheveux blonds.
"Vous êtes... Luchino, c'est cela ?"
"Oui. Je suppose que je devrais vous dire, 'c'est un plaisir de vous rencontrer'."
"Très bien. Heureux d'avoir fait votre connaissance."
Bride essaya de passer, ignorant Luchino.
"...Un moment, je vous prie."
"...Qu'y a-t-il ? Je ne me rappelle pas avoir une affaire à régler avec vous."
Bride s'exprimait d'un ton distant. Ses mots étaient froids, dépourvus d'émotion. Et pourtant l'homme affichait toujours un sourire joyeux. Luchino, que cette expression rendait malade, prit un ton glacial pour l'interroger.
"Je voulais savoir... Je ne sais pas qui vous êtes ; mais je tiens à savoir. Qu'est-ce que vous voulez...? Dans quel but mes subordonnés sont-ils morts ?"
"C'est simple."
Bride s'arrêta un moment, et répondit nonchalamment.
"Vous avez été tués pour assouvir nos désirs."
"...Vos désirs, hein. Je ne dirais pas que je n'en ai jamais ressenti..."
"Le désir est la motivation primaire de toute forme de vie. Même le souhait d'un ascète qui cherche à se débarrasser de ses désirs est un désir en soi..."
Pendant que Bride parlait, les deux navires se heurtèrent de nouveau, créant une secousse importante. Luchino en profita pour se rapprocher aussitôt de Bride et le poignarda de côté avec le stylet caché dans sa manche.
Il n'hésita pas un instant cette fois ; son geste ne lui inspirait aucune nausée. L'homme en face de lui avait détruit les vies de ses amis et traîné le nom des Mask Makers dans la boue. Il ne pouvait pas le pardonner. Mais--
"Excusez-moi, vous me bloquez le passage."
L'homme écarta Luchino d'un geste, comme si la lame qui avait percé son flanc ne le gênait pas le moins du monde. Il était trop fort pour le garçon ; Luchino fut projeté par terre sans pouvoir se retenir.
"...Encore un peu et j'aurais pu trouver ça douloureux."
Bride sourit, tout en affichant un air d'ennui--
Il fit un pas en avant et commença une tirade éloquente - ou prétentieuse.
"Si on y pense bien, vous et moi sommes presque diamétralement opposés dans nos actes et nos philosophies. Je n'ai pas votre volonté, et vous n'avez pas ma foi. Volonté et foi peuvent paraître les deux faces opposées d'une même pièce, mais en fait elles appartiennent à deux lignes de pensées parallèles, qui ne se croisent jamais. C'est pour ça que nous ne pouvons que passer l'un à côté de l'autre."
Il n'accorda même pas un regard à Luchino--
Et manqua complètement l'astuce derrière son tour.
"Vous avez raison... Je ne comptais pas discuter avec vous de toute façon."
"...?"
"Je savais depuis le début que vous et moi n'avions rien à voir ! C'est ça ! Je savais tout ça depuis que vous avez assassiné mes précieux employés ! J'ai... C'est pour ça que, en tant que magicien--"
Luchino tordit les lèvres dans un rictus malveillant et se mit à ricaner.
"En tant que magicien, j'attendais juste le moment adéquat."
"...?"
Au moment où Bride se retourna pour voir de quoi parlait Luchino--
Il s'effondra par terre sans pouvoir résister et sentit son corps être tiré en arrière par une force terrible. La pression était telle qu'il avait l'impression d'être déchiré en deux.
Bride ne l'avait pas remarqué, mais Luchino ne l'avait pas poignardé afin de le blesser. Pendant que Bride avait l'attention attirée par le coup de stylet, Luchino avait enroulé autour de son corps une fibre de nylon extrêmement robuste, utilisée pour des tours de lévitation. Et l'autre bout de la fibre--était attaché à la rambarde du pont de l'Entrance, qui se balançait d'avant en arrière comme un pendule.
"Agh... Gah..."
Bride était incapable de résister à cette force qui l'entraînait. Le garçon ne resta pas assister à la conclusion de son tour, et se contenta de lui offrir ces derniers mots.
"Si vous aviez eu peur de souffrir et aviez essayé d'éviter le coup... vous auriez pu survivre."
Le corps de Bride glissa sur le pont, passa par dessus la rambarde, et fut tiré par dessus bord. Heureusement pour lui, l'Entrance et l'Exit se balançaient à l'écart l'un de l'autre. Bride tomba vers la mer entre les deux mastodontes, mais parvint à se rattraper à la partie inférieure de la rambarde.
"Ugh..."
Ses paumes en sueur glissaient, et il commençait à perdre prise. Ce n'était qu'une question de secondes avant qu'il tombe pour de bon.
Mais à cet instant même, quelqu'un saisit son bras. La personne qui l'avait retenu pour l'empêcher de tomber à la mer était--
"Rucott ?!"
La femme que Bride avait ramenée en guise d'épouse de substitution. Cette femme - Silis - s'était débarrassée de sa robe rouge et noire. En petite tenue, elle serrait fermement les mains de Bride dans les siennes.
"Vous êtes plus léger que vous n'en avez l'air. ...Je vais vous dire quelque chose d'important. Pas à 'vous', le chef de culte complètement taré, mais à 'vous'--le mari détraqué qui m'avez pris pour épouse."
La femme qui le retenait à travers la rambarde continuait à parler ; son regard montrait clairement qu'elle avait retrouvé toute sa santé mentale.
"Vous comprenez ? Les gens... ne peuvent s'endurcir que grâce à la souffrance qu'ils ressentent. Si je me tiens toujours là, saine et sauve, c'est grâce à tout ce que vous m'avez infligé."
"..."
Et sur ces mot sarcastiques, Silis eut un sourire cruel.
"Quand au chef de culte cinglé, voilà pour lui--"
Son sourire était d'une extase complète--
"Crevez d'une mort indolore, comme la lavette pathétique que vous êtes, espèce de sale enflure."
Très vite, l'Entrance se balança de nouveau vers l'Exit comme un pendule. Comme les deux vaisseaux faisaient la même hauteur, il se heurta à l'Exit avec une force suffisante pour écraser quoi que ce soit qui serait resté accroché au bord du navire--
Et Silis ne lâcha pas avant que les deux navires ne s'écartent à nouveau.
Résultat, elle n'entendit jamais le cri de Bride--
Mais elle se contenta de la giclée de sang qui accompagna l'impact, et des bras coupés qui atterrirent de l'autre côté du pont.
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Ce spectacle se répandit comme une traînée de poudre parmi les autres fidèles--
Et les gens en rouge et noir commencèrent à battre en retraite. Leur évasion fut si rapide et organisée que personne n'eut le temps de repérer où ils avaient disparu. SAMPLE s'évanouit du navire comme un seul homme, emportés par la marée.
Firo et Angelo se retrouvèrent seuls sur le pont et la passerelle désertés, se demandant s'ils avaient rêvés ou si ce qu'ils avaient vu était bien réel. Seuls les corps horriblement mutilés de la passerelle et le requin animatronique qui continuait à émettre des bouffées de gaz empoisonné demeuraient pour prouver que ce carnage dépourvu de sens avait bien eu lieu. De façon répulsive, et toujours identique--
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"...On dirait que ça se calme," murmura Illness en soupirant de soulagement, serrant fermement son arme.
Elle était à la passerelle de l'Entrance , en compagnie de Czes, Claudia, Charon, Bobby (qui, pour une raison inconnue, portait toujours le costume de l'Engrenage), et des camarades de ce dernier. Bien sûr, le capitaine et l'équipage étaient là aussi, vérifiant le bon fonctionnement du navire ; ils couraient partout dans la pièce, enclenchant tous les systèmes.
"C-c'est fini...? On est enfin hors de danger ?"
Bobby était sur le point de s'effondrer sous la tension, mais se souvint de Carnea qui l'observait et se força à rester debout.
"Bobby...! T'as réussi !"
"Ah, c'était pas grand chose..."
"Franchement. T'as juste récupéré les systèmes à gaz dans les conduits de ventilation."
"Et c'est nous qui avons fait le plus gros du boulot..."
"J'ai faim."
Carnea essayait de remonter le moral à Bobby tandis que ses amis le critiquaient allègrement. Illness les observaient, repensant en silence à son passé. Elle repensait à ces garçons qui étaient morts en tentant de la sauver.
'Si quelqu'un avait pu les protéger à l'époque... Je me demande s'ils ressembleraient à ces enfants aujourd'hui.'
Illness allait soupirer, mais Claudia sourit et la prit pour la serrer dans ses bras.
"Merci, Illness ! Nous sommes tous sains et saufs grâce à toi !"
"N-non... pas du tout... D'ailleurs, c'est toi qui a rassemblé tout le monde..."
Illness rougit face au compliment et luttait pour chercher ses mots. Mais sa réponse fut vite interrompue par la voix anxieuse de Czes.
"Hé ? Il y a quelque chose qui arrive--quoi ?! Ça ne peut pas être un humain--"
Soudain, un choc brusque secoua la salle. Les vitres renforcées de la passerelle volèrent en éclats lorsqu'une silhouette gigantesque surgit au travers.
'Aging ?! ...Non !'
L'intrus était beaucoup plus gros que la femme à laquelle Illness pensait.
"...Je suis bien heureux... de t'avoir repéré juste à temps."
Le géant à l'apparence de gorille s'adressait à Czes.
"Ma foi... Puisque Maître Bride nous a quittés, nous devons au moins capturer un nouveau dieu sacrificiel."
Il fouilla la passerelle du regard et s'arrêta sur Illness.
"Hm ? On dirait... non... Illness ? En quel honneur accordez-vous votre gracieuse présence à cet endroit ?"
"Hein...?"
"Quelle heureuse coïncidence. Dire que nous allons pouvoir capturer deux de nos infortunées divinités d'un seul coup..."
Le gorille sortit un pistolet de sa poche.
"Quand aux autres, vous ne nous êtes d'aucune utilité."
Il pointa son arme sur Claudia, qui se tenait juste à côté d'Illness--
Et tout le monde passa à l'action simultanément.
Illness poussa Claudia et s'interposa pour la protéger. Czes courut pour intercepter la balle--
Le coup traversa son épaule, et la balle amortie toucha Illness au flanc.
"Ah...!"
Illness laissa échapper un cri affaibli. Soudain, le garçon dans son costume de rouages laissa échapper un cri de rage en se jetant sur le gorille.
Bobby n'avait pas réfléchi au risque, ni cherché d'éventuelles félicitations. Tout ce qu'il savait, c'est ce que Claudia lui avait dit : "Tant que tu porte ce costume -- tu dois jouer le rôle du héros" ; la seule question était pour qui il voulait se montrer héroïque. Et la réponse était, bien entendu, la fille qui se tenait derrière lui. Il avait juste laissé ses émotions parler pour lui, ce qui suffit parfaitement à remplir son rôle.
Bobby remplissait le rôle ingrat et pourtant crucial de la distraction, nécessaire pour divertir l'attention de l'ennemi ne serait-ce qu'un instant. Quand le gorille se retourna instinctivement pour tirer sur Bobby, Charon se glissa sur le côté et frappa le bras qui tenait l'arme d'un coup de pied sec.
"Agh !"
Le gorille lâcha son arme et commença à agiter ses bras pour les frapper à mains nues, mais se retrouva soudain privé de vision, les yeux couverts d'un liquide rouge. Illness s'était rapproché et lui avait jeté son propre sang au visage. L'instant d'après, Illness saisit son arme à elle dans sa main - couverte de sang - et pressa la détente. La mitraillette rugit et laissa échapper une rafale qui déchira la poitrine du gorille.
Quelques secondes plus tard, Illness souriait, allongée dans les bras de Claudia. Était-elle parvenu à risquer sa vie pour d'autres, comme ces garçons l'avaient fait pour elle ?
"Hé... Claudia... Je ne suis pas bizarre, hein...? Je ne-je ne suis pas malade, dis-moi ?"
"Non, tu n'as rien de bizarre. Même si le monde entier devait te rejeter, je t'accueillerai toujours à bras ouverts."
"Ahaha... Mais pourquoi...? Je suis une terroriste... Pourquoi es-tu si, si gentille avec moi, Claudia...?"
Illness riait faiblement, pendant que Claudia faisait de son mieux pour stopper l'hémorragie. Elle lui sourit d'un air encourageant.
"Tu sais... Ce n'est pas le monde qui me reconnaît. C'est moi qui reconnaît et qui accepte ce monde."
"...?"
"C'est pour ça... que je ne trahirai jamais le monde que j'ai accepté. Après tout, c'est moi qui l'ai accepté tel quel, non ? Même si mon univers devait me trahir, j-je l'aimerais jusqu'à la fin. C'est tout."
Illness fixait Claudia pendant qu'elle déclarait ces absurdités ; heureuse d'avoir trouvé la personne qui pourrait lui sourire, elle sourit en retour et s'assoupit.
"Ah... Merci..."
Claudia demanda de l'aide pour emmener Illness à l'infirmerie ; elle et Charon accompagnèrent Illness. Czes les salua, soulagé que la blessure ne soit pas grave.
"Mais c'est vrai... Ce gorille semblait en avoir après moi..."
Czes se retourna vers le corps de l'homme, et se figea de surprise. Il n'y avait plus trace du cadavre, là où l'homme-gorille s'était effondré. 'Il a survécu à tout ça...?! Et... il s'est enfui...?', s'interrogea Czes. Il ne semblait pas l'avoir remarqué, mais les flots de sang qui avaient giclé lorsque Illness avait tiré sur cet homme avaient aussi disparu de la passerelle.
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Trente minutes plus tard.
Le navire était silencieux. La plupart des passagers se remettaient encore du choc de l'impact, restant à l'abri dans leur cabine. Un homme, apparemment japonais, sauta de l'Exit à l'Entrance en criant "Hiroko !", mais personne ne tenta de l'arrêter. Et le Rookie, affichant un sourire satisfait, se trouvait actuellement à bord du bateau venu chercher les Mask Makers, félicitant Life pour son travail.
"...Bon travail, Life. Il est regrettable que nous n'ayons pas pu récupérer Illness... mais je suis heureux que tu aies réussi à nous retrouver."
"...J'ai moi-même été blessé, cela dit. D'ailleurs, il semblerait que j'étais le seul à ne pas avoir été prévenu du plan à suivre après la collision ; je suppose qu'il s'agissait d'une simple erreur de communications, n'est-ce pas," répondit Life, en secouant la tête. Le Rookie sourit, passant tranquillement derrière Life.
"Je vois. Laisse-moi te montrer un petit tour de magie pour te remonter le moral."
"Non merci. Je suis sûr que ça peut attendre qu'on soit de retour."
"Ah, trop tard... j'ai déjà commencé."
Et l'instant d'après--
Click
"..."
Une paire de menottes surgit des mains vides du Rookie et se referma sur les poignets de Life, qui pendaient derrière la chaise sur laquelle il était assis.
"Attends... qu'est-ce que tu fabriques ?"
"Je veux juste m'assurer de quelque chose," répondit le garçon, tandis qu'un homme pénétrait dans la pièce.
"!"
Un gangster à la veste noire.
Voyant l'ennemi farouche des Mask Makers apparaître soudainement, Life observa ses camarades d'un air affolé ; mais le Rookie, Aging et leurs alliés de l'Entrance se tenaient en silence, impassibles.
"Qu'est-ce qui se passe ici...?"
Life agitait les jambes avec nervosité. Le gangster - Angelo - s'approcha de Life et lui retira ses lunettes de vision nocturne.
Un ange passa. Puis--
"Quel accueil peu cordial. Nous nous connaissons bien, pourtant ?" murmura le gangster, avec un regard vaguement mélancolique derrière ses lunettes de soleil.
"Pas vrai, monsieur le Demolisher ?"
Une autre pause.
Un silence étouffant enveloppait le bateau--jusqu'à ce que le rire dérangé de Life vienne briser l'atmosphère.
"Pfffft... HAHAHAHAHAHA ! Merde ! Ce fils de pute ! C'est ce petit connard de Charon, c'est ça ?"
Ce ne fut pas Angelo mais l'un des Mask Makers qui lui répondit, celui avec l'autographe de Charon sur son masque.
"...Ouais. Il t'a entendu rire et parler à 'Boss Angelo'. Maintenant je comprends comment tu as réussi à ramener des flingues à ce gangster."
"Putain... Je savais que j'aurais dû tous vous faire sauter quand j'en avais l'occasion ! Hé ouais ! C'est moi l'salopard qu'ai ramené tes joujoux 'vec l'matos des Mask Makers, boss Angelo ! Merde, t'croyais que j'avais fait comment ?! HAHAHAHAHA !"
Il n'y avait plus aucune trace de Life, le membre des Mask Makers, chez le Demolisher. Angelo colla son visage face au sien sans un mot. Il y avait toutes sortes de questions qu'il aurait voulu lui poser, mais il se contenta d'une seule.
"Est-ce vous... qui avez tiré sur le père du Boss ?"
"Á ton avis ?"
Le Demolisher jouait l'idiot. Angelo serra les dents--
Et retourna vers l'Entrance avec un calme surprenant.
"Je laisse le destin de cette ordure entre vos mains. Extirpez lui les infos que vous voulez, et occupez-vous de lui."
"Ça ne vous embête pas ?"
"Mon Boss s'est mis à pleurer et m'a ordonné de ne plus tuer personne. De toute façon--"
Il murmura des mots d'adieu avec un air étrangement satisfait, et sortit tranquillement.
"Je ne tue pas les femmes et les enfants. Mes comptes avec vous sont réglés."
Seuls restaient les Mask Makers au regard glacial--
Et un homme sans nom, autrefois connu comme Life.
"Hé, allons. Pas de quoi s'én--argh !"
Life (le Demolisher) tomba au sol lorsque le Rookie lui donna un coup de pied dans l'estomac. Le Rookie l'observa d'un regard méprisant--
Et commença à parler.
"Eh bien, maintenant... C'est juste. Avant que nous commencions à évoquer cette série d'événements, nous avons besoin d'un changement de rythme."
Et le garçon mit un masque.
Un masque glacé qui lui permettrait de s'occuper de ce traître. Que le masque serve à cacher ses larmes, ou à protéger ses yeux du spectacle devant lui--le garçon mit son masque, sans même savoir pourquoi. Comme s'il essayait d'adopter ce masque en tant que vrai visage.
<==>
Sur le pont de l'Entrance, alors que la situation revenait à la normale--
Firo était allongé sur le pont, les bras grand ouverts, observant les panaches de fumée s'élever dans le ciel, tout en discutant.
"Hé, Czes."
"Qu'est-ce qu'il y a, Firo ?"
"Tu crois... tu crois que j'ai réussi à être un bon père de famille ?"
Firo semblait parler du combat téméraire qu'il avait mené un peu plus tôt. Czes secoua la tête, ébahi, et fixa froidement Firo du regard.
"...Franchement, inquiéter ta famille comme ça, j'appellerai ça un échec, tu ne crois pas ?"
"Tu n'es pas très sympa."
Firo se couvrit le visage, fatigué. Czes poursuivit calmement.
"De toute façon, qu'est-ce c'est qu'un bon père de famille ? Quelqu'un qui nous protège, moi et Ennis, en ayant l'air cool ?"
"...Huh. Qu'est-ce que t'en dis ? Qu'est-ce c'est, au final ?"
"Peut-être... quelqu'un qui rentre à l'heure tous les soirs pour le dîner ?"
Czes dirigea ensuite son regard vers l'entrée des ponts inférieurs. Firo se releva pour jeter un coup d'œil--et aperçut Ennis qui courait vers lui.
"Bref, je vais vous laisser un peu de temps entre amoureux."
"Hé ! Hé ! Czes !"
Firo essayait à la fois de retenir Czes qui s'esquivait et de regarder Ennis qui arrivait vers lui--en luttant désespérément pour trouver ce qu'il allait dire.
'Bon dieu, qu'est-ce que je suis censé lui dire ?! Est-ce qu'elle m'en veut ? Est-ce que je devrais m'excuser ? Non, mais... OK. Je vais lui dire, 'Je t'aime'... Argh ! Non ! Comment lui dire quelque chose d'aussi embarrassant ? Mais je l'aime bel et bien, alors... ah... agh !'
Les mots qu'il désirait tant dire à Ennis remplissaient son cœur, mais très vite ils débordèrent et s'évanouirent. Pris de panique en voyant sa femme s'approcher de lui--
"...Puisque c'est notre lune de miel, je suppose qu'elle me laissera m'en sortir avec un baiser."
Firo réalisa qu'il était vraiment un homme heureux.